Transports : le casse-tête du transfert des départements à la région Bourgogne-Franche-Comté

Le 14 octobre, l'exécutif régional assure qu'il reprendra les transports interurbains le 1er janvier et les transports scolaires le 1er septembre. Mais Marie-Guite Dufay a écrit le 3 octobre à Christine Bouquin une lettre disant qu'elle reprendra tout le 1er septembre. Chaque département étant une exception, l'affaire est d'une grande complexité technique alors que l'ambition affichée est louable.

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Le transfert aux régions des transports interurbains au 1er janvier 2017, et des transports scolaires au 1er septembre 2017 est un crève-cœur pour certains départements qui en avaient jusqu'à présent la charge. Sauvés de la disparition qui leur était promise par la première mouture de la réforme territoriale, ils n'en ont pas moins perdu une compétence surveillée de près par les anciens conseillers généraux. Qu'un car scolaire roule trop vite, soit en retard ou néglige un hameau, et les élus étaient sur la brèche, sollicités par leurs voisins, le conseil municipal d'à côté ou des parents d'élèves forcément croisés un jour ou l'autre. 

Cette capacité d'intervention ne sera bientôt plus qu'un souvenir. Les élus départementaux ne pourront plus tirer la manche de leur vice-président aux transports ou du directeur des services pour relayer les revendications du terrain. Ils n'auront plus qu'un « droit de suite », autrement dit la possibilité de saisir le conseil régional au même titre que ceux qui les saisissaient jusqu'alors. Autrement dit, une perte d'influence indéniable pour ces héritiers de la France des notables.

C'est aussi un sacré défi pour les régions qui héritent d'une compétence de proximité par excellence, mais une compétence spécifique à chaque département qu'il va falloir harmoniser sur le mandat : « tout sauf un long fleuve tranquille », disait en juin Michel Neugnot à Localtis, quotidien en ligne spécialisé dans les collectivités édité par la Caisse des Dépôts. Bien vu de la part du premier vice-président bourguignon du Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, justement en charge des transports qu'on appelle désormais mobilités dans la novlangue politique.

La crainte d'un accident industriel

Le sujet est si sensible que certains disent craindre un « accident industriel » tant le transfert est techniquement complexe et politiquement sensible. Une sensibilité qui paraît exacerbée par les réticences, cachotteries, incompréhensions ou procès d'intention qui font montrer la tension plus particulièrement entre la région et le Doubs. A entendre ses contradicteurs, Michel Neugnot est un orfèvre en embrouillamini : « quand il a fini de répondre, on ne sait plus quelle question on lui avait posée », ironise l'un. Vendredi 14 octobre, il a juré en séance la main sur le cœur qu'il allait expliquer clairement l'étape où l'on en est.

« Chaque département est persuadé d'avoir la meilleure organisation au monde, mais ces organisations sont toutes différentes. La région est une concentration d'exceptions : deux des treize régies de France sont en Bourgogne-Franche-Comté (Doubs, Jura), nous avons deux des trois sociétés publiques locales (Saône-et-Loire et Côte d'Or), un syndicat mixte dans le Territoire-de-Belfort. Nous voulons combiner des principes, comme la gratuité, et les contextes locaux », indique-t-il.

Trouver un accord d'ici fin novembre

Les choses se corsent lorsqu'on réalise que les transferts ont des incidences sur les relations financières entre la région et les départements. Pour déterminer qui devra quoi et comment s'y prendre, une machinerie complexe et des procédures ont été construites. Des dizaines de réunions se sont tenues pour traiter des aspects concrets (billets, personnels, contrats, etc.). Une assistance à maîtrise d'ouvrage a été confiée en juin par la région à des cabinets d'experts dans le cadre d'un marché public, autrement dit l'évaluation juridique, technique et financière du transfert a été externalisée.

