La vie politique et festive du petit village de Vandoncourt, situé dans l’agglomération de Montbéliard dans le Doubs, est profondément marquée par le tournant des élections municipales de 1971. Cette année-là, la liste victorieuse annonçait la couleur : « Démocratie, contrôle populaire et autogestion ». Plus de 45 ans après, nous sommes loin du Grand Soir, mais la commune dispose toujours d’outils favorisant une gouvernance ouverte et collective. Et à la mairie, tout le monde se revendique encore de l’héritage de Jean-Pierre Maillard-Salin, l’instigateur de cette petite « révolution culturelle ». Quand l’ancien instituteur est rentré d’une tournée dans plusieurs pays de l’océan Indien en tant que responsable d’un mouvement de jeunesse, il a retrouvé son village un peu trop endormi à son goût. Inspiré par le conseil des Sages, qu’il avait pu observer à Madagascar, et motivé par un conflit entre certains parents d’élèves et le maire, il décide de monter une petite équipe pour en finir avec les pratiques « vieux jeu » de l’ancien édile.
Ensemble, ils sondent les villageois pour connaître leurs aspirations avec le mot d’ordre « Vos souhaits seront notre programme : Voter pour nous c’est voter pour vous ! ». Une fois élus, ils vont encourager le public à prendre la parole pendant le conseil municipal, qui se contente de valider les décisions de huit commissions thématiques
Un des premiers bâtiments publics construit en ossature bois et isolé en paille
Il souhaite pérenniser l’action de son prédécesseur, mais bien des choses ont changé. Si les huit commissions extra-municipales existent encore, les conseils des jeunes et des vieux n’existent plus, remplacés par un foyer des jeunes et un club du troisième âge. Seul le conseil des associations est encore actif, et il reflète le très fort dynamisme du village, qui compte pas moins de 28 associations pour environ 850 habitants. « Il n’y en a pas autant par hasard, les gens aiment se retrouver ensemble. Il y a un gros potentiel de forces vives pour les grands événements, on compte 200-300 bénévoles pour le trail, la balade gourmande, pareil pour le spectacle de sons et lumières ». Ces manifestations culturelles représentent une grande réussite pour les villageois, très fiers aussi de La Damassine. C’est l’un des premiers bâtiments publics en France à être construit en ossature bois et isolé en paille, dans lequel on retrouve un pressoir municipal, une miellerie, divers ateliers et animations, une cuisine pédagogique, etc.
Ce qui rend la gouvernance de ce village un peu particulière commence dès l’ouverture du courrier. Pour mettre l’équipe municipale au même niveau d’information, les élus lisent ensemble toutes les lettres adressées à la mairie ou au maire lors d’une réunion hebdomadaire. Les habitants sont régulièrement invités à participer aux commissions. L’une d’elles prépare le budget et présente les grandes lignes lors d’une réunion publique avant le vote du conseil. Des rendez-vous citoyens sont aussi organisés autour de différents sujets ; un débat a par exemple été organisé sur la question de la gestion forestière. Le maire souligne aussi l’importance des chantiers participatifs pour la vie dans le village. Il cite celui de la clôture et de la cabane du mouton (qui a intégré le village pour débroussailler des espèces verts) ou encore la tradition de fleurissement collectif du village.
L’enthousiasme des débuts semble en effet difficile à maintenir
Lors d’une réunion de la commission culture à laquelle nous avons pu assister en février, , il y avait une dizaine de personnes, dont beaucoup de responsables associatifs. Il y était notamment question du numéro 109 de L’écho du village, un semestriel dans lequel les habitants peuvent proposer un article (la mairie édite aussi un petit bulletin mensuel sur ses actions), d’une exposition programmée dans les bureaux de vote pour les prochaines élections ou encore de l’invitation d’un poète. La commission a aussi décidé ce jour là d’installer des fourreaux aux entrées du village pour y encastrer facilement des panneaux annonçant les événements culturels locaux, d’inviter un poète prochainement et de fixer un rendez-vous citoyen pour évoquer les conséquences de l’intégration de la commune avec 72 autres dans la grande agglomération de Montbéliard. Malgré ce dynamisme, beaucoup regrettent de retrouver toujours un peu les mêmes aux commissions, dans lesquelles se rendent au total entre 30 et 40 personnes.
