Yannick : « Ne me séparez pas de ma fille, ne me renvoyez pas dans un pays où je n’ai personne… »

Un jeune Congolais de 21 ans comparaissait mardi 14 février devant la cour d'appel de Besançon pour aide au séjour irrégulier de trois étrangers et quelques infractions... Il a pris neuf mois et cinq d'interdiction du territoire en première instance. Le parquet réclame quinze mois et dix ans. Sa défense fait le parallèle avec le délit de solidarité de Cédric Herrou qui a écopé d'une amende avec sursis pour avoir aidé une cinquantaine de migrants...

audience

Yannick est né en 1995 à Kinshasa, République démocratique du Congo. Il est arrivé en France à 16 ans, en 2011, année de la dernière élection présidentielle qui vit la reconduction contestée de Joseph Kabila à l'issue d'une campagne émaillée de violences. Son avocate, Me Ornella Spatafora, explique aux trois magistrats composant la cour d'appel que les parents de Yannick « ont été tués lors du coup d'Etat de 2011 ».

Yannick est détenu à Besançon depuis le 5 octobre 2016, jour de sa présentation en comparution immédiate devant le tribunal de grande instance. Il avait finalement été jugé trois semaines plus tard et condamné à neuf mois ferme et cinq ans d'interdiction du territoire. Pour avoir aidé quatre jeunes Africains à séjourner en France, conduit sans permis et sans assurance, recelé quelques téléphones mobiles volés, utilisé des faux documents... 

Le parquet a fait appel. Dans son réquisitoire, l'avocat général Arnaud Grecourt réclamera quinze mois ferme et dix ans d'interdiction de territoire... « Un papier, ça va, tous... 29 infractions routières... Rébellion... Donne l'image de quelqu'un au dessus des lois... Trop, c'est trop ».

Habillé pour l'hiver prochain, Yannick.

Yannick écoute attentivement et dit : « je ne savais pas... »

L'interrogatoire au cordeau mené par les juges de la cour d'appel permet de relativiser, à tout le moins de mieux cerner le parcours du jeune homme qui répond à toutes les questions, parfois convainquant, parfois moins. Est-il célibataire ? « Je suis marié religieusement, devant un imam ». Le juge explique que ça n'est pas reconnu par la loi. Yannick a une fille de trois ans, née en France de sa compagne avec qui il vit à Valdahon.

L'évolution de sa situation vis-à-vis du séjour en France illustre la complexité procédurale : « vous êtes entré irrégulièrement en France, mais vous avez un titre de séjour vous permettant de travailler après que le tribunal administratif a annulé une obligation de quitter le territoire. Aujourd'hui, vous êtes en situation régulière en attente de fixation de votre statut », dit le juge. Yannick écoute attentivement et dit : « je ne savais pas... » Le juge poursuit : « vous avez une autorisation provisoire, il y aura un réexamen de votre situation ».

« La police m'a dit de porter plainte, mais je n'ai pas voulu... »

L'histoire qui conduit Yannick devant ses juges commence en septembre 2015 à Pontarlier. La photo d'identité des papiers d'un employé du McDo ne correspond pas. La police enquête, il ne s'agit pas de Yannick, mais d'Alex... Lui aussi de Kinshasa, il porte le même nom que Yannick, mais n'ont pas de lien de parenté. Alex donne un numéro de téléphone, la police appelle, c'est Yannick qui décroche... Il est soupçonné d'avoir fourni à Alex des documents lui permettant de trouver du travail.

Or, explique Me Spatafora, « à ce moment, Alex ne vient pas chez Yannick, et il explique avoir pris les papiers à son insu. Vous ne pouvez pas condamner en l'absence de certitude... » Yannick ajoute : « Je l'ai connu au lycée Toussaint-Louverture avant, on était souvent ensemble, je lui ai prêté souvent ma voiture. Pour les papiers, je ne sais pas comment il a fait, la police m'a dit de porter plainte, mais je n'ai pas voulu... »

La seconde personne que la justice reproche à Yannick d'avoir hébergée est un jeune Malien qu'il avait rencontré dans son pays : « quand il est arrivé en France, il n'avait aucun endroit où aller, je l'ai aidé quelques jours », dit Yannick. La troisième est est Ibrahim : « j'ai fait une demande officielle pour l'héberger car il devait venir pour mon mariage », explique Yannick. Les juges entendent et « oublient » Ibrahim. Mais pas Oumar.

