Antilibéraux

Les Français ne veulent pas du néolibéralisme et n'en ont pas besoin. Ils ne cessent de le dire, de le crier, de le répéter. Ce qui compte aujourd'hui, c'est la capacité de la société à se défaire elle-même de son emprise.

Les Français ne veulent pas du néolibéralisme et n'en ont pas besoin. Depuis que leur non de 2005 à son institutionnalisation a été foulé aux pieds par Nicolas Sarkozy soutenu pour l'occasion par une partie des socialistes, ils ne cessent de le dire, de le crier, de le répéter. Ou de se taire : la consommation de camisoles, chimiques ou stupéfiantes, à un niveau élevé témoigne d'un mal-être profond, répandu.

Ils n'arrêtent pas d'envoyer des signaux dont certains sont des symptômes de maltraitance.

D'abord des signaux politiques, si dispersés, si contradictoires, qu'une majorité alternative semble peu probable. On voit mal en effet une alliance de gouvernement entre les frondeurs du PS, le Front de gauche, la plupart des écologistes, les quelques gaullistes de progrès, la droite souverainiste et l'extrême droite. De toute façon, quelque alliance électorale que ce soit serait fragilisée à peine constituée du simple fait du poids énorme de l'abstention devenue un acte politique majeur, sans parler du poids considérable des lobbies de l'oligarchie. C'est sur ce constat que s'appuient ceux qui entendent reconstruire un projet politique en passant par la base, la citoyenneté. Mais les citoyens sont échaudés et craignent d'être une fois encore instrumentalisés.

Les signaux issus de la société civile ne manquent pas non plus. Les paysans refusent dans leur majorité la dérégulation des marchés des produits alimentaires, mais leurs multiples mouvements ne l'ont pas empêchée, à peine freinée ici et là, à l'exception notable de l'AOP comté dont on vient de voir qu'elle n'est pas à l'abri des attaques systémiques.

Les artisans et les travailleurs indépendants n'en peuvent plus eux aussi de se voir appliquer des règles fiscales et sociales bâties pour les entreprises bien plus grandes ayant la taille critique permettant de consacrer sans s'y noyer du temps à la bureaucratie. Alain Juppé l'a compris qui a un projet de refonte du RSI, le système de sécurité sociale qui maltraite les indépendants.

Les salariés, qu'ils soient fonctionnaires ou du privé, n'en peuvent plus des pressions répétées sur leurs salaires et leurs conditions de travail qui minent leur implication ou leur santé. Beaucoup suivent des stratégies d'évitement des problèmes et des conflits, ce qui peut expliquer le turn-over massif enregistré à l'occasion des DMMOdéclaration des mouvements de main d'oeuvre : 54% des salariés, 65% dans le tertiaire, ont changé d'entreprise en 2013. Quand ils peuvent dire non, ils ne se gênent pas. C'est ce qui est en train d'arriver avec le mouvement contre la loi travail de Myriam El Khomri.

Des responsables politiques comme Martine Aubry ont beau dire que « trop c'est trop », les citoyens l'ont pensé tellement fort avant eux que c'est peut-être trop tard. Quant aux éditocrates, ces quelques dizaines de stars du journalisme qui font beaucoup plus de commentaires que d'enquêtes et de reportages, ils persistent à répéter les mêmes rengaines qui n'expliquent rien sinon que les souffrances ne sont rien au regard des nécessités de l'inéluctable, indispensable et souhaitable modernisation de l'économie.

Ils parlent en fait du processus se mettant en place depuis les accords de Bretton Woods qui ont supprimé en 1971 la convertibilité dollar-or. Un processus de construction, voire de reconstruction, pas à pas, d'un système féodal mondial détruisant les protections collectives, les états, les services publics, les normes sociales, fiscales ou environnementales, au profit d'un ordre dirigé par des empires entrepreneuriaux.

Que la gauche sociale-démocrate européenne se soit alliée aux libéraux et aux conservateurs pour aider à l'accouchement de cette féodalité moderne n'est pas le moindre des paradoxes de notre époque. Après la défaite qui lui semble promise dans un an, comme cela arriva à Blair et Schroeder, disparaîtra-t-elle ou sera-t-elle comme le phœnix qui renaît de ses cendres ? 

A vrai dire, cela n'a pas beaucoup d'importance. Ce qui compte aujourd'hui, c'est la capacité de la société à se défaire de son emprise comme de celle du néolibéralisme. Pour ça, le boulot ne manque pas ! Et l'imagination est la bienvenue.

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