Benoît Pigé : « il y a des blocages partout, un climat difficile »

Concurrent de Jacques Bahi qui entend rester mardi 5 avril à la tête de l'université de Franche-Comté, ce professeur en sciences de gestion a adressé une « analyse de la gouvernance » aux administrateurs dans laquelle il met en cause « la qualité de l'information comptable et financière » et le recrutement de la femme du président dans un service sensible de l'institution.

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Benoît Pigé n'est pas favori à l'élection à la présidence de l'université de Franche-Comté qui doit se tenir mardi 5 avril lors du conseil d'administration élu le 8 mars et complété par cinq personnalités extérieures. Les listes de ce professeur en sciences de gestion sont arrivées nettement derrière celles du professeur de math Jacques Bahi, bien placé pour effectuer un second mandat. Après avoir saisi le tribunal administratif d'un recours en annulation du scrutin, Benoît Pigé conteste aussi la gouvernance de l'université dans un document de onze pages adressé le 31 à l'ensemble des administrateurs.

Il y énonce des propositions sur l'offre de formation et la stratégie patrimoniale. Il remet également en cause « la qualité de l'information comptable et financière » de l'université, estimant que « l'obligation de transparence apparaît pour le moins oubliée » et que « l’information comptable et financière ne permet pas de donner une image fidèle de la situation de l’université ni de porter un jugement sur la qualité de sa gestion ».

De la part d'un expert-comptable, ce qu'est aussi Benoît Pigé, ces critiques sont loin d'être anodines. En outre, il reproche au président Bahi d'avoir recruté sa femme au SAIC, le service des activités industrielles et commerciales de l'université. Autrement dit, le service ayant la haute main sur les conventions passées par une université avec des partenaires commerciaux, par exemple une entreprise ou une collectivité souhaitant bénéficier de son expertise.

Monsieur Pigé, n'est-ce pas contradictoire de saisir le tribunal administratif et de maintenir votre candidature à la présidence de l'université ?

J'ai formé le recours il y a quinze jours. Quant à mon analyse de la gouvernance, elle est étayée. Il y a des blocages partout, un climat difficile. Si on veut que ça change, il faut bien que quelqu'un se présente. Dans mon analyse, il y a des choses communes à la vie municipale.

Vous étiez candidat divers gauche en 2014 aux élections municipales de Pontailler-sur-Saône...

J'étais candidat apolitique, c'est la préfecture qui a indiqué divers-gauche parce que l'autre liste était divers-droite ! J'ai plutôt des sympathies écolo... J'ai démissionné du conseil municipal.

Habitant la Côte d'Or, vous pourriez passer pour un tenant de l'absorption de l'UFC par l'université de Bourgogne...

Non ! Je suis depuis 1994 à l'université de Franche-Comté, j'ai dirigé l'IAE, l'institut d'administration des entreprises...

Vous soulevez un manque de transparence des comptes de l'université. Pourquoi ?

J'ai l'habitude de redresser les comptes publics. Les documents publiés par l'université n'ont aucune valeur. J'ai réussi à faire des recoupements en retrouvant le rapport de l'ordonnateur qui émet certaines réserves. J'ai vérifié, j'ai posé des questions au directeur général des services qui ne m'a pas répondu.

Vous considérez comme des anomalies les embauches par l'université de la fille du directeur de l'UFR sciences et techniques, et de la femme du président...

Avec l'autonomie des universités, le président peut embaucher en CDD dans certaines structures plutôt que sur concours... Le SAIC s'occupe des contrats pour le compte de tiers, d'entreprises, de collectivités, en raison de problèmes de TVA.

Qu'y fait Madame Bahi ?

Je ne suis pas allé jusque là. Je sais qu'elle a un bureau à son nom de jeune fille. J'ai demandé quelle procédure avait été suivie pour son recrutement, quelles étaient les activités support, son métier, je n'ai pas eu de réponse. 

