Amiante au CHRU de Besançon : répétition médiatique avant le procès

A quelques jours de la citation à comparaître de la direction de l'hôpital devant le tribunal de grande instance pour mise en danger de la vie d'autrui entre 2009 et 2013, voici le rappel des principaux enjeux de l'audience des 28 et 29 septembre, reportée après avoir initialement été programmée en juin.

L'intersyndicale SUD-CGT-CFDT-FO entourant le secrétaire du CHSCT, Pascal Hudry, lors d'une conférence de presse, mardi 20 septembre. (Photo Jean-Michel Bessette)

Le procès de l'amiante au CHRU de Besançon n'est pas encore devant les juges du tribunal de grande instance que les répétitions ont commencé sur la scène médiatique. Initialement programmée les 15 et 16 juin, l'audience a été reportée aux 28 et 29 septembre à la demande de Me Pierre-Yves Fouré, l'avocat de la direction de l'hôpital. Afin, précisait un communiqué publié par le service communication du CHRU le 14 juin, de « pouvoir avoir accès au dossier de l'enquête préliminaire diligentée par le parquet semble-t-il depuis 2011 ».

Tout est dans ce « semble-t-il » qui semble introduire un doute quant au début de l'enquête qu'avait conduite le magistrat du parquet, Jean-Christian Vaulot-Pfister, aujourd'hui retraité, alors en charge des questions relatives au travail et à la santé. Juriste intègre et scrupuleux, réputé d'une grande indépendance d'esprit et résistant aux pressions, il avait ainsi poursuivi France Télécom pour des suicides de salariés, les Transports Jeantet pour travail dissimulé, rouvert le dossier quasiment en panne des soupçons d'euthanasie dans le service de réanimation chirurgicale et débouchant sur la mise en examen de deux médecins.

La défense médiatique du CHRU « fait douter les agents »

Le communiqué de la direction du CHRU insistait sur le choix de l'enquête préliminaire par le parquet. Cette procédure n'était selon elle « pas contradictoire ». En fait, la direction et des chefs de services ont été auditionnés à plusieurs reprises par les enquêteurs. Elle regrette manifestement qu'il n'y ait pas eu de saisine d'un juge d'instruction. Quand on sait le turn-over des juges d'instruction, leur charge de travail et leur sous-effectif récurrent, on peut se demander si le procès aurait eu une chance de se tenir cette année en cas de recours à l'un d'eux.

Chapeautée de bout en bout par le procureur-adjoint Vaulot-Pfister, l'enquête de l'amiante du CHRU a été conduite, à charge et à décharge, sur cinq ans. Combien de temps aurait-il fallu pour traiter ce dossier s'il était passé par l'instruction ? Difficile à dire, mais il est probable qu'il aurait été suivi par plusieurs juges d'instruction successifs comme on l'a vu dans quelques affaires sensibles et/ou complexes récentes. L'accident d'avion de La Vèze, finalement jugée neuf ans après le crash, a connu six juges d'instruction. La plainte d'un chef d'entreprise de Saint-Vit visant un notaire et un homme d'affaires, est aussi à son sixième juge d'instruction... douze ans après le début de l'histoire.

Cette défense médiatique du CHRU n'est pas sans effet : « elle est lue dans la presse par les agents et les fait douter », souligne Pascal Hudry, secrétaire CFDT du CHSCTcomité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Des 53 salariés parties civiles du début, cinq ont jeté l'éponge. « Au moins 80 agents sont passés, à un degré ou un autre, dans les lieux à désamianter. Il y a eu des pressions, des carrières ont été accélérées, d'autres freinées, essentiellement parmi les 48 parties civiles... »

Une citation à comparaître « soudaine » précédée de nombreuses alertes

A peine la citation à comparaître avait-elle été délivrée, que l'hôpital s'étonnait le 4 mai d'une « soudaine mise en cause car l'opération de travaux de mise en sécurité et désamiantage de l'Hôpital Jean Minjoz est engagée depuis 2008 dans la plus grande transparence ». 2008, un an avant le début de la période incriminée — avril 2009 à juin 2013 — durant laquelle, selon le parquet une cinquantaine de salariés des services techniques et de sécurité incendie ont été exposés au risque amiante.

L'avis d'audience signé le 18 avril par le procureur de la République est assez précis. La direction du CHRU se voit reprocher « la violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement » à plusieurs reprises. Ce qui caractérise la mis en danger d'autrui. En avril 2010, elle « laissait intervenir » deux salariés dans un local où « le CHRU avait connaissance de la présence d'amiante dans un flocage du local informatique (...) sans mettre en œuvre les mesures d'évaluation des risques et de prévention obligatoires », les exposant à « un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente ». 

« Mensonges à répétition »

Entre le 31 août et le 6 décembre 2010, elle « laissait sciemment travailler » neuf agents  « dans les locaux informatique et pneumatique alors que le CHRU avait connaissance de la présence d'amiante dans l'enduit floqué de ces locaux et dans le sas d'entrée » alors que des travaux de démolition se situant au-dessus provoquaient des chutes de particules. Malgré le diagnostic technique amiante, une « première exposition signalée en avril, des alertes répétées des salariés », l'exposition aux risques s'était poursuivie.

