Taxi Téhéran : filmer l’interdiction de filmer

Jafar Panahi cinéaste iranien est sous le coup d’une interdiction de filmer ; avec « Taxi Téhéran » tourné dans l’habitacle d’une voiture avec des petites caméras, il fait acte de résistance.

taxi

Une rue de Téhéran filmée de l’intérieur d’une voiture. Des visions imprécises de la ville. Peu à peu, nous prenons conscience que nous sommes dans un taxi où sont installées deux ou trois caméras. Une qui regarde le chauffeur (Jafar Panahi lui-même) et les autres, le ou les passagers à l’arrière. A l’avant un homme un peu roublard dit qu’il faudrait exécuter les voleurs d’autoradios. A l’arrière une femme refuse ce discours répressif. C’est ainsi que commence la virée cinématographique du film « Taxi Téhéran » (Ours d’or du dernier Festival de Berlin).

Avant tout, précisons que Jafar Panahi a été condamné à six ans de prison en 2010 ; il est  encore sous le coup d’une interdiction de filmer et de se montrer en public à la suite de son soutien au mouvement qui s’opposait à la réélection frauduleuse de Mahmoud Ahmadinejad à la présidence de la République en 2009. Arrêté à l’époque, il est condamné à vivre en Iran sous la menace de l’exécution de la sentence concernant la prison.

Filmer clandestinement

Malgré cela, pour répondre aux tentatives gouvernementales de le faire taire, le cinéaste a contrevenu trois fois l’interdiction de filmer en utilisant la ruse. « Ceci n’est pas un film » entièrement tourné dans son appartement à Téhéran interrogeait le sens du cinéma (présentation à Cannes en 2011). « Closed Curtain », tourné en huis-clos dans une maison au bord de la mer bravait encore l’interdit. A l’opposé de ces deux films, « Taxi Téhéran » s’ouvre sur le monde et remet le cinéma dans la ville et la société iranienne.

Le stratagème mis en œuvre dans « Taxi Téhéran » a plus d’un avantage : le tournage se fait à l’insu de la police grâce aux petites caméras installées dans la voiture et les personnages qui prennent le taxi sont un échantillon de la société urbaine.

Le ton du film est donné ; il s’agit d’une œuvre à la lisière du documentaire et de la fiction. Chaque fois que quelqu’un entre dans le taxi, le spectateur ne sait pas s’il s’agit d’un acteur ou d’un vrai client. Et ce qui se dit sème encore plus le trouble lorsque l’homme qui réclame un châtiment pour les voleurs d’autoradios, se révèle être un... voleur à la tire.

Dans l’habitacle, ce huis-clos improvisé ou calculé, Jafar Panahi  explore la société iranienne, prenant le parti à un moment donné d’inviter des personnages réels à l’instar de la dame aux fleurs (l’avocate des droits de l’homme Nasrin Sotudeh, Prix Sakharov avec le cinéaste en 2012, sa sœur d’infortune).

Montrer et cacher

Autre passage impressionnant, la rencontre avec sa nièce du réalisateur. Il s’agit d’un grand moment de mise en scène car la petite fille incarne, entre tragique et comique, toutes les possibilités d’usage de l’image, de l’amateurisme à la surveillance avec des plans de filature des passants ; elle pose sans cesse la question de la réalité, de ce qui est caché et de ce qui est montré ; c’est elle qui redonne à son oncle cinéaste, les règles de bienséance officielle pour qu’un film soit montré ; « Ils créent des réalités et ne veulent pas les montrer », dira l’enfant pour conclure juste à la fin du film. La clef est là dans cette accablante interdiction de filmer, à une époque où la photo et le film ont la capacité de tout enregistrer à chaque instant.

Image de l’enfermement, dans une société emprisonnante, le taxi déambule dans les rues de Téhéran sans savoir où il va (Jafar Panahi ne connaît pas toutes les rues). Mélange de hasard et de rencontres mises en scène, le film prouve que le cinéma peut être un acte de résistance, comme la plupart des films iraniens dont l’existence repose essentiellement sur le contournement de la censure.

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