Vous soulevez aussi la relation privilégiée entre la BAF et la présidence sortante. Vous écrivez que les associations liées à la BAFBesançon associations fédérées : listes "Bouge ta fac", arrivées largement en tête les 8 mars chez les étudiants ont reçu plus de 35.000 euros quand les autres associations étudiantes ont autour de 1000 euros... 

C'est un problème qu'il n'y ait qu'en médecine que la participation étudiante aux élections universitaires soit correcte. J'ai demandé les états financiers à la BAF avec copie à la FAGE, je n'ai pas reçu de réponse...

Pourquoi critiquez-vous le fait que les comptes commencent par une présentation de la balance générale ?

Ça devrait commencer par le compte de résultats ! Ce sont des problèmes de gouvernance graves. Ils empêchent qu'on s'attaque aux vrais problèmes. Certains ont intérêt au statut-quo... A terme, ce serait la disparition de l'université de Franche-Comté... On est dans un système où la présidence distribue des places.

Vous indiquez dans votre document que la présentation des comptes ne permet pas de bien saisir que le gel de 47 postes est une décision stratégique dont on ne parle pas...

C'est le fait de ne pas poser ces questions qui fait qu'à terme l'université peut disparaître.

Vous n'évoquez pas l'attribution opaque de la PEDR ?

Le plus scandaleux, c'est qu'on ne sait pas qui en bénéficie. SUD Éducation a seulement obtenu la publication de deux bénéficiaires. Le tribunal administratif n'a pas voulu forcer le président à communiquer tous les noms, mais il le pouvait...

Vous la touchez ?

Oui.

Si vous êtes élu président, y renonceriez-vous ?

Il ne peut pas y avoir de cumul entre la PEDR et la prime de présidence. Je suis pour un débat ouvert.

Quel est le problème posé par le gel des postes ?

D'abord, ça a été institué par l'État. Prenons l'exemple fictif de 100 millions d'euros de masse salariale qui correspondrait à 1000 postes. Comme les dotations sont gelées depuis 2009, et qu'en même temps il y a le glissement vieillesse technicité, ce qui coûtait 100 coûte aujourd'hui 103 ou 104. Il est donc logique de geler des postes. Mais on peut faire autrement avec des ressources propres, par exemple par des partenariats avec des collectivités sur des formations. On est bon sur la recherche, mais on pourrait avoir plus d'offres de formation continue.

Vous semblez aussi reprocher au système actuel le fait que le directeur général des services fonctionne comme un directeur de cabinet...

Il y a une directrice de cabinet, mais elle est comme une directrice adjointe... Il y a pléthore de vices-présidences et le DGS est un homme à tout faire... Il faut arrêter de gérer une université qui gère 200 millions d'euros comme une PME qui gère 5 millions. Il ne faut plus que les fonctions de management soient gérées par des vice-présidents.

Vous critiquez aussi la question des bâtiments qui ne relève pas seulement de l'université mais aussi des collectivités... Pouvait-on occuper autrement le site de l'Arsenal qui a été utilisé par la fac de lettres avant rénovation ?

On est dans une logique où si on ne défend rien, on a rien. Alors on occupe le terrain au lieu de supporter d'exiguïté deux ans de plus...

La fac de lettres et sciences humaines est éparpillée entre Mégevand, l'Arsenal... voire Goudimel où est implantée la présidence, Granvelle étant désaffecté depuis quelques années.

L'université ne peut pas raisonner comme ça. Les collectivités ont intérêt à ce que le site s'intègre bien dans la ville. Le bâtiment de la présidence de l'université ne donne pas l'impression qu'il y a 20.000 étudiants ! Il faudrait la recentrer sur la Bouloie et installer des formations plus ciblées en centre-ville.

Vous mettriez toutes les licences à la Bouloie, et les masters et troisièmes cycles en centre-ville ?

Oui, c'est ma vision. Mais elle ne doit pas s'imposer à tout prix. C'est en tout cas la tendance qu'on voit dans les autres villes universitaires. On a besoin des formations de lettres ou sciences humaines dans les autres activités. La transversalité qu'on veut développer n'est pas facile à mettre en œuvre aujourd'hui.

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