« A part les logiques financières, tout est flou dans les politiques de santé »

La fédération santé-sociaux de la CFDT est en conseil national à Arc-et-Senans. Sa secrétaire générale, Nathalie Canieux, développe dans cet entretien les enjeux du dialogue social et les obstacles qui l'empêchent. Elle dénonce aussi un article de la future loi vieillissement qui ferait travailler 24/24 heures six jours de suite des professionnels au domicile de patients dépendants.

Nathalie Canieux : « Les plus jeunes préfèrent travailler plus longtemps dans la journée, mais moins souvent. »

La fédération santé-sociaux de la CFDT réunit du 16 au 18 juin son conseil national à la saline d'Arc-et-Senans où 300 militants de toute la France étaient attendus. Entretien avec Nathalie Canieux, technicienne de laboratoire ayant exercé en hôpital et en laboratoire d'analyses. Parisienne d'origine normande, elle est secrétaire générale de la fédération depuis 2009 et permanente.

De quoi parlez-vous pendant ces trois jours ?

Du dialogue social. Mardi matin avec la direction du Travail, mardi après-midi en tables rondes avec des syndicalistes allemand, suédois et italien, puis avec des expériences militantes. Ensuite, nous travaillons en ateliers... Les deux grandes questions que nous abordons sont les obstacles au dialogue social, et ce qu'il faut changer pour que ça marche...

Quel est le principal obstacle au dialogue social, le patronat ?

Ça peut l'être. Mais aussi les modes de financements et les pratiques syndicales.

Les modes de financements ?

Quand on n'a pas de marge, c'est difficile de dialoguer, par exemple dans les hôpitaux.

Vous tournez-vous vers d'autres interlocuteurs comme les financeurs ?

Non, c'est un autre niveau du dialogue social, celui de la protection sociale.

De ce côté là, ça a l'air coincé...

On fait valoir la qualité du service. A force, les usagers n'en voudront plus. Il y a un choix politique à opérer. Il n'y a pas que des questions de financement, mais aussi de compétences, d'organisation du travail. Discuter avec les salariés peut générer des marges de manoeuvre...

Pas facile quand la population augmente et que les enveloppes financières baissent...

C'est pour cela qu'il faut de l'emploi ! C'est l'emploi qui nous paie, y compris dans notre secteur. Nos emplois produisent de la cotisation sociale, de la richesse, ne sont pas délocalisables. La question du dialogue social doit se poser. Ce n'est pas parce qu'on est au service des gens qu'on doit tout nous faire faire...

La situation s'aggrave-t-elle ?

Oui. Le secteur a du mal à évoluer, notamment côté employeurs. La matière première du travail, ce sont les personnes, tout pèse sur elles. Beaucoup n'arrivent plus à trouver un sens à leur travail. Quand elles perdent le coeur de leur métier, elles disent qu'elles n'en peuvent plus, qu'elles n'ont pas fait des études pour faire ça. Tout cela manque de politique nationale. A part les logiques financières, tout est flou dans les politiques de santé.

Qu'est-ce qui a changé pour votre métier par exemple ?

L'automatisation. On a par exemple vu des techniciens de laboratoire du grand CHU de Toulouse dont le travail consiste à ranger des tubes dans des pochettes ! Les techniciens sont alors allés discuter avec les informaticiens parce qu'ils connaissent l'objectif du travail que ne connaissent pas les informaticiens. Le métier d'infirmière, nous l'envisageons sur le territoire, en réseau, en mettant l'hôpital à sa place. Le rôle des maisons de santé et des centres de santé est de dégonfler l'hôpital. Pour ça, il faut des médecins, des aides soignantes, des aides à domicile...

Quel est le lieu du dialogue ? Les ARS ?

Il doit être sur les territoires. Qu'on ferme une clinique, qu'on change ou déplace un service, il faut considérer l'emploi.

Regrettez-vous le temps où les salariés désignaient leurs représentants dans les organismes de sécurité sociale ?

