Vaites, le dilemme juridique d’une procédure parallèle

Le tribunal administratif de Besançon examinait jeudi 2 mai une demande de suspension des travaux en procédure d'urgence déposée par des associations et des riverains. La décision, attendue pour vendredi ou lundi, devra notamment arbitrer entre la contestation de l'intérêt public majeur à détruire des habitats d'espèces protégées et l'utilité publique d'un projet allant jusqu'à 1800 logements.

Coline Maillard-Salin, l'avocate de FNE-25-90, de l'association Jardins des Vaîtes et de deux riverains: « sans utilité publique, il n'y a pas d'intérêt public majeur... Avec utilité publique, il peut y avoir intérêt public majeur... » (Photos Daniel Bordur)

A la fin de l'audience de référé du tribunal administratif, ce jeudi 2 mai, le premier vice-président Laurent Boissy ne cache pas qu'il a encore besoin d'un peu de temps pour bien réfléchir à la demande de suspension en urgence des travaux d'aménagement de l'écoquartier des Vaîtes, autorisés par un arrêté préfectoral du 18 mars qui allait à l'encontre de l'avis défavorable du CNPN, le conseil national de la protection de la nature du ministère de l'Environnement. A l'issue des exposés des avocats, Laurent Boissy explique la complexité du casse-tête qui se pose à lui alors qu'une autre procédure sur le projet est encore en cours, sur le fond, devant la cour administrative d'appel de Nancy : « Je dois décider s'il y a un intérêt public majeur [à déroger à l'interdiction de destruction d'habitats d'espèces protégées] alors que je ne suis pas sûr qu'il existe une utilité publique [au projet des Vaîtes]», explique-t-il.

Et pour bien se faire comprendre ajoute : « un projet déclaré d'utilité publique a-t-il un caractère d'intérêt public majeur au sens de l'environnement ? C'est la question car il n'y pas de superposition des deux notions ». Ainsi va le droit quand la biodiversité et le réchauffement climatique surgissent dans les textes, mettent en mouvement des citoyens, bousculent les habitudes. Coline Maillard-Salin, l'avocate de FNE-25-90, de l'association Jardins des Vaîtes et de deux riverains, traduira le dilemme après l'audience : « sans utilité publique, il n'y a pas d'intérêt public majeur... Avec utilité publique, il peut y avoir intérêt public majeur... »

Que le magistrat administratif se pose cette question n'est pas pour déplaire à Me Maillard-Salin. Cela signifie notamment qu'il cherche à rendre une ordonnance juridiquement solide, et donc qu'il examine d'abord cette question de droit. Les non juristes la trouveront peut-être superfétatoire. Elle n'en est pas moins réelle.

« Aucune urgence à créer 1080 logements puis 1800 à terme à Besançon »

Coline Maillard-Salin avait d'abord justifié l'urgence de la demande parce que les travaux ont débuté. Elle souligne la contradiction entre la position du préfet « qui dit que les travaux les plus importants ont déjà eu lieu alors que ce n'est pas le cas » et la société publique locale Territoire 25, aménageur mandaté par la ville, « pour qui des travaux auront lieu en octobre prochain, ce qui signifie que des travaux urgents vont avoir lieu » ! Surtout, elle insiste sur leur caractère « irréversible » et s'appuie sur l'avis défavorable du CNPN qui déplore l'insuffisance des inventaires : « comment dire que des espèces ne sont pas menacées alors qu'on ne les connait pas ? »

L'avocate défend en outre l'idée selon laquelle il n'y a « aucune urgence à créer 1080 logements puis 1800 à terme à Besançon : il n'y a pas de problème de logement à Besançon dont la population stagne, que 800 logements sont en construction au quartier Vauban... » Elle regrette aussi ne pas avoir eu communication de l'étude Tayeb-Adéquation sur laquelle s'est basée la ville pour affirmer le contraire. Et conclut : « il n'y a pas d'intérêt public majeur de faire revenir des habitants des première et seconde couronnes, c'est un objectif politique ».

