Yolande Moreau : « Je ne différencie pas humour et gravité »

La comédienne et cinéaste parle de ses films, des improbables histoires d’amour, des mélancoliques buveurs de bière, des friteries improvisées, de la quête intime... Et du dernier où elle apparaît, présenté en avant-première au festival de La Rochelle, « Le Tout Nouveau Testament » de Jaco Van Dormael.

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Au Festival International de La Rochelle, entre deux projections, Yolande Moreau s’assied toujours à une terrasse en bord de mer. Elle regarde les bateaux ou attend peut-être que la mer monte. C’est là qu’elle m’a donné rendez-vous.

Deux yeux bleus avec des éclats de malice sous une chevelure vagabonde. Qu’elle soit Séraphine, la mère de Camille redouble, ou plus récemment la femme de Voyage en Chine, elle irradie les films d’une lumière secrète et de flots de tendresse.  Quelque chose de l’enfance illumine son regard. A la vision de ses films, on s’étonnera à peine de la façon dont elle parle avec élégance de la vulnérabilité et de l’amour. Quand on la reconnaît dans la rue et qu’on l’appelle « Yolande » elle sourit et répond avec la pudeur des artistes que nous aimons.

Son premier film Quand la mer monte  raconte l’histoire d’une actrice d’une quarantaine d’années qui présente son spectacle dans le Nord de la France, dans des lieux improbables comme une maison de retraite. Chaque soir, dans ce spectacle incarné par Yolande, elle choisit quelqu’un dans le public et le fait monter sur scène à ses côtés pour lui montrer « les cimes enchantées de l’amour ».

Une habituée de la Rochelle

Yolande Moreau est une habituée de la Rochelle. On s’est croisées à plusieurs reprises comme cela arrive souvent dans cette manifestation dédiée aux cinéphiles : « C’est une ville que j’aime. J’y ai fait des créations avec Jérôme Deschamps. » Elle va de salles en salles voir des films. Que lui restera-t-il de cette 49 ème édition ?  « J’ai beaucoup aimé Les Mille et une nuits  de Miguel Gones, Mia Madre de Nanni Moretti, Les Nuits blanches du facteur d’Andreï Kontchalovki et Blind dates du géorgien Levan koguashvili. »
A l’issue de cet entretien, elle devait voir Eka et Natia de Nana Ekvtimishviki et Simon Gross un autre film géorgien. La salle affichait complet. Elle a retraversé la rue en direction de la Coursive pour voir L’Audience de Marco Ferreri en présence de Claudia Cardinale. Infatigable cinéphile, Yolande Moreau arpente le quai qui relie les salles entre elles.
Il y a quelques jours, Yolande Moreau animait un débat sur le film Quand la mer monte à la Maison Centrale de Saint Martin de Ré. « Après la projection, j’ai rencontré des personnalités très différentes. Qu’est-ce qu’on fait quand on est condamné à perpétuité ? Certains d’entre eux s’en sortent et portent les choses. Un homme m’a dit : je porte. Quand le temps est compté, ces hommes essaient d’aller à l’essentiel. L’échange était très pertinent et j’étais très émue. C’est terrible quand la porte se referme. »
A la clôture du Festival elle présentait en avant-première le film Le Tout Nouveau Testament, une déconnade belge pleine d’invention d’humanité et de poésie : « Jaco Van Dormael revient sur un thème qu’il affectionne : qu’est-ce qu’on fait de sa vie ? Avec l’humour et plus particulièrement cette phrase qui me fait rire : Dieu s’emmerdait alors il a décidé de créer Bruxelles. »

Un jour elle rencontre Dries, lui offre des places, et le soir, c’est lui qu’elle choisit comme poussin : « Avant mon spectacle Une salle affaire, j’ai fait du théâtre pour enfant. L’idée de tourner Quand la mer monte est venue de Gilles Porte. Vingt ans après le one-woman show, moi je voulais parler de ce qui nous pousse à faire du théâtre. Quels sont nos rêves dans la vie ? Je voulais montrer une femme de cinquante ans à l’âge où la séduction disparaît et où les sentiments amoureux s’éloignent. »

