Besançon sonné par le coup d’arrêt des Vaîtes

L'avis défavorable du Conseil national de protection de la nature à la destruction d'espèces protégées conduit le conseil municipal à débattre à chaud d'une évolution du projet d'écoquartier pendant près de deux heures. La droite défend un moratoire, la majorité municipale apparaît plus divisée qu'elle ne le souhaiterait...

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« Comment on fait pour les Vaîtes ? » C'est la question que pose Jean-Louis Fousseret à un petit groupe de personnes réunies autour de lui alors que le conseil municipal du 7 mars vient de prendre fin. La plupart des élus et des cadres des services municipaux ont quitté la salle ou échangent quelques mots en se dirigeant vers la sortie. Les journalistes sont partis, sauf un, l'auteur de ses lignes. Les adjoints à l'environnement et à l'urbanisme, Anne Vignot et Nicolas Bodin, sont restés quelques minutes avec le maire et Jean-Michel Artaud, responsable du service droit des sols à la direction de l'urbanisme, pour évoquer l'épineux dossier. Il y a aussi là le directeur de cabinet Pascal Gudefin et l'attachée de presse Alexandra Cordier.

La séance a été longue, plus de quatre heures et demi, dont près de la moitié consacré à un débat sur les Vaîtes. Le nom du quartier apparaît six fois dans les rapports soumis à délibération dont quatre pour le seul « débat d'orientation budgétaire et d'actualisation du plan pluriannuel d'investissement » où il est question d'allouer 19,7 millions d'euros d'ici 2023 à l'aménagement et l'équipement de l'écoquartier en projet. Une cinquième fois pour demander une subvention à l'ADEME pour participer au financement d'une étude d'analyse environnementale du futur groupe scolaire du quartier. Une sixième citation, anecdotique, évoque le lien avec la place Olof-Palme qui doit être « reconfigurée et sécurisée ».

« Un problème de démocratie participative »

Alors que le nom du quartier ne figure pas dans la page et demi du rapport « sur la situation en matière de développement durable », présenté avant le débat budgétaire, c'est pourtant à l'occasion de sa discussion que le conseil se penche sur les Vaîtes. Dans son propos liminaire, Jean-Louis Fousseret n'en parle pas, bien que l'avis défavorable du Conseil national de la protection de la nature l'ait poussé à arrêter les travaux de défrichement entrepris fin janvier.

C'est Jacques Grosperrin, le leader de la droite (LR) qui s'en charge : « Renouez le dialogue et décrétez un moratoire. Ne laissons pas ce poumon vert se bétonner... », exhorte-t-il en disant sa crainte de voir l'installation d'une ZAD comme à Notre Dame des Landes. « On n'est pas contre l'urbanisation, mais elle doit être maitrisée… » Ludovic Fagaut (LR) lui emboîte le pas, trouve que « dans la capitale de la biodiversité », ce n'est pas génial, revient sur la contradiction qu'il y a selon lui à construire quand il y a « 8 à 10% de logements vacants ».

Jean-Louis Fousseret proteste. Le problème ne porte selon lui que sur « quelques centaines de mètres carrés sur 23 hectares. On n'a pas fait n'importe quoi ! Et il y a souvent eu unanimité sur le dossier… » La droite proteste à son tour, elle a souvent voté contre. En fait, Fousseret voulait parler de l'unanimité de la majorité municipale. Michel Omouri évoque « un problème de démocratie participative. Vous n'auriez pas fait d'erreur si vous aviez consulté le conseil de quartier en 2002… »

Entre attentisme et justification

Plusieurs élus de la majorité municipale, où les divisions semblent s'estomper sur le sujet dès lors qu'il s'agit de faire front face à la droite, défendent le projet de concert, mais en tendant l'oreille les nuances sont réelles. Les élus PS et LREM sont ainsi partagés entre attentisme et justification. Michel Loyat (PS) souligne la cohérence d'avoir fait passer le tram par les Vaîtes. Nicolas Bodin (PS) insiste sur le besoin de loger à prix correct des familles pour ne pas qu'elles aillent « hors de l'agglo, à Rioz ou à Fraisans » et assure que c'est influer sur le développement durable d'agir ainsi sur le trafic routier.

« L'objectif des Vaîtes est de contrecarrer l'urbanisation à l'extérieur de la ville, de loger des familles modestes avec enfants », dit Jean-Louis Fousseret qui n'apprécie pas, mais alors pas du tout, de se faire traiter de bétonneur : « je suis un maire bâtisseur », préfère-t-il. N'empêche, il avoue ne pas connaître l'avis de la CNPN qui a tout bloqué, et que les lecteurs de Factuel, eux, connaissent (voir ou revoir ici).

Christophe Lime (PCF) trouve un peu fort de café que la droite s'appuie sur un argument environnemental : « vous vous êtes toujours opposés non sur l'écologie mais sur la spoliation des propriétaires... C'était votre seul argument. J'entends que vous ne voulez plus d'extension de l'habitat sur Besançon, mais alors que le 20 septembre dernier, vous pouviez vous opposer au projet des Planches Relançons, vous ne l'avez pas fait. Vous n'êtes pas cohérents, mais opportunistes ». 

