Urgences au CHU : « c’est aujourd’hui que ça craque »

Au moins 62 services d’urgences sont en grève, dont ceux de Besançon, en grève illimitée depuis le 14 mai, Vesoul, Pontarlier et Lons-le-Saunier. A bout, les soignants dénoncent un manque d’effectifs et des conditions de travail dégradées. À l’hôpital Jean-Minjoz, la suppression d’un poste d’infirmière de nuit a été le déclencheur, six mois après un mouvement entamé suite à la tentative de suicide d’un médecin. Une action est prévue jeudi de 13h à 15h devant l’hôpital.

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« On est là en solidarité pour nos collègues ». Les deux femmes ne sont pas directement touchées par le mouvement de grève illimité qui impacte le service des urgences du CHRU de Besançon. L’une est aide-soignante d’un autre service et l’autre travaille à la restauration. Elles sont toutes deux à la CGT, qui a appelé, comme les quatre autres organisations syndicales de l'établissement, à cette mobilisation. « C’est devenu compliqué de travailler dans le service des urgences qui est en sous-effectif. La direction colmate les brèches, mais ce n’est pas assez rapide pour le personnel », indiquent celles qui préfèrent rester anonymes par peur des représailles. Ils sont plusieurs dans ce cas et font passer le message que la direction surveille ce qui se dit sur le groupe Facebook des urgentistes de Besançon en grève, Les urgences brûlent.

Cette grève est massivement suivie. Le collectif Inter Urgence, qui regroupe l’ensemble des services impactés par la grève qui se propage dans tout le pays suite à celle menée avec succès à l’APHP, l’administration des hôpitaux de Paris, recense aujourd’hui dans sa carte 62 services d’accueil des urgences en grève à travers la France. Sur cette liste, on retrouve Pontarlier, Vesoul et Lons-le-Saunier pour la Franche-Comté. Tous dénoncent des conditions de travail intolérables et incompatibles avec une bonne qualité de soins. « Après la saturation des services, c’est la saturation des personnels », explique Samu – Urgences de France, un syndicat des professionnels des structures de médecine d’urgence, dans une lettre adressée le 21 mai à la ministre de la Santé, Agnès Buzyn.

Quatre postes vacants aux urgences de Besançon

À Besançon, c’est la suppression d’une infirmière de nuit qui a mis, une nouvelle fois, le feu aux poudres. Les urgences étaient déjà en grève en automne dernier, quelques mois après la tentative de suicide d’un médecin dans les locaux de l’hôpital. La direction avait alors créé le nouveau poste, mais ne souhaitait le conserver que durant la période hivernale. Pour le personnel, c’est la colère et l’incompréhension. En raison de difficultés de recrutement et du turn-over, il y a d’ailleurs quatre postes toujours vacants, deux infirmières et deux aides-soignantes pour le jour et la nuit. Aujourd’hui, le manque de personnel est tellement criant que les équipes du SMUR (Service mobile d’urgence et de réanimation) sont mobilisées par la direction pour venir en aide à leurs collègues situés un étage au-dessus afin de permettre au service de fonctionner malgré tout. « C’est un renfort aléatoire. Les équipes SMUR peuvent sortir en intervention à tout moment. Si leurs bips sonnent, ils sont obligés de tout lâcher », s’alarme Yannick Klein, infirmier anesthésiste et représentant CGT au CHSCT (comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail).

« Il n’y a qu’une infirmière la nuit dans les salles d’examens pour prendre en charge dix patients. Si on compte 30 minutes par patient, faites le calcul… Les gens attendent minimum 4 à 6 heures pour être pris en charge. On fait ensuite une prise de sang, et il faut encore 2 heures pour obtenir les résultats. Et après ils attendent encore éventuellement les médecins. Les gens passent au minimum 6 à 8 heures aux urgences, certains toute la journée. Ce n’est pas possible », enrage une infirmière du service qui alerte aussi sur le cas de personnes âgées parfois obligées d’attendre quatre heures sur un brancard.

