Acte 14 à Besançon : 1000 Gilets jaunes applaudis à Planoise

La manifestation partie du centre-ville a rallié le plus grand quartier de la région avant d'investir la route la plus fréquentée pour bloquer un temps une vaste zone commerciale. Après plus de 15 km de marche, le retour vers les parkings et le centre-ville, a été bloqué par un barrage des forces de l'ordre. Une stratégie des autorités discutable...

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Le rendez-vous de l'acte 14 de la manifestation bisontine des Gilets jaunes est fixé, comme d’habitude, à 14 h ce samedi 16 février, place de la Révolution. Le site se rempli doucement, jusqu’aux prises de paroles vers 14h45 ; Frédéric Vuillaume, figure locale, qui a fait l’objet d’un courrier du préfet le 8 février dernier, dresse le bilan répressif. Il évoque ainsi sa femme placée en garde-à-vue et sous contrôle judiciaire, et surtout son beau-fils, mis-en-examen et jugé en comparution immédiate la veille, accusé d’avoir blessé un gendarme le 9 février avec un feu d’artifice, écopant de six mois de prison ferme soit le double des réquisitions du parquet malgré l’absence de casier. Les orateurs suivants abondent sur la question coercitive et carcérale de leurs camarades, le pouvoir d’achat, l’appel au soutien sur d’autres opérations...

Ni capitalisme, ni fascisme...

Un cortège de tête se met en place, avec une large banderole noire « ni capitalisme – ni fascisme. » D’autres étoffes affichent la couleur : « la solidarité est notre arme », « la Dictature est en marche », « L.R.E.M. viole nos Libertés », ou encore « bienvenue en France. » On retrouve, au milieu des gilets jaunes, blouses blanches, fonctionnaires, retraités, militants politiques et syndicaux, quelques étudiants, jeunes de quartier, et autonomes, et une quinzaine de street-medics ainsi qu’un petit service de sécurité dédié à la circulation en amont. Les slogans évoluent encore : « à bas, l’État, les flics et les patrons », en plus des « Macron démission » et « C.R.S. = S.S. » Comme dans d’autres villes les 1er mai ou durant l’opposition à la Loi travail, une dynamique radicale semble émerger.

Vers 15 h le départ s’amorce, avec un passage par Battant et Arènes jusqu’à la rue de Dole. Le trajet vise premièrement à rallier la maison d’arrêt, rue Louis-Pergaud, en référence aux discours prononcés. La gendarmerie mobile bloque toute approche au niveau de l’avenue Yvon-Villarceau, n’empêchant pas les participants d’aller au plus près pour exiger « l’amnistie des prisonniers politiques. » Localement une soixantaine d’interpellations ont eu lieu depuis le 17 novembre, avec au moins six incarcérations. Après quelques minutes passées là, la rue de Dole est à nouveau réquisitionnée jusqu’à la place de la Bascule à Saint-Ferjeux où un sit-in s’improvise. Vers 16 h 15, les manifestants bifurquent rue des Vignerons pour rejoindre Rosemont et l’avenue François-Mitterrand.

« Planoise, debout, soulève-toi ! »

Le défilé arrive à la Malcombe et sur l’échangeur de Micropolis. L’objectif est clair : investir le quartier de Planoise. Ville dans la ville, réputée « difficile », elle est pourtant sollicitée par nombre de participants qui souhaitent y passer ne serait-ce que symboliquement. Avec ses 20.000 habitants - soit plus que Lons-le-Saunier, Pontarlier, ou Vesoul intra-muros -, elle se compose d’une écrasante majorité de profils socio-économiques populaires, minés par le chômage et la relégation en marge de la « bonne société. » Un potentiel de soulèvement jugé « explosif », que bien des voix exhortent à encourager vers une convergence mutuelle. Mais peu avant 17 h, la liesse espérée au milieu des barres aurait pu tourner à la tragédie avant même toute tentative de parade.

Alors que la foule se masse à l’entrée du boulevard Salvador-Allende au niveau du parking-relais pour une petite halte, la circulation est seulement impactée dans sa fluidité. Un automobiliste âgé apparaît alors à bord d’une petite voiture noire, et illustre sa désapprobation en faisant vrombir le moteur de son véhicule avec des petites avancées limitées mais brutales et menaçantes. La foule s’agite alors, croyant à une tentative de passage en force. Le conducteur - peut-être dans une montée de panique - renverse alors plusieurs personnes, heureusement sans gravité. Il en sera quitte pour une carrosserie et plusieurs vitres ravagées, mais l'incident qui aurait pu être dramatique si l'on se souvient des précédents mortels, notamment le 17 novembre à Pont-de-Beauvoisin (Savoie).

