Une semaine de grève au lycée Condé

La majorité du personnel de l'établissement bisontin est en grève depuis la rentrée pour dénoncer la réponse du rectorat à des situations de harcèlement. Une enseignante a été hospitalisée après une visite du recteur qui a dépêché un inspecteur sur place. Après une manifestation lundi, le CHSCT prévu le 23 septembre a été avancé à vendredi 11. Trois plaintes visant le proviseur ont été déposées cette semaine.

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En grève depuis la rentrée, une majorité des personnels du lycée professionnel Condé de Besançon, sont sur les nerfs. La situation que les représentants du personnel ont dénoncée dès le mois de juillet au rectorat n'a pas bougé d'un iota. Trois femmes, deux agents et une enseignante se plaignaient de harcèlement de la part du proviseur. Harcèlement moral, harcèlement sexuel, dénigrements. Une rencontre avait eu lieu en août au rectorat. « On nous a proposé seulement des personnes auprès de qui s'exprimer, de parler au proviseur. Ce ne sont pas des décisions à la hauteur », dit une représentante syndicale qui préfère rester anonyme : « J'ai peur des représailles... Il y a cinq jours, je ne vous aurais pas parlé ».

Lors de la pré-rentrée, la grogne couvait : « on avait espéré un changement », lâche-t-elle. Celui du proviseur ? « Par exemple, ça aurait été une bonne chose... » La jeune retraitée Nadine Castioni, secrétaire du CHSCT académique jusqu'en août, n'est pas surprise que ça ne se soit pas produit : « quand il y a un problème avec un prof, on sait comment ça se passe : suspension conservatoire, enquête, et s'il y a lieu un conseil de discipline peut prononcer une sanction. Des gens ont été rétrogradés, notamment après les grèves de 2010...  Quand le problème est avec un chef d'établissement, c'est plus compliqué. L'administration les protège, sans doute parce qu'il n'y en a pas beaucoup. Et quand ils donnent toute satisfaction comme le proviseur de Condé, on les garde. C'est lui qui avait procédé à la fusion des lycées Fernand-Léger et Louis-Garnier d'Audincourt, sans état d'âme. L'administration était contente de son travail, mais ça s'est mal passé pour les personnels... »

Mise sous tutelle ou mesure dilatoire ?

« On s'attendait à des mesures conservatoires », dit aussi Nicolas Demortier, prof de lettres-histoire au lycée Pontarcher de Vesoul et secrétaire académique du Snetaa-FO, le premier syndicat de l'enseignement professionnel. Autrement dit, la mise à l'écart du proviseur, mais elles n'est pas venue et la grève a éclaté le jour de la rentrée. Le lendemain, le recteur se rendait au lycée. Il a notamment évoqué l'absence de plainte devant la justice pour justifier l'absence de mesures. Il a aussi « mal pris le mouvement », poursuit M. Demortier. « Cela faisait plusieurs mois qu'il y avait des témoignages, notamment un rapport du médecin-conseil du rectorat, mais le recteur l'a déjugé en l'estimant "maladroit". C'est très grave. Il a stigmatisé l'action des personnels, parlé de calomnie... Ça a entraîné le départ de la collègue aux urgences ». Et le vote de la poursuite de la grève en AG.

La FSU dénonce le « dogme de la solidarité administrative »

Dans un communiqué titré « Éducation nationale : des personnels den danger », la FSU, premier syndicat du secteur, demande au ministère une enquête administrative, parallèle à la saisine du CHSCT.
La FSU reproche au recteur son attitude lors de sa venue au lycée Condé : «  Loin de manifester écoute et compréhension, [il] a condamné [la] "mise en cause publique de l'honneur d'un chef d'établissement", tout comme "l'instrumentalisation" qu'en feraient certains. La demande d'ouverture d'une enquête administrative portée par les personnels a été refusée, ce que l'enseignante concernée par le harcèlement n'a pas supporté. »
« Au regard d’autres cas qui se sont produits dans notre académie, il est préoccupant de constater les "difficultés" qu’ont les services rectoraux à prendre les mesures à même de résoudre les dysfonctionnements graves qui touchent certains établissements. La défiance envers les personnels et les organisations syndicale qui les représentent est l'une des clés d'explication, ces dernières étant systématiquement accusées de mettre de l'huile sur le feu. Les réticences du rectorat à laisser les Comités Hygiène et Sécurité jouer pleinement leur rôle et le dogme de la "solidarité administrative" sont le corollaire de cette défiance et amènent aux impasses que l'on peut constater. »

Le recteur n'en convoque pas moins le lendemain un CHSCT pour le 23 septembre afin « de mettre en place une délégation d'enquête interne ». Il missionne sur place le doyen des inspecteurs pour « assurer un suivi quotidien de la situation » (lire ici). Cela peut être considéré comme une mise sous tutelle du proviseur, mais aussi comme une mesure dilatoire destinée à donner du temps au temps... C'est ainsi que l'entendent les personnels de l'établissement qui durcissent leur mouvement, d'autant que l'enseignante présumée harcelée se voir proposer un poste de remplaçante, hors du lycée donc, qu'elle refuse, le ressentant comme une sanction.