« Dire des choses graves avec légèreté »

Le ton est donné : Yolande Moreau travaille sur le fil de l’humour. On le sait, le rire cache souvent quelque chose : « Je me sens proche des gens dont je parle, de leur vie, de quelque chose qui fait rire sans pour autant me moquer d’eux. Dans les Deschiens, on ne se moquait pas en racontant des choses sur les gens. Je ne différencie pas l’humour et la gravité ; j’aime dire des choses graves avec légèreté. »

Après Quand la mer monte, elle réalise Henri, l’histoire d’un homme qui tient La Cantina un petit restaurant dans la région de Charleroi. La lumière est grise comme dans Le plat pays de Brel. On y boit de la bière au pied des derniers terrils. Henri est taiseux, déprimé, un peu alcoolique. Au décès de sa femme, Rosette qui a un léger handicap mental vient travailler avec lui. Elle rêve d’amour et de sexualité. Une histoire va naître entre ces deux exclus de la vie : « La tendresse n’est jamais loin quand on aime les gens. J’ai de l’empathie pour mes personnages. Henri n’est pas sympathique. Il est mou comme Dries dans Quand la mer monte, mais on s’attache à cet homme. »

Le Nord comme décor, mais pas celui des faits divers...

Curieusement dans les deux films, ce sont les femmes qui se lancent comme si elles étaient en avance pour parler de leurs sentiments ou de leurs désirs : « C’est la première fois qu’on me dit çà. Je n’y avais jamais pensé. Dans Quand la mer monte, on voit comment une histoire d’amour peut nous bouleverser même si elle ne dure pas. Dans Henri  c’est vrai, l’art de vivre et la joie viennent de Rosette qui est handicapée ; elle veut aller au bout de ses rêves et les vivre. »

Les films de Yolande Moreau ont pour décor le Nord, pas le Nord des faits divers de Bruno Dumont, mais celui des improbables histoires d’amour, des mélancoliques buveurs de bière, des friteries improvisées, de la quête intime, des marginaux, des autoroutes dans la lumière blafarde, des petits bars et des chambres d’hôtel où la télé diffuse des documentaires sur la pêche à la mouche.

« Fascinant de voir comment les gens promènent leurs géants »

Ses films soulignent la culture de cette région, avec l’apparition des géants à l’instar de Quand la mer monte : « Je suis fascinée par l’univers du carnaval et du déguisement. C’est l’univers du rêve. C’est fascinant de voir comment les gens promènent leurs géants. Les défilés sont à la fois beaux et tristes. Les géants ont tous une histoire. Celui de Quand la mer monde  existe. Il s’appelle Totor et c’est Dries qui le porte dans une scène que j’aime beaucoup. On l’a offert et il continue de faire sa vie parmi les géants ». 
Quand on lui parle direction d’acteur, la cinéaste éclate de rire : « la direction d’acteurs, c’est quelques fûts de bière »…

L’œuvre de Yolande Moreau dessine un monde décalé avec d’étranges images comme les arbres qui penchent, un lieu que Yolande Moreau affectionne ; « je voulais faire un court métrage sur ces arbres penchés que j’avais repérés et que j’ai retrouvés pour le film Quand la mer monte ».

Peut-être est-ce le monde qu’il faut redresser à grand renfort de couettes à l’horizontale sur les plages de Quand la mer monte  ou d’envol de pigeons dans Henri ? Peut-être est-ce là dans ces paysages déserts et apparemment insignifiants que l’amour vient se nicher et tente de rétablir l’équilibre : « de temps en temps avec l’amour on trouve de quoi échapper à ce qui est difficile dans un monde qui va mal. C’est une belle échappatoire. »

 

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