Comment on calcule le vivant...

Nicolas Bodin, il est vrai spécialiste des frottements mécaniques plutôt qu'écologue, mesure comme un géomètre l'impact des travaux initialement prévus en pleine zone d'habitat d'espèces protégées, ce qui a motivé l'avis de la CNPN. L'adjoint à l'urbanisme se prête à un calcul tout bonnement absurde en considérant qu'un arbre représente environ un ou deux mètres carrés, soit l'implantation au sol de son tronc. Y ajoutant les trois zones humides, dont deux font selon lui un mètre carré, il estime que 20 à 30 mètres carrés sont concernés. 

Jean-Louis Fousseret, pas écologue non plus mais informaticien, le corrigera : « même 13 arbres peuvent avoir un impact sur la biodiversité… ». Anne Vignot lève les yeux au ciel : « dans cette instance, on n'a toujours pas compris ce que veut dire la biodiversité, pas compris ce que ça signifie pour le fonctionnement écologique. Il pourrait n'y avoir un seul arbre... »

Si Fousseret ne connait pas l'avis de la CNPN, Laurent Croizier (MoDem) avoue ne pas très bien connaître le dossier des Vaîtes, mais a l'intuition d'autre chose : « plutôt qu'un mètre carré par arbre, j'irais plutôt à 30 m² par arbre... Peut être le bon sens voudrait qu'on ne touche pas à cette zone, ça ne remettrait pas en cause le projet… »

« Le projet peut s'enliser »

S'il « comprend le rééquilibrage ouest-est » évoqué par Loyat, Jacques Grosperrin évoque un « secteur exceptionnel » et le « changement de la demande de logements en quinze ans. Je ne veux pas remettre toutes les Vaites en question, mais réfléchir. Et réfléchir à autre chose ne signifie pas tout arrêter ». Le maire s'engouffre dans la brèche : « je me félicite que vous disiez regardons si le projet est toujours valide ».

Car en fait, c'est bel et bien la validité du projet tel qu'il est aujourd'hui qui est remise en question. C'est ce qu'a compris Ludovic Fagaut : « le projet peut s'enliser, si voulez sortir tête haute, il y a peut être autre chose à faire… »  Autre chose, c'est ce que Christophe Lime (PCF) avance en parlant d'évolution : « nous sommes favorables au projet, mais nous souhaitons que des éléments soient pris en compte pour qu'il évolue. Il faut que les opérateurs respectent nos directives, or, ils ont tendance à sous-estimer la présentation environnementale… Il faut prendre en compte par le dialogue la difficulté avec les jardiniers : il y a assez des place pour faire cohabiter tout le monde… »

» Jean-Louis Fousseret apprécie la formulation de l'adjoint communiste : « c'est exactement ça, il faut se mettre d'accord avec le CNPN. Nous avons réactualisé les études… En juin, je présenterai le bilan du PLU ». Un PLU qui a été modifié de nombreuses fois pour intégrer les diverses étapes du projet des Vaîtes. N'empêche, faire « cohabiter tout le monde », comme le dit Lime, c'est sacrément modifier le projet. 

« On est très loin des questions posées par le dossier »

L'adjointe à l'environnement, Anne Vignot (EELV) a déjà intégré ce qui est en fait un chamboulement : « il ne faut pas nier que le projet est arrêté de fait car il y a eu l'avis [défavorable] de la CNPN. On s'attend à des propositions pour améliorer le projet… » Le maire assure avoir « des réponses précises » auxquelles répondra le préfet… Mais quand ?

Pour l'heure, les élus en sont surtout à encaisser la soudaine obligation dans laquelle la ville se trouve pour tenir compte des impératifs écologiques. Pour une collectivité qui disait les respecter, qui brandit fièrement son premier prix de biodiversité, se faire rappeler à l'ordre est un peu vexant. D'une certaine façon, cela ne déplait pas à Anne Vignot qui aimerait bien que ses collègues prennent l'environnement au sérieux, autrement que comme un supplément d'âme : « j'attends un autre débat sur les réserves [du CNPN] car on est très loin des questions posées par le dossier. Il faut notamment « intégrer l'expertise des habitants qui ont développé un rapport particulier à cet espace. Retourner vers ce public qui anime ce quartier et y vit… » 

En conclusion, le maire fait dans la méthode Coué : « la majorité est toujours unie sur les Vaîtes. Ce projet est celui d'une équipe », assure-t-il sans rire… Car à entendre les petites musiques de ses anciens alliés, force est de constater qu'ils sont disposés à l'amender. Et même ceux qui ne le voudraient pas y seraient contraints, ce que Fousseret souligne d'une pirouette : « Toujours, nous respectons les règles… » 

 

 

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