La dépendance des sociétés occidentales envers les énergies fossiles est comme une addiction des maîtres à l’égard des esclaves. Ivan Illich l’avait écrit en 1973 dans « Énergie et équité ». Jean-François Mouhot lui emboîte le pas avec une « réflexion sur le changement climatique » d’abord écrite pour une revue américaine. Il l’a titrée d’une expression forgée dans les années 1940 par l’Américain Richard B Fuller, reprise le physicien et pacifiste allemand Hans-Peter Dürr, prix Nobel alternatif 1987 : « Des Esclaves énergétiques ».
Esclaves de choix énergétiques qui laissent peu d’alternatives pour travailler, se chauffer, se déplacer, consommer des produits qui eux aussi consomment de l’énergie pour arriver jusqu’à nous... Jean-François Mouhot ose un parallèle qu’on pourrait taxer d’anachronisme s’il ne fourmillait de références (12 pages sur 150) pour étayer son propos. « Les esclaves d’hier et nos machines d’aujourd’hui remplissent des rôles économiques et sociaux similaires... Je n’essaye pas de démontrer que la consommation à outrance d’énergie fossile et l’esclavage sont équivalents, mais qu’ils présentent des similarités frappantes, malgré d’importantes différences ».
On ne réagirait que le dos au mur
Il note que les débuts du mouvement abolitionniste coïncident avec l’invention de la machine à vapeur. Il souligne qu’à « chaque fois que les sociétés ont eu la possibilité d’avoir quelqu’un ou quelque chose qui puisse effectuer à leur place des tâches pour rien, ou à un faible coût, elles en ont presque toujours profité, quel que fut le coût moral ». Car on ne réagirait que le dos au mur. Au final, la supériorité des performances des machines, plus que les protestations vertueuses, aurait permis de supplanter l’esclavage en Amérique. La presse abolitionniste du nord-est des USA arrivant dans le sud esclavagiste grâce au chemin de fer et au financement d’industriels misant sur des salariés libres et consommateurs pour doper l’économie...
Et le changement climatique ? Comme les esclavagistes incapables de concevoir un autre monde, « nous avons tous de puissants intérêts à refuser de croire les climatologues », avance Mouhot qui entend démontrer qu’on peut être plus heureux en étant économe, en « décarbonant l’économie » grâce à des compromis. On sent la proximité avec Jean-Marc Jancovici qui signe la préface. Et l’on voit déjà d’où viendront les critiques quand il défend le nucléaire (certes à améliorer) ou pointe les limites de l’éolien ou du photovoltaïque car « le soleil ne brille pas toujours ».
« Les riches s’approprient la nourriture pour faire rouler leur voitures à l’éthanol... »
Jean-François Mouhot utilise aussi des arguments politiques et des « considérations morales ». Il défend un au-delà du pétrole, énergie antidémocratique et attentatoire aux droits de l’homme : les agissements occidentaux dans les pays producteurs le démontrent, quand, par exemple, la France provoquait des guerres civiles en armant les deux camps pour affaiblir cyniquement des états africains (la fameuse Françafrique). Mouhot est sévère avec les agrocarburants qui font « monter les cours des céréales » et sont responsables des émeutes de la faim, en Afrique ou Haïti : « les riches s’approprient la nourriture pour faire rouler leur voitures à l’éthanol... » Ivan Illich écrivait : « plus que la soif de carburant, c’est l’abondance d’énergie qui mène à l’exploitation ».
Pensant que les discours alarmistes sont contre-productifs, Mouhot propose de « voir le changement climatique comme une occasion extraordinaire plutôt qu’un problème insoluble ». Et suggère une attitude : « Si nous sommes convaincus que nous nous comportons à la façon des esclavagistes (que nous condamnons moralement), il y a plus de chances que nous souhaitions modifier nos agissements ». Il conclut, craignant le jugement de l’histoire : « Il est probable que la prochaine génération nous maudisse pour les dégâts irréparables que nous aurons causés à la planète. Sans aucun doute, diront-ils, c’était là un peuple de barbares ».
Mouhot ne cache pas s’inspirer d’Ivan Illich qui écrivait en 1973 : « Une politique de basse consommation d’énergie permet une grande variété de modes de vie et de cultures. La technique moderne peut être économe en matière d’énergie, elle laisse la porte ouverte à différentes options politiques. Si, au contraire, une société se prononce pour une forte consommation d’énergie, alors elle sera obligatoirement dominée dans sa structure par la technocratie et, sous l’étiquette capitaliste ou socialiste, cela deviendra pareillement intolérable. »
