The Tribe : règlements de comptes sans cri

The Tribe, film de Myroslav Slaboshpytskly, dessine un monde où les mots s’effacent devant la gestuelle, et met le spectateur dans une situation paradoxale où se laisse deviner en arrière plan, la sombre métaphore du pouvoir.

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Sergeï, un adolescent sourd et muet arrive dans un centre spécialisé ; il intègre une bande qui fait régner son ordre, exploite les plus jeunes en les envoyant vendre des objets dans les trains et en les intégrant à un petit réseau de prostitution. Il parvient à en gravir les échelons et tombe amoureux de la jeune Anna, membre de cette tribu qui se prostitue pour quitter l’Ukraine.

Du bizutage des nouveaux venus au trafic mis en place par les adultes, le film explore la noirceur de cet univers implacable. Dans une lumière sombre, proche du sordide, le couple improvisé fait l’amour dans d’improbables hangars désaffectés ; en arrière-plan, des jeunes filles se prostituent dans la cabine des routiers.

Un film muet

The Tribe est entièrement tourné en langage des signes que le réalisateur n’a pas souhaité sous-titrer. Sans dialogue, le film exacerbe les sons, les bruits et le fracas. Un malaise accentué par l’absence de musique : on se souviendra longtemps d’une effrayante scène d’avortement dans une cuisine cradingue qui n’est pas sans évoquer cette autre séquence tout aussi explicite du film Quatre mois, trois semaines deux jours du roumain Cristian Mangiu. Même façon de filmer. Même désespoir. Même lumière blafarde. Même néons crasseux.

La violence du silence

Partiellement tourné avant l’annexion de la Crimée par la Russie, le film dessine un monde où les mots s’effacent devant la gestuelle ; à l’image, la violence filmée n’en est que plus effrayante. Ce ballet hallucinant où les règlements de comptes se font sans cri, où le langage des signes devient langage des corps, met le spectateur dans une situation paradoxale ; il ne comprend pas ce que disent les personnages et eux-mêmes ne perçoivent pas les sons générés par la violence. De cette approche de la perception naît un profond malaise, à peine adouci par la naissance de l’histoire d’amour.

Ce pensionnat sordide aux couloirs délabrés laisse deviner en arrière plan, la sombre métaphore du pouvoir. Sans les mots pour exprimer la douleur, perdus dans la surdité du monde, ces jeunes gens sans famille et sans avenir se battent pour survivre dans un monde où déjà règne la barbarie.

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