« s'il n'y avait pas d'impact significatif,
il n'y aurait pas besoin de demander une dérogation ! »

Elle invoque une seconde fois l'avis du CNPN et reprend à son compte qu'il ait souligné « l'insuffisance des compensations : on ne compense plus, on déporte sur une zone existante, déjà occupée. Il est ainsi surprenant que la colline des Bicqueys soit considérée comme évitement [des impacts] alors qu'elle est hors de la zone. Et on n'a sauvé que deux arbres à cavité sur treize ! » Autrement dit, il y a un véritable impact écologique des travaux.

C'est presque ce que dira Philippe Pagniez, représentant de la DREAL : « s'il n'y avait pas d'impact significatif, il n'y aurait pas besoin de demander une dérogation ! » Une explication à double tranchant de la part d'un fonctionnaire, spécialiste de biodiversité. Certes, il tempère son propos en expliquant qu'il n'y a plus de milieux naturels, mais que si « le site est marqué par l'anthropisation », il reste « une enclave verte ».

A l'entendre, il n'y pas vraiment de bonne solution : « quelle que soit la période de travail, il y a un impact. Il faut donc rechercher le moindre impact... » Il pointe aussi quelques limites, la marre « pas encore fonctionnelle » donc pas « propice à l'accueil des animaux » déplacés dont il note cependant la « capacité de résilience : ils s'adaptent… » Il dit encore que « les espaces de compensation sont saturés... » S'il ne représentait pas l'Etat, on aurait juré qu'il était un allié objectif des demandeurs de la suspension des travaux...

Cinq millions déjà engagés dans les travaux

Avocat parisien spécialisé en droit de l'urbanisme, Guillaume Ghaye a tenté de démonter les arguments de Coline Maillard-Salin qu'il a plusieurs fois, maladroitement, appelée son « confrère »... Estimant l'avis du CNPN trop bref (deux pages) et « non structuré », il évoque un « climat délétère », un « contexte local tendu », s'appuyant sur des écrits radicaux suggérant par exemple de « couler Fousseret dans le béton », insinuant une parenté avec le troc-plante « festif mais aussi résistant », ce qui fait sourire dans la salle.

Il conteste la capacité, voire l'intérêt à agir en justice de ses adversaires. Il assure qu'il ne faut « pas suspendre un projet d'intérêt général » et affirme que « les travaux qu'on nous reproche ont déjà été réalisés ». Il trouve que le mémoire de son adversaire (52 pages) est trop gros pour « faire valoir l'illégalité : ça ne va pas avec l'urgence ». Il estime aussi que la « contestation de l'intérêt public majeur » relève non de la procédure en référé mais de l'appréciation du « juge du fond ». Egalement saisi par Me Maillard-Salin, celui-ci ne se prononcera pas avant plusieurs mois, aucune audience n'étant fixée.

Me Ghaye reprend aussi les arguments politiques et économiques du maire et de l'adjoint à l'urbanisme : « l'écoquartier est indissociable du tram, avec deux stations dont l'objet est d'engager un développement urbain prévu depuis plus de quarante ans ». Il cite Jean-Louis Fousseret dans un entretien au bulletin municipal BVV : « le projet est destiné à éviter le déclin de la ville ». L'avocat évoque même du glyphosate dans le sol des Vaîtes, le mettant sur le compte des jardiniers, ce qui est contesté de l'autre côté de la barre : « vous n'avez pas de pièces pour le démontrer ».

C'est alors que le juge Boissy présente le dilemme entre intérêt public majeur et utilité publique. Puis il pose une question qu'il présente lui-même comme « naïve » : « tout le projet tomberait-il si la dérogation était suspendue ou annulée ? » Me Ghaye répond en s'exclamant : « bien sûr, il est irréversible avec le tracé du tram ! Il n'y a pas d'autre plan possible ! » Et de sortir une carte du quartier sur laquelle se penchent avocats et parties. On en tirera au moins une information : 5 millions ont déjà été engagés dans les travaux...

Délibéré annoncé ce vendredi ou « lundi au plus tard ».

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