En février 2013, ce sont trois salariés qui intervenaient dans le service d'anatomie-pathologie où n'avait pas été mis à jour le diagnostic amiante « qui leur aurait permis de connaître la présence d'amiante, empêchant ainsi la mise en œuvre de mesures de prévention obligatoires », le tout « malgré les nombreuses interventions de l'inspection du travail à cette fin ».

On le voit, la soudaineté de l'offensive judiciaire faisait suite à une longue guérilla menée par les représentants du personnel, au sein du CHSCT, puis par la saisine de l'inspection du travail qui a transmis ses observations à la direction et au parquet, après que la CRAMCaisse régionale d'assurance maladie ait menacé, en 2009, l'hôpital de sanction s'il ne repérait pas les zones amiantées avant travaux. « Il y a eu mensonges à répétition. C'est inconcevable qu'un établissement de santé expose ses propres agents à un risque sanitaire », explique Pascal Hudry, le secrétaire du CHSCT, qui fait lui-même partie des employés exposés. « Au CHSCT, la direction nous disait qu'il fallait aller vite car une journée de travail coûtait 50.000 euros. Mais quand la vie est en jeu, on a du mal à admettre la logique financière ».

Avocates locales et cabinets parisiens

Cette logique, la direction du CHRU tente de la la récupérer à son profit dans le communiqué du 14 juin où elle conclut des 4,5 millions d'euros de travaux consacrés à l'amiante que la « situation était prise très au sérieux ». Elle ajoute que les deux tiers des surfaces en cause ont été désamiantées, précise que plus de 10.000 contrôles depuis 2006 « confirment que le seuil réglementaire de 5 fibres par litre d'air n'a jamais été atteint ». Les photos que les quatre syndicats, le CHSCT et les 48 salariés ne manqueront pas de produire à l'audience viendront certainement semer le doute à propos de ce seuil.

Le procès des 28 et 29 septembre survient cependant après l'arrivée d'une nouvelle direction qui a « bien intégré qu'il faut protéger les agents », souligne Pascal Hudry. Cela ne dédouane pas à ses yeux l'établissement de sa responsabilité passée, d'autant qu'une des parties civiles, aujourd'hui retraitée, souffre aujourd'hui d'un cancer qui pourrait être attribué à l'amiante.

L'audience sera enfin l'occasion d'une bataille de juristes. Le CHRU a fait appel au cabinet Houdart, spécialisé dans les questions d'environnement et de santé. L'avocat du CHRU, Pierre-Yves Fouré, est un spécialiste de l'amiante qui a déjà écrit plusieurs articles sur la jurisprudence en la matière, par exemple sur le préjudice d'anxiété reconnu par la cour de cassation. Le cabinet a récemment été rejoint par l'ancien ministre de la Santé, Claude Evin, qui devrait faire partie des défenseurs du CHRU.

Un an de prison et 15.000 euros d'amende encourrus

Les plaignants, outre 48 salariés, le CHSCT et les syndicats CFDT, SUD, CGT et FO du CHRU, ont fait appel aux deux avocates bisontines Anne-Sylvie Grimbert et Muriel Lombard, spécialisées dans le droit social. La section CFDT a également convaincu sa fédération Santé-Sociaux de faire intervenir l'avocat parisien Michel Ledoux, spécialisé dans l'amiante et défenseur de l'ANDEVA (association nationale de défense des victimes de l'amiante), qui aura à ses côtés Me Farouk Benouniche. C'est que l'affaire bisontine est regardée par les syndicalistes et les gestionnaires de nombreux établissements de santé du pays.

Ceci étant, prévient Pascal Hudry, « on ne va pas refaire l'histoire de l'amiante ». La question posée est celle de la responsabilité d'un employeur... La responsabilité de la personne morale (l'établissement) « n'exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits », disent les articles 121-2 et 121-3 du code pénal. Les peines encourues sont, dit l'article 223-1, d'un an de prison et 15.000 euros d'amende, assorties d'interdiction d'exercer, placement sous surveillance judiciaire ou confiscation (131-39 2° 3° 8° 9°).

L'article 131-38, mentionné par le parquet, dispose en outre que « lorsqu'il s'agit d'un crime pour lequel aucune peine d'amende n'est prévue à l'encontre des personnes physiques, l'amende encourue par les personnes morales est de 1 000 000 euros ». Mais cette peine étant prévue par l'article 223-1, l'autre alinéa du 131-38 précise que « le taux maximum de l'amende applicable aux personnes morales est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques par la loi qui réprime l'infraction ». Ce qui signifie que le CHRU est passible d'une amende 75.000 euros.

Quoi qu'il en soit, une question demeure au-delà de l'aspect judiciaire : qui doit financer le désamiantage ? « Il ne doit pas être supporté par l'hôpital seul », estiment les représentants du personnel. 

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