Trois syndicalistes marchent contre la « flexisécurité »

A Besançon la manifestation des syndicats hostiles à l'accord dit de « sécurisation de l'emploi », de la place de la Révolution à la préfecture, a réuni 250 personnes, trois fois moins que le 5 mars... Trois manifestants expliquent leur engagement.

manifestation contre l'ANI, sécurisation de l'emploi, Besançon

Frédéric Vuillaume, FO, agent au lycée Ledoux

Frédéric Vuillaume se place à la tête du cortège. Très à l'aise il ouvre la voie aux autres syndicats, CGT, FSU et Solidaires, campé solidement et micro en main. Il harangue, invite à reprendre les slogans avec vigueur. Responsable de la propagande de l'union départementale Force Ouvrière du Doubs, il peine d'abord à ne pas dérouler… la propagande. « Qu'est-ce qui vous a conduit à cet engagement syndical ? » lui demande-t-on. Réponse automatique : « mon parcours c'est le fait que Force ouvrière soit libre et indépendante ». Les deux qualificatifs que la confédération imprime sur drapeaux, calicots et tracts reviendront à plusieurs reprises dans la conversation. Frédéric Vuillaume est agent territorial au lycée Ledoux. Il est originaire du Jura, venu à Besançon pour le travail, agent de l'Etat, puis du Conseil régional. Il a fondé avec d'autres le nouveau syndicat FO quand la gestion des personnels administratifs et ouvriers est revenue à la Région en 2006. Il se réfère à la Charte d'Amiens de 1905, acte fondateur du syndicalisme libre et indépendant des partis politiques. Son engagement, il ne le manifeste pas uniquement en relayant les slogans. Il est affable et assuré : « on s'entraide à FO entre salariés du public et salariés du privé, entre personnels techniciens, ouvriers et de service (TOS) et profs. On a déjà constitué des dossiers avec les profs pour défendre des agents ».

1150 manifestants en Franche-Comté
La CGT estime à 1150 le nombre de manifestants dans la région : 300 à Besançon, 250 à  Belfort, 120 à Vesoul, 180 à Montbéliard, 100 à Dole et 200 à Lons Le Saunier.
Pour le syndicat, cette mobilisation « n’est pas à la hauteur de l’enjeu que représente le gravissime projet de loi dit de "sécurisation de l’emploi", qui est plutôt un projet de loi de "précarisation de l’emploi". Certes cet accord est complexe, et les salariés n’ont pas encore, malheureusement, de visibilité face aux dangers qui découleront de cette loi si elle est votée par les députés et les sénateurs».
Le syndicat évoque un accord signé chez Voestapline, à Fontaine, qui « prévoit une baisse des salaires de 10 %, soi-disant pour sauver des emplois. Or déjà la Direction annonce 5 licenciements pour des salariés qui refusent les nouvelles conditions de travail ! » La CGT « craint que le même genre de dispositif soit proposé rapidement dans l’automobile par les patrons, dans le groupe PSA, comme chez les sous-traitants ».

Aujourd'hui, comme le 5 mars, il marche avec la CGT, héritière aussi de la Charte d'Amiens mais devenue un contre modèle pendant longtemps pour FO, quand elle était courroie de transmission du Parti communiste. « C'est historique, n'hésite pas à dire Frédéric Vuillaume, l'appel commun à s'opposer à l'ANI s'imposait. Cet accord, signé par des syndicats qui accompagnent le pouvoir, est un vrai recul, une remise en cause du droit du travail. Comment défendre un texte qui va enlever des droits aux salariés, imposer des mobilités ou des hausses du temps de travail et des baisses de salaire ? Mais cet accord défendu par le gouvernement n'est pas étonnant si on se souvient qu'il a voté le TSCG, traité européen qui instaure l'austérité dans toute l'Europe ».
Frédéric Vuillaume est un syndicaliste de terrain, « toujours auprès des gens, des collègues et pour leur dire la vérité. » Quand on lui demande son avis sur la signature par le syndicat FO de Renault d'un accord qui contredit la position confédérale sur l'ANI, il se prend à rire et, sans aucune gêne, avance : « à l'union départementale du Doubs on n'aurait pas fait ce choix, très clairement ». Toujours avec la liberté et l'indépendance pour préceptes, il se distingue du choix qu'on fait les UD de Haute-Saône et du Territoire-de-Belfort de manifester séparément. « Ici on a décidé de participer à l'intersyndicale, à la manifestation commune et de rédiger un tract commun avec la CGT, Solidaires et la FSU ».