Les gilets jaunes, eux, ne souhaitent pas voir l’événement gâché. Ils poursuivent « intra-muros » sous le regard de dizaines de jeunes curieux et enthousiastes, avec des applaudissements et « vivas » des deux côtés, des scooters de sortie accompagnant le trajet, et de nombreuses prises vidéos amateurs pour immortaliser ces moments. Cassin, Franche-Comté, Île-de-France… Dans chaque secteur l’accueil est à la mesure des espoirs. Le fameux « Besac’, debout, soulève toi », se transforme en « Planoise, debout, soulève-toi », largement repris. Pour beaucoup la magie opère, à l’image de Claire qui se confie : « certes, les cités ne nous rejoignent pas tout à fait encore. Mais on n’a jamais été si bien reçus. Imaginer ça au centre-ville ? Jamais. »

Châteaufarine, premier espace commercial de Franche-Comté

Les manifestants arrivent rue du Luxembourg vers 17 h 20 et personne ne sait encore où le point de ralliement s’effectuera. Rester entre les blocs du tiekquartier ou cité dans le parler des banlieues pour essaimer, rallier l’hôpital Jean-Minjoz et les blouses blanches, réitérer l’opération du samedi précédent mais cette fois en visant le premier espace commercial de Franche-Comté ? Après des hésitations, c’est cette voie qui s’impose. Direction Châteaufarine par la D673, route locale la plus fréquentée avec ses 100.000 véhicules quotidiens. Les automobilistes, surpris, n’en restent pas moins coopératifs malgré les embouteillages qui se forment : la majorité prend son mal en patience, certains affichent leur soutien par des coups de klaxons, et d’autres enfin rebroussent chemin avec précaution.

Au rond-point qui fait jonction entre les D673, D11 et D106, au niveau de l’hôtel B&B, le doute s’installe avec la présence d’un cordon de gendarmes mobiles interdisant tout passage. Mais moins de 500 mètres plus loin, une voie piétonne est accessible par le chemin de la Ferme Prabey où s’engouffrent les participants. Prises de court, les forces de l’ordre tentent de rejoindre le centre commercial où affluent déjà les gilets jaunes. Vers 17 h 45, l’objectif est donc atteint. Mais les portes sont closes, les commerçants ayant été enjoints de se barricader. La baie de l’entrée principale est alors sommairement caillassée, puis enfoncée à l’aide de caddies par quelques manifestants cagoulés et sans gilets jaunes. Si aucune autre casse n’est à noter, des pétards « mitraillettes » finiront par provoquer la panique auprès de clients.

D’autres dégâts plus mineurs avaient été signalés au préalable, tels qu’une vitre d’abribus cassée à Île-de-France et surtout le radar automatique de la rue de Dole mis hors-service. Mais c’est bien ce « forcing » qui a été relayé comme une traînée de poudre, à peine le forfait commis. Les manifestants, eux, sont divisés à ce sujet : pour certains, les conséquences, notamment médiatiques, donnent une image déplorable et détournent les forces vives de l’essentiel ; d’autres arguent d’un fait secondaire de la journée : la norme que constitueraient les dommages collatéraux de tout mouvement social, et le faible impact sur quelques vitres appartenant à des géants de la distribution... Vers 18 h, les centaines de participants qui restent reprennent le trajet inverse.

Comme un écho au 22 décembre 2018

Dans une ambiance bon enfant, environ 250 gilets jaunes se dirigent en direction du centre-ville. Chants, slogans, musiques, accompagnent cette ultime marche. Beaucoup, lessivés par un parcours de près de 16 km, ont déjà quitté le cortège. Ceux qui restent espèrent surtout retrouver leurs domiciles ou leurs véhicules garés dans la Boucle ou à proximité. Pourtant vers 19 h 15, c’est par une confrontation inattendue que va se conclure la soirée. Au niveau de la rue du Polygone, une quarantaine de gendarmes mobiles dresse un barrage implacable et ordonne la dispersion. Incompréhension du côté des manifestants : un refoulement vers Saint-Ferjeux d’où ils arrivent les emmèneraient dans un périple épuisant et à l’opposé de leur destination.

S'il est logique que les forces de l’ordre cherchent à éviter toute contagion, notamment sur la traditionnelle zone de préfecture-Chamars, les solutions retenues paraissent hasardeuses et inefficaces. Après dix minutes de face à face sans heurt, du gaz lacrymogène est massivement envoyé avec des grenades MP7 pour permettre l’assaut. Plusieurs projectiles atterrissent sur des véhicules aventurés là par mégarde. L’atmosphère devient vite irrespirable. Les uniformes, dans une ligne presque parfaite, frappent leur bouclier avec leur tonfa, dans un chœur martial. Pour se donner du courage et impressionner ?

Peu avant la rue du Caporal Peugeot, des barricades enflammées sont érigées avec des poubelles et du mobilier urbain glané ici et là. Les riverains assistent, dans l’intrigue, la peur, et parfois l’agacement, à la carbonisation de leurs bennes. Vers 19 h 45 les derniers groupes se scindent, certains par la rue Claudius Gondy pour déboucher sur la Butte et Battant, d’autres prenant la rue Charles Dornier afin de gagner la Grette puis Chamars. Aucun blessé n’a été décompté, mais deux interpellations ont eu lieu : une pour « outrage » rapidement laissée sans suite, et une seconde pour « violences sur dépositaire de la force publique » dont l’issue est inconnue.

L’intensité de la confrontation renvoie à l’édition VI du 22 décembre 2018, où un degré équivalant avait été observé. Avec la crise qui perdure, la répression qui s’amplifie, et les jours qui s’allongent, la situation risque de s’amplifier encore un peu plus dans les mois à venir.

 

 

 

 

 

  

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