« Tant que l’on n’aura pas résolu le problème des lits et des embauches, le Segur est une imposture »

Alors qu’une deuxième vague de patients Covid-19 est attendue dans les hôpitaux, les soignants ont manifesté une nouvelle fois le 15 octobre leur colère et leur épuisement. Près de deux ans après le début d’une mobilisation exceptionnelle dans les hôpitaux, ils regrettent toujours le manque de moyens. Ils dénoncent aussi une injustice. Le personnel médico-social, soumis aux mêmes contraintes, n’a pas eu droit à une hausse de salaire. Le lendemain, la fermeture définitive de 27 lits de SSR à Saint-Jacques était actée.

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Les soignants sont sacrifiés. Voilà l’impression partagée par le personnel médical qui manifestait une nouvelle fois ce jeudi 15 octobre pour exprimer leur colère de ne pas être entendu. À la veille d’une plus que probable deuxième vague de patients atteints du Covid-19 dans les hôpitaux, qui souffrent déjà d’un taux d’absentéisme record, ils enragent que l’État n’accorde toujours pas plus de moyens et plus de lits pour faire face. « Les héros sont fatigués, ils ont envie de dire ça suffit », lance Marc Paulin, délégué SUD, devant l’hôpital Saint-Jacques où 27 lits de soins de suite et de réadaptation (SSR) fermeront définitivement le lendemain. Il ne comprend pas pourquoi il faudrait attendre 2025 pour doubler le nombre d’élèves en formation d’aide-soignants, alors que l’urgence était déjà criante il y a déjà bien longtemps. « Le Covid a mis en lumière l’état de notre système de santé, que l’on pensait être le meilleur du monde. Tant que l’on n’aura pas résolu le problème des lits et des embauches, le Segur est une imposture », tonne-t-il encore.

Le Segur, signé par plusieurs organisations syndicales, acte une hausse salariale de 183 € pour le personnel soignant des Ehpad et des hôpitaux. Personne ne crache sur cette augmentation dont ils avaient bien besoin. Mais selon les manifestants, il aurait plutôt fallu une augmentation de 500 € pour se situer dans la moyenne salariale des autres pays européens. Et personne n’est vraiment dupe. Tout le monde ici sait bien que cette revalorisation servait un objectif : celui de les faire taire, une manière de mettre fin à la mobilisation intense qui dure déjà depuis près de deux ans. Le personnel était déjà exténué, déconsidéré, humilié avant la crise du Covid-19. Et voilà que tout pourrait recommencer, que rien n’est réglé.

« Deux médecins du travail à mi-temps, donc un temps complet,
pour 7.000 agents au CHRU »

« On ne nous considère pas, nous ne sommes pas reconnus dans notre travail. On doit penser constamment à nos patients, on se doit toujours d’être excellent, mais c’est une situation impossible. On ne peut pas être dans une situation d’excellence, et les patients le ressentent », se désole un groupe de trois infirmières et d’une aide-soignante. « Les directeurs d’hôpitaux ont des objectifs financiers, les soins sont comptabilisés financièrement, tout comme le personnel. Entre les injonctions de la direction et le personnel, l’encadrement aussi est en souffrance, ils triment en permanence. Nous on a mal au dos, mais elles doivent avoir mal à la tête. » Elles travaillent au CHRU de Besançon et voient beaucoup d’infirmières partir en raison des conditions de travail déplorables. « L’hôpital n’arrive même pas à assurer le suivi médical de son propre personnel. Il n’y a que deux médecins du travail à mi-temps, donc un temps complet, pour 7 000 agents », se désolent-elles.

Cette manifestation est aussi l’occasion de crier à l’injustice. Alors que les moyens débloqués pour l’hôpital ne sont clairement pas suffisants, les milliards donnés aux entreprises dans le cadre du plan de relance ont été dénoncés à plusieurs reprises, tout comme l’annonce de l’achat de 12 avions de chasse Rafale par la ministre de la Défense. C’est surtout une autre injustice qui était mise en avant : la prime de 183 € ne concerne pas le personnel médico-social. Ils sont atterrés. « On fait le même métier, mais on n’a pas le même salaire », se désespère une salariée qui accomplit, sans diplôme, les missions d’aide-soignantes à la MAS (Maison d’accueil spécialisée) Bernard Foissotte de Besançon.

C’est le même désarroi du côté du personnel de la MAS de Novillars, qui s’était mobilisé dès le 9 octobre pour dénoncer ce manque d’équité. « Notre problème n’est pas au niveau de la direction, mais des lois. Nous n’avons pas eu droit à l’augmentation dédiée à l’ensemble de la population hospitalière, nous ne sommes pas dans les textes. Pourtant, nous sommes mobilisables pour le plan blanc. Et nous avons déjà un problème de recrutement, alors qui voudrait venir travailler dans le médico-social avec 183 € de moins ? », se demande un éducateur spécialisé, ancien aide-soignant.

« Ils écoutent bien, mais les 28 lits SSR seront fermés »

La manifestation s’achève devant le siège de l’ARS, où une délégation est reçue. Des représentants de la MAS Bernard Foissottes des Tilleroyes, du Service de Soin Infirmier à Domicile (SSIAD) du centre de long séjour de Bellevaux, dont les salariés n’ont pas eu droit à la prime non plus et deux représentants des usagers, membres du comité de défense de la santé publique du Jura et du Doubs sont venus exprimer leurs, nombreuses, doléances. À leur sortie, les représentantes des MAS disent avoir été entendues, et que si jamais ils devaient percevoir une prime, il y aurait un effet rétroactif.

Le représentant du comité de défense de la santé publique du Doubs, sans doute plus rodé aux négociations, se montre moins optimiste. « L’ARS est la déclinaison du gouvernement, ils nous entendent, font de jolies phrases… Ils écoutent bien, mais les 28 lits SSR seront fermés. Le message que l’on peut faire passer, c’est que tant que l’on restera mobilisé, on a une petite chance. » Il prône l’annulation du plan de l’ARS et réclame un véritable état des lieux du système de soin sur le territoire. « L’hôpital, c’est la pointe de l’iceberg. Il manque des médecins, des gynécos, des sages-femmes, des ophtalmos. Remplissez ces manques, et l’hôpital ne sera plus en saturation. » Fataliste, le Jurassien exprime sa gratitude envers le personnel. « Vous êtes toujours nos héros, on a besoin de vous ».

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