Sylvie Vachoux, CGT, employée chez Casino

« Les salariés nous demandent d'accorder nos violons avant que nous ne leur demandions de se syndiquer, c'est assez compréhensible ». Sylvie Vachoux, militante CGT, travaille dans le groupe Casino depuis 30 ans et comprend les exigences d'unité «  7% des salariés français sont syndiqués, près de 3% dans le commerce. Avec Force Ouvrière majoritaire dans le secteur du commerce, on s'entend mieux qu'il y a quelque temps, forcément ». Elle a quitté le petit groupe avec qui elle discutait au départ de la manifestation et qui l'a désignée pour s'exprimer. En fait elle ne s'est pas faite prier. Référente de la fédération commerce CGT, membre du bureau de l'Union locale et « simple syndiquée au magasin », elle affirme son attachement « aux valeurs de la CGT, camaraderie, fraternité, justice sociale, des valeurs de gauche il faut se le dire tranquillement ».
Son père avait créé le premier syndicat CFDT Caterpilar à Grenoble, sa grand-mère lui parlait du Front populaire et de la nécessité d'en sauvegarder l'héritage. Un jour où elle assiste à une réunion de la CGT elle est choisie par ses 40 collègues comme représentante, car on sait « qu'elle n'a jamais eu peur du patron ».  « Quand je suis entrée dans la grande distribution il n'y avait presque que des temps pleins avec les mêmes horaires, aujourd'hui c'est temps partiels et horaires éclatés. Défendre les intérêts des salariés dans ces conditions c'est très difficile. On rame, non pas parce que les salariés ne sont pas d'accord avec nos idées et nos revendications mais parce qu'une journée de grève c'est un bifteck en moins dans l'assiette des enfants ».  Elle observe aussi une certaine déshumanisation du travail : « c'est l'homme qui doit s'adapter à la machine, aux flux clientèle, aux flux marchandises. Imaginez en Thailande dans certains magasins il y a maintenant un mur virtuel sur lequel on scanne ses courses avant que quelqu'un, que l'on ne voit pas, les place dans votre voiture ».
« Les salariés vont être surpris de la régression que représente l'ANI, y compris des militants de base CFDT qui commencent à dire : on n'avait pas tout vu, il y a des dangers. Le rapport de force ne nous est pas favorable. Il va bien falloir se réveiller ». Sylvie Vachoux a obtenu une mutation de Grenoble à Besançon il y a trois ans pour suivre son conjoint et découvre encore la région. Elle veille à « inculquer ses valeurs à ses enfants ». Elle redoute une société de la compétition de tous contre tous et entend de plus en plus de propos favorables à la représentante nationale de l'extrême droite. « Parmi les adhérents CGT aussi la tentation de s'en remettre au Front national s'exprime. Certains disent qu'on aura la révolution comme ça. Mais on aura plutôt l'armée, la fin des Bourses du travail et des restos du coeur comme là où ils ont le pouvoir ».

Francis Vereecke, Solidaires, agent des impôts

Francis Vereecke est agent des finances publiques à Chamars, agent d'assiette (calcul de la base des taux d'imposition). Adhérent du syndicat Solidaires Finances Publiques, représentant du personnel, élu du Comité technique local et du CHSCT, il est venu manifester « en solidarité avec les salariés du privé contre un mauvais accord, un recul ». Sans la verve du porte-parole, issu d'une culture politique familiale « paysanne et chiraquienne », il dénonce avec résolution une « gauche qui mène une politique libérale, une gauche pas assez à gauche » pour laquelle il n'a pas voté quand il a voté pour François Hollande.
Habitant un petit village à vingt kilomètres de Besançon, il a travaillé dix ans dans le privé, dans le secteur des assurances qu'il a cherché à quitter « par choix personnel viscéralement pro-mutuelle ». Il n'a pas trouvé à s'employer dans les mutuelles et a passé des concours de la Fonction publique pour rentrer aux Impôts en 1996. Il a adhéré au syndicat historique, le SNUI où il a retrouvé « la défense de l'intérêt général, une sensibilité et une approche personnelle déjà ancienne ». Devant la préfecture à la fin de la manifestation, il se dit déçu de la faible affluence, tout autant que du gouvernement et du président. « L'attaque du droit du travail que représente l'ANI, Sarkozy ne l'avait pas menée ». L'affaire Cahuzac, son « supérieur hiérarchique ultime » l'a marqué, choqué. Il n'en dit pas plus mais l'inquiétude pour la vie publique et la République est manifeste. 

 

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