« Dîtes moi, vous laisseriez votre ami dehors, vous ? »

Oumar dernier a été vu sur le balcon de Yannick lors d'une surveillance policière. Il l'aurait donc hébergé. Yannick explique : « il était au FJT, on était ami depuis trois ans, et il n'a plus eu de place... » Il s'adresse au tribunal : « Dîtes moi, vous laisseriez votre ami dehors, vous ? » L'assesseur qui mène le débat opine : « vous avez fait ça par humanité... Venons-en à l'outrage et rébellion... »
Yannick l'interrompt : « J'ai dit aux policiers : vous ne pouvez pas me mettre les menottes dans mon immeuble, devant tout le monde, je suis le seul Noir, je ne suis ni un violeur ni un dealer, je vous suivrai... »
Le juge : « les policiers ne le racontent pas comme ça, disent que vous étiez excité et faisiez des grands gestes, que vous avez tapé sur un mur... »
Yannick : « je n'ai tapé personne ».
Le juge : « vous n'êtes pas poursuivi pour coups, mais pour rébellion ».
Yannick : « j'ai dit : je vous suis, je ne veux pas passer pour un voleur pour mes voisins. On m'a tapé, j'ai eu onze jours d'ITT, Dieu me voit... »

On passe au recel de téléphones portables volés... Yannick dit être passé par le Bon coin, avoir fait affaire avec un garçon de Planoise... « Pourquoi y être retourné ? », demande le juge. « Parce que le téléphone était bloqué », dit Yannick.

Et les faux permis de conduire ? Parce qu'il y en a deux ! Contrôlé une première fois, Yannick fournit un premier document, faux. Contrôlé juste après, il en donne un autre... Embêtant... Il explique avoir passé le permis à 16 ans au Congo, n'être pas venu avec, avoir demandé aux autorités de son pays : « le consulat ne me l'a pas renouvelé, c'était 1600 euros, je ne les ai pas, j'ai demandé à un copain... »

« Regardez Cédric Herrou, il a eu 3000 euros d'amende avec sursis... »

Il y a aussi une histoire d'attestation d'hébergement par la mère de sa compagne pour obtenir un logement social. Il l'a remplie, mais c'est elle qui l'a signée... « C'est un faux parce que vous n'habitiez pas chez elle, mais avec votre amie... » Yannick a son explication : « si on n'a pas d'attestation, avec un enfant, on n'est pas prioritaire... »

C'est cette accumulation de petites entorses qui fait s'exclamer l'avocat général : « un papier, ça va, mais tous ! En France, ce n'est pas un ami ou un copain qui remet le permis de conduire, mais l'administration ! Trop, c'est trop ! C'est une attitude constamment hors la loi ».

Après avoir entendu ces échanges, un réquisitoire réclamant le durcissement des peines infligées en première instance, on se dit que les affaires de Yannick sont mal engagées. La plaidoirie de son avocate incite à une autre analyse : « Yannick vous répond sincèrement. Il n'a pas de motif crapuleux. Il a 20 ans, fait des choses pour aider des gens qui se retrouvent du jour au lendemain à la rue, des gens qui rencontrent des difficultés qui ne lui sont pas totalement inconnues... Et puis, regardez Cédric Herrou, condamné pour l'hébergement d'une cinquantaine d'Erythréens. Huit mois ont été requis, il a eu 3000 euros d'amende avec sursis... »

Elle reconnaît l'aide au jeune Malien, minimise l'affaire de l'attestation, contextualise celle des permis de conduire : « c'est impossible d'avoir le titre étranger, et il a fait des stages en auto-école ! Il n'est pas venu pour profiter de la situation, à travaillé plusieurs fois, cherche à s'insérer... Il a une vie en France, un enfant dont il s'occupe, des attaches sur le territoire, s'est construit comme adulte entre 16 et 2 ans en France... D'accord pour une sanction, mais ayez une réponse adaptée à sa situation : sa crainte, c'est l'interdiction du territoire »

Un juge interroge : « a-t-il reconnu sa fille ? » La réponse est oui. Yannick a le dernier mot : « Ne me séparez pas de ma fille, ne me renvoyez pas dans un pays où je n'ai personne... »

Jugement mis en délibéré au 21 février.  

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