Acte 47 des Gilets jaunes à Besançon : « silence, on casse »

Sous le mot d’ordre de « convergence contre la casse des services publics », gilets jaunes, syndicats, et autonomes, se sont retrouvés ce samedi à Besançon. Environ 700 personnes ont ainsi entamé un défilé sous des trombes d’eau, où les prises de parole se sont enchaînées devant plusieurs institutions. En fin d’après-midi, après avoir gagné la préfecture qui a été prise pour cible, une confrontation s’est engagée entre les plus téméraires et la gendarmerie mobile. La situation restera tendue avec d’autres heurts notamment à Chamars et à gare Viotte. Il y a eu six interpellations.

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L’événement était programmé de longue date à Besançon, renforcé par un samedi précédent jugé réussi à Lons-le-Saunier. Gilets jaunes « historiques », syndicats tels que Force ouvrière, partis, notamment France insoumise, mais aussi groupes autonomes, street-médics, et renforts du Jura et de Bourgogne, se sont donc retrouvés à 14 h place de la Révolution. Avec, comme leitmotiv du jour, « la défense des services publics », dont de nombreuses branches, à l’instar de l’hôpital ou de l’éducation, ont défrayé la chronique quant aux moyens et conditions alloués.

Sur place, le ton est donné par les pancartes, banderoles, et autres visuels. « Service public — le RIC — le fric — pas des flics », « déCapitalisme », « privatisation = destruction », « humains jetables ou pièces interchangeables ? », « silence on casse — santé, enseignement, énergie, transports, télécoms... », « on veut vivre et non survivre, stop hausse des carburants et TVA », ou encore « CETA lutte globale », pouvait-on par exemple lire, du film plastifié étant par ailleurs déroulé, marqué, et laissé sur place, au fil de la marche, permettant de coller à chaque situation.

« Je suis de retour depuis la rentrée »

Didier (*), présent depuis le 17 novembre 2018, était un habitué des cortèges locaux ; la quarantaine, salarié, habitant à une dizaine de kilomètres de Besançon, il est revenu avec sa famille. « Après une pause pour me ressourcer, je suis de retour depuis la rentrée. Toujours aussi déterminé, puisque rien n’a vraiment changé pour nous. C’est même l’inverse, le prix de l’essence est en hausse, et le système de retraite, qui vaut ce qu’il vaut, mais pour lequel on a cotisé durement pendant des décennies, est remis en cause. Et que dire des services publics ! la situation est catastrophique... »

 Si les participants semblent solides dans leurs convictions, la météo était tout aussi déchaînée ; bourrasques, pluies diluviennes continues, froid persistant, auront accompagné l’événement toute l’après-midi, entaillant les effectifs dès la mi-parcours. Mais, au moment de s’élancer pour gagner la ville, ils sont environ sept-cents d’après notre estimation, chiffre le plus élevé depuis mai, engoncés avec parapluies et anoraks. Le parcours, environ 4 km, apparaît long dans ces conditions, mais le noyau dur est prêt à tenir jusqu’à la fin.

 Plusieurs haltes sont réalisées : centre de long séjour Bellevaux, école élémentaire Helvétie, siège d’EDF Franche-Comté, office départemental des impôts, ou encore Rectorat du Doubs, sont, entre autres, l’objet de prises de parole, afin de sensibiliser à l’avenir de ces secteurs. À l’image de Philippe Edme, maire rural Front de Gauche de Lombard, qui explique : « le service public est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas, mais aujourd’hui, ce bien fond comme neige au soleil. Dans les petites communes c’est criant, on est asséchés, sous-dotés, et éloignés des centres de décisions. »

 Si l’engagement apparaît unanime, des dissensions sont apparues. Au niveau du parc Micaud, déjà, une poubelle est incendiée sur le bas-côté ; un morceau de plastique échappé sur la chaussée s’incrustera sur le pneu d’un véhicule. C’est un black bloc, visage couvert, qui aidera, pendant une quinzaine de minutes, à la remise en état de la roue. Une barricade est érigée avenue Hilaire de Chardonnet avec du mobilier de chantier, et un container renversé sur la voirie rue Ronchaux ; ce dernier acte provoque alors un clash entre autonomes et militants de la France insoumise.

 À la Préfecture, le retour d’une « tradition »

 Après quelques autres déambulations, ils sont une bonne centaine à poursuivre l’événement en visant la Préfecture. À 17 h 15 le site est atteint, totalement vide d’un quelconque cadre policier. Plusieurs graffitis sont inscrits sur la porte principale, certains insultant le préfet et les forces de l’ordre. Surtout, une porte latérale provisoire, donnant accès aux échafaudages dressés pour la réfection de la façade, est patiemment enfoncée avec une barrière de chantier. Alors qu’un trou béant s’y forme et qu’elle semble sur le point de céder, des fourgons bleus se rapprochent.

