Amiante-pesticides, mêmes combats !

C'est la thèse du film de Pierre Pézerat, Les Sentinelles, un documentaire touchant et convainquant sur le courage et la volonté de ceux qui ont mené de dures luttes scientifiques, judiciaires, syndicales et politiques. Il n'a été projeté que deux fois en Franche-Comté depuis sa sortie nationale en novembre dernier : à La fraternelle de Saint-Claude puis Besançon où la CFDT a fait venir le réalisateur deux semaines avant le procès en appel du CHU.

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A deux semaines du procès en appel de l'amiante au CHU de Besançon qui doit se tenir le 15 mars, le syndicat CFDT Sante-Sociaux du Doubs a eu la judicieuse initiative d'organiser la projection d'un film rappelant que le combat contre cette fibre cancérogène n'a pas été un long fleuve tranquille. Du moins en France où il aura fallu une alliance objective entre un scientifique tenace et des syndicalistes transformant leur bataille pour l'emploi en lutte pour la santé, jusqu'à l'interdiction au 1er janvier 1997.

Les Sentinelles suit plus particulièrement trois personnages, deux syndicalistes ouvriers et un agriculteur intensif lancés dans des luttes à armes inégales contre les lobbies de l'amiante pour les premiers, Monsanto pour le troisième. Les entretiens structurent le film en lui donnant une dimension journalistique et historique. Ils alternent avec des images d'archives, des scènes autour de procès, des interviews d'avocats, des enterrements de malades de l'amiante par leurs camarades... « On ne voyait pas à un mètre, on était comme dans la neige », témoigne un ouvrier.

« Il nous a aidé à compter les morts »

Un quatrième personnage, tout aussi important, donne la dimension scientifique du combat, Henri Pézerat, toxicologue et chercheur au CNRS, lanceur d'alerte avant que l'expression de fasse florès, père du réalisateur. « Il nous a aidé à compter les morts », dit Josette Roudaire, déléguée CGT de l'usine Amisol qui fabriqua de l'amiante à Clermont-Ferrand. Henri Pézerat avait découvert l'amiante dans le plafond de son laboratoire à Jussieu...

Il sera à l'origine du comité Jussieu qui se battra pour le désamiantage de l'université, il ira souvent à la rencontre des ouvriers confrontés à l'amiante, leur apportant ses connaissances, ses réseaux, sa rigueur. A sa mort, en 2009, ses proches créeront une association qui porte son nom et poursuit son combat sous le titre dénué d'ambiguïté Association Henri-Pézerat Travail-Santé-Environnement.

« Ce n'est pas facile, quand on est ouvrier, de rencontrer des gens avec du savoir », explique Jean-Marie Birbes, syndicaliste chez Deliah, dans le Tarn. Correspondant, plus jeune, dans sa région de l'éditeur François Maspero, c'est en découvrant des livres des éditions Maspero chez Henri Pézerat qu'il se dit qu'il peut avoir confiance. Le chercheur met des mots sur l'objectif à poursuivre : interdire l'amiante. Josette Roudaire et Jean-Marie Birbes se rallient à une idée pas facile à défendre alors que les industriels font du chantage à l'emploi. D'ailleurs, ils se font un temps embobiner, en 1982, par la notion d' « usage contrôlé de l'amiante », défendue par l'industrie, qui ne fait que repousser le problème.

Un grand intérêt du film de Pierre Pézerat est le parallèle qu'il établit entre l'amiante et les pesticides. Il s'appuie sur deux exemples aujourd'hui connus. Gros céréalier en Charente, Paul François respire du Lasso, qu'il vient d'épandre sur son maïs. Il ne sait pas encore que ce produit de Monsanto est interdit dans plusieurs pays. Il ne jure alors que par le modèle productiviste, l'agriculture chimique. Mais là, il fait un malaise, tombe dans le coma, s'en sort de justesse, garde encore aujourd'hui des séquelles... 

