Une exposition pour aider à enseigner la Shoah

 L'école supérieure du professorat et de l'éducation de Besançon accueille Enfants juifs à Paris, 1939-1945, jusqu'au 6 février. Une dizaine de panneaux avec un document et un court texte font le tour de l'essentiel à savoir pour aborder ce sujet parfois difficile à évoquer devant de jeunes élèves.

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Comment enseigner la Shoah ? Comment l'enseigner à l'école primaire ? Comment échapper à ce que Boris Cyrulnik appelle la « double contrainte » ? Éviter le traumatisme de la parole et l'angoisse du silence ? L'association Yad Layeled - La Main de l'enfant - a conçu le support pédagogique d'une exposition soutenue par un livret : Enfants juifs à Paris, 1939-1945.

Une dizaine de panneaux avec chacun une photo et un court texte, un mot clé. L'immigration, le sauvetage, la solidarité, la déportation, la mémoire... Des enfants jouent devant un magasin juif avant la guerre, des enfants juifs dans une famille d'accueil à la campagne, un dessin terrible où des enfants arrivent au camp de Drancy, les Justes... L'essentiel est dit sobrement, à travers des histoires de vie. Un panneau est dédié à un aspect régional. L'exposition qui passe par Besançon montre ainsi des skieurs dans le Risoux : l'interception de passeurs par des douaniers allemands à la frontière franco-suisse entre Mouthe et la vallée de Joux. Est-ce un sourire fait au photographe ou un rictus d'effort que l'on voit sur un visage ? 

 

L'expo a été présentée mercredi 27 janvier, anniversaire de la libération d'Auschwizt par l'Armée rouge, par ses conceptrices aux étudiants de l'ESPE, l'école supérieure du professorat et l'éducation. Un peu coincée dans le couloir jouxtant le centre de documentation, elle est ouverte au public jusqu'au 6 février. C'est en historien que le recteur Jean-François Chanet l'a découverte avant de prononcer quelques mots aux étudiants réunis dans l'amphithéâtre : « J'ai succédé, à l'université de Lille 3, à un enseignant qui avait la sensation du linge qui le couvrait dans la boue... Je suis originaire d'Auvergne où des familles très simples ont accueilli des enfants juifs. L'évêque de Clermont-Ferrand avait accepté le régime... et aidé des familles juives. J'apprécie le choix des documents de cette exposition, appropriez-vous les, sachez pourquoi vous les prenez. Vous aurez la tâche difficile de faire comprendre la différence entre histoire et mémoire ».

« Il n'y a pas d'histoire sans présent »

Quelle est-elle ? « La mémoire est particulière quand l'histoire est universelle. Nous ne sommes pas là pour cultiver une histoire particulière, mais dire que l'injustice faite à des enfants ou à une population car elle était cette population, résonne dans notre présent : il n'y a pas d'histoire sans présent. Il y a eu des responsabilités et des culpabilités à cette époque. Il y a l'histoire et le droit dans les parcours d'enseignement moral et civique que vous aurez à aborder... »

Galith Touati présente l'exposition au recteur Jean-François Chanet. Derrière Marc Dahan apprécie.

 

Le recteur n'est pas qu'historien, mais aussi recteur. Représentant du ministère. Mais l'historien n'est jamais loin : « l'histoire de la Shoah pose aussi le problème de la laïcité, et, de ce fait, trouve un écho particulier : la même religion reste une cible et les juifs sont visés en tant que tels. Le fait qu'ils ne soient pas les seules victimes ne doit pas faire oublier l'antisémitisme ». Un instant plus tard, dans un entretien filmé, le psychanalyste Boris Cyrulnik nuance - pour les vivants - en préférant employer le mot « blessés » à celui de « victimes ». Mais il est déjà dans la réparation des personnalités psychiques.

Jean-François Chanet poursuit son adresse aux futurs enseignants : « Vous aurez à vous poser le problème des relations entre les disciplines. L'histoire est en dialogue avec la géographie, la sociologie, la littérature, l'histoire de l'art... Une partie des débats actuels porte sur ce que doit être, ou ne pas être, l'interdisciplinarité. Et cette exposition montre les vertus intellectuelles, pédagogiques, de l'interdisciplinarité ».

Des passeurs du Risoux interceptés par des douaniers allemands alors qu'ils traçaient une piste pour franchir la frontière suisse à Mouthe...

 

La dimension du problème laisse l'auditoire muet tout autant qu'attentif aux propos de Galith Touati, de Yad Layeled : « pour parler de la Shoah aux jeunes élèves, il faut trouver les mots justes et les images adéquates, pas celles que nous adultes ne pouvons supporter comme celles qu'on a découvertes à la libération des camps. On peut aussi aborder avec les élèves les discriminations, le Vel d'Hiv...»

« Analyser une situation et s'en servir pour grandir »

Professeur des écoles ayant pratiqué avec l'exposition, Emmanuelle Wolf la présente comme un outil permettant de « débattre, d'échanger des opinions, d'argumenter. Il faut arriver à faire prendre conscience aux élèves de la stigmatisation, leur demander de réfléchir, d'analyser une situation et de s'en servir pour grandir. C'est ce qui nous motive pour enseigner ce point d'histoire que certains enseignants choisissent de na pas enseigner car ils le pensent trop compliqué ».

Stagiaires et futurs enseignants tout ouïe.

 

Il n'y a toujours pas de question dans l'auditoire, mais Galith Touati en évoque une qui revient souvent lors de ses présentations : « Comment faire si un élève se sent mal ? » Hochements de têtes dans l'assemblée. Mme Touati poursuit : « Quand on aborde ces questions, on assiste à une libération de la parole. Un jour, un enseignant découvre qu'un élève de sa classe est Rwandais. Récemment, j'ai assisté à une rencontre avec des élèves et l'un m'a dit "lui, il est juif !". Je n'ai su que répondre "et alors ?" Et l'enseignante m'a expliqué qu'il n'était pas en train de le désigner comme juif car ces deux là sont les meilleurs copains, mais l'un n'avait jamais osé dire à son copain qu'il était juif... »

« Les élèves sont très sensibles à la stigmatisation »

Galith Touati témoigne que d'autres questions parfois surprenantes peuvent être soulevées par les enfants : « certains ont demandé à des témoins s'ils avaient rencontré Hitler. D'autres demandent ce qu'avaient bien pu avoir fait les juifs pour subir un tel sort... » Emmanuelle Wolf assure : « les élèves sont très sensibles à la stigmatisation, le sujet fait peur à tort... »

Parce qu'on est bien dans cette optique que résume Françoise Claus, directrice adjointe de l'ESPE et inspectrice pédagogique régionale d'histoire-géographie : « comment faire comprendre les enfants sans traumatisme ». Pour Cécile Vast, prof d'histoire-géo au collège de Pierrefontaine-les-Varans, auteure d'une thèse sur la Résistance et conseillère du musée de la Résistance de la Citadelle de Besançon, « cette belle exposition est très simple et complète pour des collégiens. la période est au programme de troisième, et sur le plateau, les élèves ont souvent des histoires familiales sur le sujet... ».

 

 

 

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