Tempête de Samuel Collardey : entre mer et terre, l’embellie…

Présenté en avant-première en présence de Samuel Collardey et du marin Dominique Leborne (Prix du Meilleur acteur au Festival de Venise en 2015),  Tempête, Grand Prix du Festival de Namur, a fait salle comble au cinéma Kursaal à Besançon. En sortie nationale le 24 février…

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C’est un joyeux drille. Dans la première séquence, il danse sur la table d’un pub à Cork en Irlande. Quelques plans plus tard, il est sur le pont d’un bateau en pleine tempête. Il est matelot. Une vie ordinaire entre la mer (son travail) et la terre (sa maison à la dérive) : l’enquêteuse sociale veut lui retirer la garde de ses enfants, Maïlys née d’une première union de son ex-compagne et Mattéo son fils. Dom rêve d’être patron. De posséder un bateau et de partir en mer avec son fils.

Au creux de cette histoire de famille teintée de réalisme social, la grossesse de la très jeune Maïlys doit être interrompue pour raisons médicales. Dom travaille en mer et demande un congé pour accompagner et soutenir sa fille. Son patron lui refuse.

Le décor est planté. Un père, des enfants dans la tourmente. La mère en hors-champ. Les tiraillements. La dèche parfois. Le tangage entre la famille et le travail, entre les rêves et la réalité. L’amour et ses bourrasques.

« J’ai rencontré Dominique grâce à Catherine Paillé scénariste explique Samuel Collardey. Elle est originaire des Sables d’Olonne et avait envie d’écrire un film sur le milieu de la pêche. Dominique avait vécu cette histoire de divorce et Maïlys son problème de grossesse. Nous lui avons donc proposé de jouer avec ses enfants ».

Être enfant et être père

Le cinéaste poursuit : « Je fais des films sur la famille, la filiation : qu’est-ce qu’être un enfant ? Comment devient-on un père ? J’ai donc passé presque une année avec Dom chez lui à raison d’une dizaine de jours chaque mois. A ce moment-là, il était à l’école de pêche. On est parti en mer pour voir si j’avais le pied marin ajoute Samuel Collardey en riant. On a partagé un hiver sans chauffage. Cela m’a permis d’enrichir le scénario avec des scènes auxquelles j’avais assisté. Il me faisait rencontrer ses amis, sa famille. On avait fait un contrat : nous on fait le film, et toi, tu te lances dans l’aventure de l’achat du bateau pour partir en mer avec ton fils. On s’est rendu compte ensuite que pour l’achat du bateau, ça ne tenait pas. »

Pourquoi écrire des fictions avec des professionnels alors que les protagonistes d’histoires réelles existent, semble nous dire Samuel Collardey depuis son court-métrage Du soleil en hiver. Autrement dit : comment parler du réel en réalisant une fiction ?

Comment convaincre Mailys d’interpréter son propre rôle à un moment où elle a très peu de lien avec son père et où elle peut ne pas avoir envie de parler de l’expérience traumatisante de la perte de son enfant ?

«  Je lui ai proposé d’interpréter son propre rôle sachant que si elle n’acceptait pas, le film ne tenait pas ; je ne pouvais pas prendre une actrice pour la remplacer et la pré-production était déjà avancée. Elle a accepté de jouer son rôle pour passer du temps avec son père. Il s’agissait d’une aventure humaine à risques ».

Parler du réel avec la fiction

Le risque c’est le moteur du cinéma de Samuel Collardey. Il s’ajoute à l’observation du réel et à l’empathie du réalisateur avec ses personnages pour créer un cinéma qui n’est pas sans rappeler certaines séquences de Passe Montagne de Stevenin ou encore cette scène improvisée de A nos amours où Pialat (réalisateur et père) fait irruption dans une fête de famille sans prévenir les protagonistes. On pense aussi à un cinéma contemporain qui va de Party Girl  de Claire Burger à Mad love in New-York  de Joshua et Bennie Safdie présenté récemment au Festival EntreVues à Belfort.

Ici le réel documente la fiction, laissant place à l’imprévu, à l’instar de l’esquisse d’une rencontre amoureuse entre Dom et une vendeuse de vêtements. Cette séquence née de la spontanéité de l’acteur ouvre la possibilité d’une histoire d’amour non prévue dans le scénario initial. Le film s’offre alors un petit détour, une séquence romantique où les deux personnages mangent des huîtres avec délectation laissant entrevoir en ellipse, les prémices d’un amour. « La rencontre de Dom et de la vendeuse n’existait pas dans le scénario ; quand elle est arrivée, ça tombait bien. On aimait bien qu’il y ait une histoire d’amour  ».

Au-delà de la tempête…

Au-delà d’une trame très écrite, le film prend des chemins de traverse nés de la rencontre, et, de l’observation des émotions des personnages. Le cinéaste joue constamment entre le documentaire et la fiction ; la caméra tourne, enregistre une fête d’adolescents qui rappelle la scène de café de L’Apprenti. Rattrapé par la fiction, Samuel introduit le rire avec deux séquences où mine de rien, le père et le fils se rapprochent grâce à l’humour : le barbouillage à la peinture, scène primitive du cinéma comique, et, la course pour attraper le mouton, éclairent le film de l’obstination du cinéaste à ne pas vouloir tout prendre au sérieux, et, peut-être à instiller du calme dans la tempête.

La beauté du film naît de cette curieuse alchimie Samuel Collardey retrouve la méthode de tournage de L’Apprenti, un peu abandonnée dans Comme un lion avec la présence d’acteurs professionnels. (Jean-François Stevenin, Marc Babé).
Il inscrit sa fiction dans l’écran large du Cinémascope et le format 35 mm. Ainsi se dessine dans Tempête  un élargissement, symbole d’un cinéma qui s’ouvre sur l’horizon, figure de la réconciliation des personnages, de la parole après le deuil, de la transmission et des possibles de l’amour.

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