« Les crimes industriels sont des crimes parfaits »

C'est lui qui finira par avoir gain de cause en justice contre la Mutualité sociale agricole pour faire reconnaître sa maladie professionnelle. Il osera ensuite défier Monsanto qui sera reconnue responsable après une procédure de cinq ans où la multinationale ira jusqu'à le faire expertiser en psychiatrie. « Les crimes industriels sont des crimes parfaits », souligne son avocat, Me Tessonière. Josette Roudaire est dans la même logique : « il faut faire reconnaître les préjudice et faire payer les patrons... »

Le film emmène le spectateur sur les chantiers navals de Saint-Nazaire. Il donne la parole à des veuves. On n'est pas dans l'émotion de la fiction, mais dans la vie, la vraie. Il filme des ouvriers de la coopérative agricole Triscalia de Plouissy (Côtes d'Armor) qui ont développé une hypersensibilité chimique pour avoir évolué dans un entrepôt de nourriture animale arrosée d'insecticide où la ventilation a été coupée... Là aussi, le combat est à la fois sanitaire et syndical. La CFDT du coin est d'ailleurs écornée pour ne pas avoir accompagné les salariés qui ont pris langue avec Solidaires.

Lors du débat qui suit le film, projeté au Petit Kursaal de Besançon pour environ 150 personnes, un spectateur adhérent CFDT, note le détail. Pierre Pézerat répond : « ce n'est pas un problème de syndicat, mais de personne. La CFDT de Triscalia n'a pas fait son boulot, mais quand il y a unité syndicale, on peut gagner des combats. Le cas du CHU de Besançon en est la preuve. Mon père passait son temps à dire aux gens de se grouper. »

« A Besançon, on a aidé la justice pénale à avancer »

Dans la salle, Vincent Maubert, jeune retraité qui anima la section CFDT du CHU, dit sa proximité avec les personnages du film. La victoire en première instance des salariés du CHU, au pénal, est une nouvelle étape du combat commencé ailleurs et raconté par Les Sentinelles. Il explique qu'il a fallu aussi des relais : « il y a eu le boulot de l'inspecteur du travail, le travail d'un procureur adjoint qui n'avait pas la même vision du dossier que le procureur... Un président de commission médicale d'établissement m'a aussi dit : fermez la parce qu'on ne va pas avoir le pognon qu'on a demandé pour l'institut fédératif du cancer... C'est grave, c'est le pouvoir de l'Etat. Le directeur général, qui a travaillé au ministère de la santé, au cabinet de Claude Evin, m'avait dit que l'amiante n'était pas son problème, qu'il fallait régler ça avec l'ingénieur... Quand va-t-on le faire payer ? On ressort fatigué d'une affaire comme ça ! »

Louant « un film intelligent », l'avocate des salariés du CHU, Anne-Sylvie Grimbert, a travaillé huit ans sur le dossier : « je suis fière d'avoir accompagné ces sentinelles... Je suis déçue que monsieur BarberousseA l'époque directeur général du CHU ne soit pas poursuivi. Après la condamnation de l'hôpital de Pontarlier, c'est une première à Besançon où on a aidé la justice pénale à avancer... Il faudrait que ce film passe au cinéma Victor-Hugo et dans tous les cinémas de France ! L'amiante n'est pas fini, il y en a encore au Canada, au Brésil, en Afrique... »

La longue bataille pour s'en protéger, explique Pierre Pézerat, a commencé en France par l'intervention d'un inspecteur du travail qui souligna, en Normandie en 1906, « la forte mortalité des ouvriers dans les filatures et dans les usines de tissage d'amiante ». Quelques années plus tôt, sa dangerosité était documentée en Angleterre (source Wikipédia). Inscrit en 1945 sur le tableau des maladies professionnelles, il sera interdit en France en 1997. Le Canada, important producteur, attaque alors la France devant l'OMCOrganisation mondiale du commerce qui reconnaît en 2001 que la santé publique justifie l'entrave à la liberté du commerce...

Etait-ce une raison pour supprimer les CHSCT ?

 

 

 

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