La manifestation provoque l'avancement du CHSCT

Lundi 7 septembre, ils défilent dans Besançon, accompagnés de quelques élèves et de soutiens d'autres établissements et secteurs d'activité. Olivier Coulon, prof à Condé et secrétaire académique de la CGT-Education, parle de « la détresse » des trois personnels concernés. « On demande au rectorat de reconnaître la situation de harcèlement et de donner des garanties de sécurité pour que le travail reprenne ». Le recteur comprend qu'il y a le feu et avance le CHSCT à vendredi 11 septembre (voir ). Mais les grévistes ne lâchent rien : « on veut une enquête administrative et une mesure conservatoire », dit une déléguée.    

Ils auront probablement l'enquête, non pas administrative, mais interne au CHSCT. Laurent Lécuyer (Snes-FSU), désormais en charge du secrétariat de l'instance, prof de sciences industrielles de l'ingénieur au lycée de Champagnole, est prudent quand nous l'interrogeons : « les collègues de Condé sont dans la rue, ont fait remonter beaucoup de choses, mais le CHSCT n'a pas encore travaillé le sujet ». Saisi au début de l'été du suicide d'un enseignant du lycée Cournot de Gray, le CHSCT avait nommé une commission de travail qui est bien occupée : « il y a déjà eu plusieurs réunions, mais aucune échéance n'est fixée... Cela va nous faire deux situations compliquées en temps très court. Aura-t-on assez de temps, de moyens ? On y verra plus clair lors de la réunion de vendredi. Cela va sans doute demander du temps, mais va-t-on pouvoir en dégager ? Cela impacte forcément le temps de travail devant les jeunes. Il y a des possibilités, mais comment les organiser dans les services des collègues ? S'il y a des moyens de remplacement dans les établissements, l'impact sera réduit... Mais  je ne peux pas anticiper ».

« Des réformes ont impacté des gens »

Des lectures et une émission de radio pour approfondir
- Souffrance au travail des enseignants et pistes de prévention, par l'Association nationale pour l'amélioration des conditions de travail.
- Le stress des enseignant, dossiers du mensuel Sciences humaines.
- Professeur à l'arrêt, un documentaire de France culture.

Les deux cas de Gray et de Besançon cachent-ils des situations plus nombreuses ? « C'est plus compliqué que oui ou non », répond M Lécuyer, « il y a de la souffrance au travail, mais je ne pense pas qu'on connaisse tous les cas. Des réformes ont impacté des gens, pas seulement des enseignants, aussi des personnels administratifs et des agents ». Psychologue clinicienne indépendante, Chantal Gaidry tient une consultation pour les personnels du Doubs mise en place par la MGEN, la mutuelle de l'Education nationale. L'an dernier, elle a reçu 46 personnes (dont 44 femmes) : « elles se partagent pour moitiés entre les difficultés personnelles et les problèmes professionnels. Et même si les schémas sont poreux, les demandes sont claires ».

Qu'entend-elle ? « Des problèmes d'intensité du travail, des exigences émotionnelles, des rapports sociaux et des relations de travail de mauvaise qualité ». Estime-t-elle que le rectorat a préféré protéger un harceleur plutôt que des victimes ? « C'est plus compliqué que ça. Il faut une plainte ! Que la justice soit saisie, ce sont des accusations graves... » N'est-ce pas difficile de porter plainte ? « Pour une victime, c'est compliqué, c'est difficile d'oser dire ». Pour Olivier Coulon, « quand on a identifié le mal, il est déjà profond... »

« L'impression que la souffrance n'est pas entendue »

La maltraitance est-elle institutionnelle ? On est enclin à le penser en entendant certains témoignages : « on a l'impression de ne pas être écoutés, que la souffrance n'est pas entendue », dit une professeure. « Les gens ont l'impression que s'ils ne sont pas soutenus par leurs collègues, qu'ils ne pourront pas porter plainte. Dans le privé, on démissionne... A Condé, la solidarité a été longue à se mettre en place, j'ai su très tard que la collègue était harcelée. On n'est plus dans un climat de confiance. C'est difficile à croire, mais il m'est arrivé d'interrompre une conversation à l'arrivée de certains... Pourtant Condé n'est pas un lycée difficile ».

Pour Nadine Castioni, « c'est difficile pour les gens de témoigner. Ils en parlent en vis-à-vis, mais pas pour un signalement au CHSCT. C'est difficile à mesurer. Dans l'enseignement professionnel où il y a eu des réformes, des fermetures de filières, des gens sont particulièrement en souffrance : on ferme leur poste et on les envoie dans d'autres formations, sur des postes de remplacement, en collège, parfois enseigner des matières pour lesquelles ils ne sont pas formés...» Si le rectorat n'a pas de médecin de prévention ni de médecin du travail, il a recruté une psychologue du travail et dispose d'assistantes sociales. 

Les trois plaintes ont été finalement déposées : deux lundi, une mardi.

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