Il s'agit de fournir information et analyse aux élus composant les huit commissions départementales d'évaluation des charges et des ressources transférées. Elles devront avoir fini leurs travaux, et les négociations qui en découlent, d'ici fin novembre. Sinon, au 1er janvier 2017, une formule automatique s'appliquera et les dents grinceront. » Je ne sais pas si on arrivera à un accord avec les départements », prévient Michel Neugnot, provoquant cette réaction de la présidente Marie-Guite Dufay : « comment ça, tu ne sais pas ! » Michel Neugnot ne se démonte pas : « Nous n'avons pas tous les renseignements : contrats, éléments sur les ressources humaines... »

« Une transition déroutante »

« On ne sait pas quels services on va rendre, on attend après vous », dira plus tard Marie-Guite Dufay en répondant à Françoise Branget (LR, vice-présidente du département du Doubs) qui s'inquiète pour la régie départementale des transports du Doubs : la région va-t-elle reprendre ses 160 salariés ? François Sauvadet, qui préside l'opposition UDI-LR mais aussi le département de Côte d'Or avec lequel le transfert semble bien se passer, tente de ménager chèvre et chou : « c'est facile de dire que les départements ne communiquent pas d'informations. Si c'est le cas, il faut leur demander de faire vite. Mais vous avez entretenu la confusion. Si vous voulez qu'on avance, dîtes ce que vous voulez faire ».

Pour Françoise Branget, la transition est « déroutante ». Elle souligne que le Doubs rembourse la carte TER, reverse 4 millions par an aux agglomérations de Besançon et Montbéliard sur un budget de 26 millions. En fait, elle a peur que le transfert soit « explosif ». « Si chaque département a l'impression de proposer le meilleur service, c'est parce qu'il y travaille depuis longtemps... Avec la région, les relations techniques vont bon train, mais il y a des réticences, il faudra du temps, des années », dit-elle.

S'interrogeant sur des « frais de dossiers » évoqués en réunion, elle est persuadée que la région « cherche à revenir sur l'engagement de gratuité », du moins pour « certaines prestations ». La présidente Marie-Guite Dufay assure que non, promet la « gratuité pour les familles ». Et pour les collectivités locales ?, interroge François Sauvadet. Réponse : « non ». 

La droite amende la délibération et s'abstient

Selon la présidente, les élus de droite font à sa majorité un procès en incapacité à « imaginer un service de proximité  », ce qu'elle conteste : « On ne va pas éloigner les personnels. On demande aux départements de nous donner leur niveau de service. On s'engage à ce qu'il ne baisse nulle part. Ensuite, on fera la convergence. N'en demandez pas plus ».

Une critique de la droite est cependant entendue. Parce qu'il faut désormais aller vite, le projet de délibération préparée par Michel Neugnot prévoyait de déléguer à la commission permanente « toutes les décisions relatives à la compétence transport interurbain et scolaire ». Pour Patrick Genre (UDI-LR, Doubs), cette façon de faire est « inadmissible : c'est inconcevable que le principal budget structurant des cinq prochaines années soit débattu en commission permanente ». Le prix de l'abstention de l'opposition républicaine est l'adoption d'un amendement précisant que « les orientations stratégiques et leurs implications financières » relèvent exclusivement de l'assemblée plénière. Pourquoi n'a-t-elle pas voté favorablement ? « On ne sait rien, on aurait pu avoir une fiche par département sur l'organisation des transports, les lignes, les budgets, les contrats », explique Patrick Genre.

Du coup, on en oublierait presque les intentions affichées : « une organisation à terme transparente pour l'usager qui, pour se rendre d'un point A à un point B, pourra utiliser plusieurs moyens de transports avec un titre unique à un tarif facilement identifiable ; et pour le transport scolaire, tendre, à la fin du mandat, vers un service identique à caractéristiques comparables de territoire, et garantissant notamment le principe de gratuite ». 

Le FN, qui n'avait rien à dire sur le sujet, n'a pas participé au vote.

 

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