Un zadiste habillé pour des saisons au frais

Le Progrès et L'Est républicain relatent comment un militant opposé à l'aéroport de Notre-Dame des Landes a été interpellé dans le Jura et le présentent comme un délinquant chevronné. Dans leurs comptes-rendus du procès du 16 juillet 2014 le condamnant à un an ferme pour violences lors de la manifestation du 22 février 2014 à Nantes, Reporterre et Médiapart avaient soulevé de sérieux doutes sur l'enquête policière. L'épisode ne peut cependant cacher le débat de société posé par le projet...

zadistes

Animé par Claude Buchot, viticulteur bio et militant de la Confédération paysanne, le comité Notre Dame des Landes du Jura est l'un des 200 du pays. Quand ses militants et sympathisants ne vont pas rendre visite à leurs camarades luttant face à l'État et Vinci pour préserver leur bocage, ils organisent des événements de soutien sur place, à Lons-le-Saunier : réunions publiques ou manifestation de rue comme le 9 janvier. Vendredi 8 avril, ils ont invité des zadistes à présenter leur vie sur la zone, leur suggérant de participer le lendemain à la manifestation contre la loi travail. Les invités n'en ont pas eu le loisir, l'un d'eux, recherché pour une condamnation à laquelle il avait échappé en quittant le palais de justice pendant le délibéré, étant interpellé par la police lédonienne...

Consterné, Claude Buchot avait la mine des mauvais jours dimanche soir lors de la Nuit debout. Mécontent aussi du traitement médiatique réservé à Grégoire Minday : « un zadiste au lourd passé de délinquant », titrent Le Progrès et L'Est républicain en l'habillant pour plusieurs saisons au frais : « vol à main armée, tentative de vol à main armée, fabrication et détention d’engin explosif, association de malfaiteurs, évasion, détention de stupéfiants… » Un portrait pouvant faire frissonner ceux qui n'ont pas entendu témoigner le jeune homme musclé qui dénonçait calmement « une nouvelle offensive médiatique, la relance des procédures judiciaires ».

« Quand on dérange, les ennuis commencent... »

Embarrassé, Buchot ne le défend ni ne l'accable. Il ne savait pas que Minday allait venir, n'attendait que deux zadistes, pas quatre. Au Progrès, il professe sa non-violence, dit que « quand on remet en cause le système, on dérange et les ennuis commencent... » Le quotidien ne publie pas la suite de son propos : « j'ai aussi dit que les zadistes, comme les membres de la confédération paysanne, étaient mal traités par le pouvoir en place, condamnés lourdement et injustement pour peu, alors que la FNSEA avait tous les droits. J'ai ajouté que les vrais voyous étaient ceux qui étaient aux commandes ».

En fait, le portrait de Grégoire Minday et ses antécédents judiciaires sont faciles à retrouver. Il suffit de taper son nom sur un moteur de recherche. On tombe sur plusieurs articles relatant un procès du 16 juillet 2014 à Nantes où il a pris un an ferme pour avoir descellé des pavés, cassé une vitrine et foncé sur les CRS lors de la manifestation ayant mal fini en février 2014. Lui, il dit qu'il était à Rouen... Les magistrats ne l'ont pas cru, s'appuyant sur des photos de la police non datées selon son avocate, et du quotidien Ouest-France... En 2010, il avait été condamné auparavant par la cour d'assise de Rennes à 5 ans pour quelques braquages au butin dérisoire (185 €) commis en 2007. Après quoi, il avait entrepris en prison des études de droit...

La critique du projet au second plan

Du coup, le spectaculaire titre sur le « lourd passé de délinquant » fait sienne la version officielle et sécuritaire. Surtout, il zappe totalement les conditions rocambolesques de l'enquête policière sur laquelle s'est appuyée la justice nantaise pour condamner Grégoire Minday, comme le racontèrent à l'époque Reporterre et Médiapart (lire ci-contre). Ce faisant, ces articles du Progrès et de L'Est républicain ont pour conséquence de faire - médiatiquement - passer au second plan la critique du projet et les valeurs alternatives portées par les zadistes sur place, mais aussi par leurs soutiens dans le pays.

Antoine explique ainsi le 8 avril à Lons l'importance des 200 comités de soutien : « A Ajaccio, ils ont occupé l'aéroport. L'État a face à lui une communauté de lutte, des agriculteurs devenus squatters, des squatters devenus agriculteurs... Sont venus aussi des naturalistes démontrant la richesse biologique du bocage... Le gouvernement a mis en place des commissions de développement pour expliquer aux mal-comprenant que l'aéroport est bien... Et quand la police est partie, il espère le chaos...»

« On occupe la terre pour les ressources alimentaires du mouvement et pour résister »

Lisa embraye : « ce pari du chaos est perdu. On vit depuis 3 ans sans police, sur une zone sans institution. On met en place des lieux d'échange, de discussions... Il y a 60 lieux de vie et 200 à 250 habitants. On occupe la terre pour les ressources alimentaires du mouvement autant que pour résister. Il y a des assemblées tous les quinze jours, des réunions d'habitants chaque semaine, des boulangeries, des ateliers de réparation des machines, des outils de communication : un hebdomadaire, un site, un radio pirate : radio Klaxon... »

Sur place, on plante du blé et du sarrasin pour fournir les boulangeries qui pratiquent le prix libre. On cultive à l'année des légumes de plein champ. Le lait d'un petit troupeau de vaches devient du fromage. Et puis « on ne vit pas en autarcie, on va à SuperU... » Beaucoup des zadistes sont aux minima sociaux, certains « vivent à trois ou quatre sur un RSA », d'autres sont salariés, saisonniers. « On a deux principes : une vie simple et pas de relations de fric entre nous », dit Antoine. « On ne peut pas vivre sur la zone sans participer à ce qui s'y passe », dit Lisa.

« On n'appelle pas à voter, mais à lutter »

Antoine analyse comme un recul du gouvernement le fait que 500 gendarmes ont fait demi-tour quand des barricades furent érigées : « le préfet nous avait appelé : "enlevez vos barricades, on ne reviendra plus..." On s'est alors dit que la victoire était possible... » Mais une « nouvelle offensive médiatique » suivie d'une « relance des procédures judiciaires » a suivi. Et le gouvernement a « abattu sa dernière carte », le référendum, une nouvelle étude annoncée par Ségolène Royal... A en croire le sondage lancé par Le Courrier de l'Ouest auprès de ses lecteurs, le non l'emporterait largement. Mais un sondage ne fait pas un vote...

Ce vote n'est de toute façon pas l'affaire des zadistes : « ce référendum est illégitime, ne veut rien dire, même en cas de victoire du non. On n'appelle pas à voter, mais à lutter », dit Kevin-Grégoire. Dans leur situation précaire, les zadistes envisagent-ils l'avenir au-delà du court terme ? « Question délicate », conviennent-ils, mais un embryon d'organisation pérenne est là : une petite crèche, une équipe médicale...

Dans la salle où 80 personnes sont venues les écouter, quelqu'un évoque les enjeux environnementaux. « On défend le bocage alors qu'on veut un autre monde. Un monde protégé et habité. On essaie d'avancer dans le moins d'impact possible sur la planète. On n'est pas seulement dans un combat écolo, mais aussi dans un combat anticapitaliste », dit Antoine. Claude Buchot est encore enthousiaste en concluant la réunion : « il y a des petites Notre Dame des Landes partout, on les recense... A commencer par 10 hectares de bonne terre agricole transformées en zone industrielle à Cousance... »

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