« Combien sont partis ou sont en burn-out »

« La direction pourra dire qu’elle a embauché tant de personnes, mais combien sont parties ou sont en burn-out ? », réplique un infirmier anesthésiste au SMUR, dont 100 % du personnel était en grève vendredi dernier à l’occasion d’un rassemblement devant le service. Et si lui préfère parler d’un gros ras-le-bol plutôt que d’un burn-out, il connaît personnellement le problème du surmenage. « En juillet l’année dernière, j’ai demandé un arrêt de 15 jours. Le médecin m’a arrêté trois mois, mais quatre mois d’arrêt n’ont pas été de trop. C’était nécessaire pour mon équilibre psychologique, et je pense que nous sommes des gens plutôt équilibrés. C’est très difficile d’accepter cette situation. J’ai toujours entendu que l’hôpital était la vitrine de l’hôpital. Et ben elle n’est pas belle la vitrine... »

Cette infirmière n’est pas en grève, mais a tenu à être présente au rassemblement. « Je suis quelqu’un de très carré, rigoureuse dans mon travail. Les gens sont essoufflés de toujours donner : la situation de sous effectif est épuisante pour le personnel qui veut s’investir dans le service. On ne peut pas accomplir le travail de plusieurs personnes. C’est difficile sur le plan psychologique parce qu’on a l’impression de ne pas faire notre travail correctement, et sur le plan physique parce qu’on a trop de patients en charge. On parle de nombre de patients journaliers, mais pas en termes de soins. Que sait-on des soins à apporter quand on nous parle de 20 entrées par jour ? Une mamie peut avoir besoin d’être changée régulièrement, d’être relevée ».

« On attend un soutien de la population »

La portée du débrayage est limitée. Car même en grève, le personnel ne peut pas cesser le travail et ils ne disposent pas de moyens de blocage, comme pourraient le faire les routiers par exemple. Certains soignants exercent avec un petit panneau accroché à leur blouse : « Je suis en grève. Mais je soigne ! » « C’est compliqué, on est presque tous réquisitionnés. C’est comme un service minimum. La grève se matérialise avec des actions comme celle de ce soir, on tracte pour nos collègues. C’est difficile d’avoir un impact, on essaie de faire passer nos messages et on attend un soutien de la population », précise Florent Uzzenni, infirmier au Samu et qui consacre un mi-temps à la section syndicale Sud santé sociaux. La grève ne semble pas près de s’arrêter.

Une autre action symbolique avait lieu dimanche 19 mai devant de nombreux services d’urgences, dont celui de Besançon : une mise en scène de suicide collectif des infirmières qui braquaient une grosse seringue sur leur tempe. « C’est aujourd’hui que ça craque, pas dans un an. On demande du personnel supplémentaire, un infirmier et une aide-soignante pour le jour et la nuit, la stagiairisation des contractuelles pour une reconnaissance du statut de fonctionnaire, et une revalorisation salariale de 300 € », revendique Florent Uzzenni. Contactée, la direction refuse de communiquer quoi que ce soit et ne donne même pas les chiffres de la grève, très suivie. Elle a seulement mentionné un taux de 40 % de grévistes le premier jour. Un chiffre pipé pour le syndicaliste. « On n’était pas encore organisés. Et ce taux ne prend pas en compte les grévistes du service de nuit, pourtant comptés dans la base du calcul », explique-t-il. « S’il y a moins de 80 % de grévistes, je serais très surpris », assure Florent Uzzenni.

« Ce service cristallise les difficultés, il reçoit les patients les plus lourds. Pour que le personnel se mette deux fois en grève en six mois, c’est qu’il y a une vraie souffrance et une vraie envie de rentrer chez soi le soir en se disant que l’on a fait un bon travail. Il y a quinze ans, on ne se demandait pas ce que l’on avait oublié, en se disant que ce que l'on a pu accomplir n’était peut-être pas suffisant. Tous les jours, certains attendent 20 h sur un brancard qu’un lit se libère à l’hôpital », termine Florent Uzzenni. Une autre action est prévue jeudi 23 mai de 13h à 15h devant l’hôpital et une délégation se rendra samedi à Paris pour participer à l’AG nationale des services d’urgences en grève.

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