 Une brigade de gendarmerie mobile se déploie alors rue Charles Nodier, afin de déloger les protestataires. Le Directeur de cabinet du Préfet, Nicolas Regny, condamne et déplore « qu’un établissement public ait été dégradé. » Du mobilier urbain est lancé à la va-vite pour tenter de freiner leur avancée, mais rien n’y fera ; après deux sommations peu audibles, des grenades lacrymogènes MP7 sont propulsées saturant le secteur de gaz. Les uniformes, avançant rapidement, utiliseront des bombes à poivres pour convaincre les plus hésitants à s’échapper.

 Un face-à-face tendu s’amorce rue de la Préfecture jusqu’à 18 h, paralysant la circulation et la desserte du réseau de bus. Une équipe véhiculée de la police municipale s’hasarde et termine bloquée à proximité immédiate de cette poudrière, mais n’a pas été prise à parti malgré les dizaines d’éléments souvent cagoulés. Les plus déterminés se regroupent alors, et reprennent la direction de Chamars en passant par la mairie. Un autre container est couché rue Laurent Megevand, et plusieurs « protections » de fortune comme des barrières « saisies » pour cette nouvelle phase.

 Des heurts et cinq interpellations

 Les manifestants, demeurés sur le parvis de l’hôpital Saint-Jacques, engagent une guerre des nerfs. Les tramways sont désormais également interrompus, et consigne est donnée de « rétablir l’ordre. » Un participant, connu sous le sobriquet de Renaud pour sa ressemblance avec l’artiste et son amour de la musique, est brutalement interpellé — scène captée par Radio Bip —. « Il n’a jamais ne serait-ce qu’élevé la voix », fulmine une proche. Placé en garde-à-vue, il lui sera reproché des jets de barrières, puis finalement sa seule présence et le port d’un masque à gaz en papier souple.

 « Une façon de faire du chiffre à bon compte » lâche la figure Fred Vuillaume, resté jusqu’au bout. La réaction des opposants fut toutefois immédiate, un assaut spontané s’exerçant avec fracas sur les boucliers, qui essuient alors coups de poings, utilisation de barres, et autres lancés de bouteilles en verres, contraignant à une seconde salve de lacrymogènes. 18 h 30, la centaine de téméraire reprend la rue de l’Orne de Chamars pour la Boucle. Entre-temps, on apprend que quatre autres personnes auraient été appréhendées, au motif a posteriori communiqué, de participation à des dégradations.

 Qui sont ces éléments définis comme « radicaux », « autonomes », ou « black-bloc » ? Ici, souvent des jeunes, mais pas seulement ; une présence féminine non négligeable, avec 1/3 du contingent ; des ruraux, des citadins, et quelques « banlieusards » ; des étudiants, des salariés, des précaires, et même des retraités. Une formation hétéroclite, comme l’illustre Sandrine (*). Cette ancienne ouvrière du bassin de Besançon, aujourd’hui la soixantaine, n’a pas hésité à se parer d’un keffieh ; pour elle « seule une méthode offensive permet un rapport de force à même de changer les choses. »

 Un shopping « particulier » aux Passages Pasteur

18 h 45, le centre commercial le plus important de la vieille-ville — les Passages Pasteur — est envahi. Pendant près de vingt minutes, les Gilets jaunes, dont beaucoup n’arborent plus le fameux chasuble à ce moment-là, chantonnent avec ferveur. « Travaille, consomme, et ferme ta gueule » ou encore « anti, anti, anti-capitaliste » résonnent dans le grand hall. Alors que la majorité des enseignes baisse leurs rideaux, clients et agents de sécurité apparemment ne peuvent que constater et attendre en privilégiant la bonne humeur. Aucun excès ne sera en effet à déplorer.

 Le périple s’étire sur une tranche horaire tardive inexplorée depuis avril dernier, et après un passage par Battant c’est la gare Viotte qui est choisie comme objectif. À 19 h 5 avenue Edgard Faure, un accrochage éclate avec un automobiliste ; celui-ci, mécontent qu’une participante d’un certain âge ne touche son véhicule, alors que tous avaient emprunté le passage piéton, sort en furie pour tenter de s’en démêler physiquement. Le reste de la foule, alors invisible du forcené, rapplique. L’automobiliste étant quitte de dégâts sur ses rétroviseurs, d’une clé d’étranglement, et d’un crachat au visage.

 À leur arrivée, c’est une gare fermée et bouclée que trouvent les manifestants. Des policiers locaux interdisent l’accès au rail, repoussant toute sollicitation y compris d’usagers. Les gendarmes mobiles s’installent avenue Ferdinand Foch, prélude d’un ultime affrontement avec leur avancée. De nouvelles barricades s’établissent rue de la Viotte et rue de l’Industrie, mais elles sont rapidement neutralisées. Les derniers groupes refluent sur Chaprais et la Boucle, puis se dispersent entre 19 h 30 et 20 h. Ce mouvement, présenté comme mort, n’a donc pas dit son dernier mot...

 (*) : Prénom changé à la demande de l’intéressé(e).

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