L’enthousiasme des débuts semble en effet difficile à maintenir. « Il y a une certaine démobilisation, expliquée par une certaine confiance aussi. Des gens me disent : c’est bien ce que vous faites, alors ça ne sert pas à grand-chose que je vienne aux réunions », indique le maire. De plus, l'évolution sociologique du village n’a pas vraiment facilité la transmission de cette expérience. Principalement peuplée dans les années 70 d’agriculteurs ou des travailleurs de Peugeot, la commune, qui n’est qu’à quelques kilomètres de la Suisse, compte maintenant beaucoup de frontaliers, qui s’impliquent peu dans la vie locale. Les jeunes ne sont pas non plus au rendez-vous.Malgré les quelques trentenaires impliqués, la relève est donc loin d’être assurée.
Un référendum pour décider
l'installation d'une épicerie en 2002
Pour préserver cette culture participative, les nouveaux Damas, le nom des habitants de Vandoncourt, sont conviés tous les ans à une réunion de présentation du village. Ses atouts sont passés en revue par quelques élus et membre d’associations : le verger de 5.000 arbres fruitiers, le gîte communal, le centre de vacances, l’épicerie, dont l’installation en 2002 avec l’aide de la mairie a été décidée par un référendum, les festivités, les chantiers, etc. Si le pasteur du village a pu se présenter aux nouveaux habitants, aucun mot n’a en revanche été prononcé à propos de l’originalité démocratique du village...
Le maire reconnaît après coup une erreur, mais cet oubli semble surprenant. « On ne voit plus notre particularité, cela fait partie du décor, on en parle moins, mais on aurait dû », souligne pour sa part Brigitte Cottier, adjointe au maire. C’est dommage en effet, parce que parmi la quinzaine de nouveaux habitants, très peu étaient au courant du fonctionnement particulier du village. Lise, elle l’avait découvert sur Internet avant son installation ici il y a 6 mois. « Je n’ai pas eu l’occasion de ressentir tout ça, ni eu le temps pour l’expérimenter. J’ai d’autres préoccupations pour le moment, mais j’espère pouvoir m’impliquer », assure-t-elle après la réunion. Les autres n’auront pas eu l’information.
Une vie sociale que l’on ne retrouve pas
dans d’autres villages résidentiels... mais
40 % de votes FN aux dernières élections...
Pour préserver le dynamisme du village, les nouveaux arrivants ont plutôt été invités à s’engager dans l’une des nombreuses associations ou pour aider au bon déroulement des diverses manifestations ou fêtes, considérées comme la « clé de voûte » ayant permis depuis toutes ces années aux habitants de se connaître et de faire des choses ensemble. Ce que Jean-Pierre Maillard-Salin a réussi, c’est de mettre tout le village en mouvement. « C’était un moteur extraordinaire, il faut savoir s’appuyer sur les forces vives du village. Il disait, ton idée est super, c’est bien, mais tu t’en occupes », songe Yves Montavon, un compagnon du début. Mais pour lui, sa plus belle période restera sans doute 71-77, « quand il fallait tout mettre en place. »
Michel Marchand est revenu dans son village pour sa retraite après un mandat d’adjoint auprès de Jean-Pierre Chevènement à Belfort. « Quand on prenait une décision, c’étaient les employés qui les mettaient en œuvre, ici, chacun le fait sur son temps bénévole. Cela repose sur la bonne volonté des uns et des autres. Le budget est étroit, il faut mutualiser les moyens ». Il est président de l’association du Temple de Vandoncourt, qui a organisé des concerts pour la rénovation de l’édifice. « Quelqu’un s’est proposé pour faire les affiches, les tracts, l’accueil, la pâtisserie, etc. Chacun y apporte sa pâte et cela donne une émulation assez intéressante. »
Pour Isabelle Hegge, ici depuis quatre ans, « il y a une vie sociale que l’on ne retrouve pas dans d’autres villages résidentiels. Mais cela n’empêche pas les désillusions, il y avait 40 % de votes FN aux dernières élections. J’ai du mal à comprendre ce décalage entre ce village qui vit de façon solidaire et ce vote protestataire, de la peur d’être déprécié, la peur de l’étranger. » Si certains ne se font plus trop d’illusions sur la poursuite de cette expérience, ou se reposent un peu trop sur leur héritage, ce bouillonnement de démocratie directe et d’autogestion berce encore l’imaginaire des Damas.
Guillaume Clerc (Lutopik)