Ce qui est sûr, c'est que les citoyens doivent avoir des lieux où discuter, où ils ont une part de la décision. Ils ont envie d'un système de santé, on est sur une question démocratique. On peut avoir davantage de dialogue social entre employeurs et organisations syndicales. Nous avons deux grands secteurs : le secteur privé qui dépend du ministère du Travail, et le secteur public où la question de la modernisation se pose différemment entre l'hôpital et le reste de la fonction publique. Ce n'est pas la même chose de discuter avec un Conseil départemental et un directeur d'hôpital. La fonction publique hospitalière a en miroir le secteur privé où le dialogue social est différent.

Le dialogue paraît moindre dans le privé...

Dans le résultat peut-être, mais pas dans la forme. Dans la fonction publique hospitalière, un accord n'est pas opposable, n'a pas de valeur juridique : c'est une carrence terrible. Un directeur peut faire comme si l'accord n'existait pas... 

Vous vous interrogez aussi sur les pratiques syndicales...

Nous posons la question de la part que prend le citoyen dans le débat, internet, les réseaux sociaux. Comment les jeunes regardent le dialogue social, les décisions prises par des gens ne leur demandant jamais leur avis. Sur le temps de travail, par exemple, il faut mettre autour de la table les salariés, mais aussi les médecins. Les plus jeunes préfèrent travailler plus longtemps dans la journée, mais moins souvent. On le sait quand des salariés demandent de faire douze heures, pour avoir des week-end, faire garder les enfants moins souvent...

Après dix heures de travail, peuvent se poser des questions d'attention, de sécurité...

Ça dépend aussi de l'ambiance de travail, il faut écouter les gens, il ne faut plus que l'organisation pense pour les autres.

Cela veut aussi dire que les syndicalistes passent davantage de temps avec les salariés qu'avec les patrons, non ?

Oui. On a fait ce virage il y a quelques années, c'est pour ça qu'on est en phase avec les salariés. Mais comment traduire ce qu'ils disent dans nos propositions ? Il faut avoir des interlocuteurs en capacité de comprendre qu'ils ont intérêt à agir dans ce sens...

Ce n'est pas gagné !

Cette façon butée d'avancer le résultat d'une négociation avant sa fin rebute tout le monde.

Quels sont vos rapports avec la CGT ?

On n'est pas derrière, on est souvent tout seul devant... On est la première organisation syndicale dans le secteur privé sanitaire et social, la seconde dans la fonction publique hospitalière. Le problème, c'est la posture d'organisation manquant de courage sur l'engagement de leur signature.

Le rapport de force joue un rôle dans les négociations, non ?

D'où la question de la légitimité de la représentativité des organisations patronales ! S'engager dans la contractualisation est pour nous fondamental. On manque peut-être en France d'évaluation de ce qu'on a signé... quand on voit par exemple la CGT défendre un accord RTT qu'elle n'a pas signé. C'est pour ça qu'on réfléchit à des accords à durée déterminée.

Ne serait-ce pas une façon pour les patrons de faire valoir plus facilement leurs revendications ?

On manque de représentants des employeurs de l'économie sociale et solidaire. Cela commence avec l'UDES, mais elle doit faire ses preuves, il ne faudrait pas que ce soit pire que le MEDEF...

La loi Macron repasse à l'Assemblée...

Il y a à boire et à manger... Elle touche peu le secteur sanitaire et social, davantage les services. On attend surtout la loi santé et la loi vieillissement : on lutte contre son article 37 qui vise à aider les aidants familiaux. S'il passe, on pourra travailler au domicile d'une personne 24 heures sur 24 six jours de suite ! La question de comment permettre à la famille d'un malade d'Alzheimer de se reposer est légitime, mais nous ne sommes pas d'accord pour que des professionnels travaillent à domicile 24 heures sur 24 six jours d'affilée, ça vient d'un service dit de baluchonnage au Canada... En France, on l'a expérimenté en Normandie sur trois jours. On veut que ce soit adossé à une maison de retraite. Ça a déjà été adopté en première lecture au Sénat : la commission des Affaires sociales avait enlevé l'article en question, mais les sénateurs écologistes l'ont fait remettre en se basant sur les familles d'accueil d'enfants placés... Ce n'est pas la même chose !

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