Suspension de contrat sans salaire : un collectif de soignants de Lons-le-Saunier prépare une riposte juridique

La CGT du centre hospitalier Jura-Sud a déposé, dès le 23 juillet, un des premiers préavis de grève. Le syndicat est aussi partie prenante d'un groupe qui a très vite investi le terrain du droit et pense utiliser « les failles juridiques » de la loi du 5 août pour contester les sanctions qui pourraient s'abattre sur les récalcitrants à la vaccination.

C'est peu dire que la suspension du contrat de travail sans rémunération est la mesure coercitive la plus critiquée dans les défilés de l'été contre le passe sanitaire. Consistant à priver de moyens de subsistance ceux qui refusent d'être vaccinés, elle est considérée par nombre d'intéressés comme violente et injuste, notamment dans le secteur de la santé. « Les soignants ont toujours été là, y compris avec le manque de moyens, malgré les mensonges du gouvernement. Ils ont été mis sur un piédestal, et maintenant, ils seraient ceux par qui le mail arrive ? La sanction d'une perte de salaire n'est pas concevable », explique Laurence Mathioly, assistante sociale au CHU de Besançon et secrétaire du syndicat SUD Santé-Social du Doubs.

Passée la sidération, certains ont commencé à s'organiser pour faire face. Des grèves, peu suivies mais régulières, touchent depuis début août le CHU où 200 environs se réunissent chaque jeudi, l'hôpital de Trévenans dans le Nord Franche-Comté, et le centre hospitalier Jura-Sud qui regroupe les hôpitaux publics de Lons-le-Saunier, Saint-Claude et Champagnole. La CGT de ce dernier a déposé un préavis de grève dès le 23 juillet, un collectif de 70 personnels s'est constitué au cœur de l'été pour préparer des actions. « Nous estimons qu'il pourrait y avoir 150 hospitaliers envisageant de ne pas se faire vacciner à Jura-Sud. Une direction peut-elle prendre le risque de perdre 10% des effectifs, de fermer des services, de ne pas soigner correctement ? On est en flux tendus. Si la réponse est oui, c'est qu'ils veulent détruire l'hôpital public », analyse le secrétaire du syndicat CGT, Jérôme Tournier.

« Attaquer la loi dans ses conséquences »

Outre l'argumentation de l'entrave au fonctionnement des services et la construction d'un rapport de forces loin d'être évident, le collectif fourbit des armes juridiques et prévoit de mutualiser une part des dépenses engagées. Il a été l'un des premiers à consulter l'avocat dijonnais Jean-Baptiste Gavignet pour préparer les contestations des suspensions de contrat de travail auxquelles certains se préparent à partir du 15 septembre : « Il y aurait des failles dans le système », ajoute le syndicaliste. A tout le moins des contradictions, comme le hiatus possible entre la validation de l'essentiel de la loi du 5 août et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. « Il s'agit aussi d'attaquer la loi dans ses conséquences », ajoute un membre du collectif.

En outre, le Conseil constitutionnel, s'il a validé le passe sanitaire, n'a rien dit sur l'obligation vaccinale visant certains professionnels. Du coup, cela couvre la porte à une nouvelle saisine par le biais d'une QPC (question prioritaire de constitutionnalité) que transmettrait une juridiction qui serait saisie par une personne sanctionnée qui considérerait que ses droits constitutionnels ont été bafoués par la loi du 5 août. Durant le temps de la procédure qui peut durer plusieurs mois, les personnes sanctionnées pourront réclamer en référé la suspension des sanctions, notamment la privation de salaire.

La suspension est-elle une sanction disciplinaire ?

Pour la fonction publique, le Conseil d'Etat a jugé que la procédure de suspension n'apportait pas assez de garanties aux fonctionnaires et suggérait de l'articuler aux procédures disciplinaires existantes, mais le gouvernement n'en a pas tenu compte. Il considère même que « la décision de suspension n’est pas une sanction disciplinaire (...) et qu'il s’agit d’une mesure spécifique prise dans l’intérêt du service pour des raisons d’ordre public afin de protéger la santé des personnes ». Cette analyse est contestée par plusieurs juristes et syndicats, mais ils sont pour l'heure peu entendus. On attend avec impatience ce que diront les tribunaux administratifs qui ne manqueront pas d'être saisis d'une demande de suspension de la suspension de salaire...

De leur côté, les salariés du privé sont face à des situations diverses. A Besançon, des salariés d'une association du secteur social ont entendu des menaces d'imputer un abandon de poste à ceux qui n'auraient pas de passe sanitaire. Dans le Jura, une structure a commencé à exiger la présentation du passe sanitaire avant la date légale du 30 août, tout en offrant un service de test à ses salariés, leur évitant de faire la queue dans les pharmacies. A lire Le Courrier des stratèges, les employeurs n'ont cependant pas grand intérêt à se montrer trop sourcilleux : « ils n'ont rien à perdre à ne pas appliquer la loi sur le passe sanitaire » et ne doivent pas confondre leur « obligation de contrôle du passe » et le fait de sanctionner. L'affaire se complique du fait de l'interdiction de poser des questions sur la santé du salarié et l'obligation faite par le code du Travail d'en passer par le médecin du travail. Au risque de se retrouver aux prudhommes !

Où est le « consentement libre et éclairé recueilli par écrit » prévu par une directive européenne d'avril 2001 et le code la santé publique ?

Une autre piste juridique, explorée par l'avocat drômois Jean-Yves Dupriez, conteste l'obligation vaccinale alors que les quatre vaccins Pfizer, Astrazénéca, Moderna et Johnson&Johnson sont toujours en phase expérimentale pour des périodes variant de neuf mois à plus de deux ans. Dès lors où est le « consentement libre et éclairé recueilli par écrit » des personnes en bonne santé pour les essais médicaux, prévu par une directive européenne d'avril 2001 et le code la santé publique ?

La première quinzaine de septembre s'annonce tendue. L'intense pression mise par le gouvernement sur les employeurs et les salariés vise notamment à accélérer la vaccination. Si l'on en croit des enquêtes, celle-ci semble acceptée par une majorité qui y voit un moyen de lutter contre la propagation de la pandémie. Mais ce soutien pourrait se retourner en cas de nouveau confinement, si le Covid ne reflue pas, voire touche beaucoup de vaccinés. Nombreux sont aussi ceux qui cèdent et se résignent à l'injection pour continuer à toucher leur salaire, sortir ou voir la pression se relâcher. Celle-ci se manifeste par exemple par des rendez-vous pris par la hiérarchie pour des agents en contradiction flagrante avec la confidentialité des données de santé.

En attendant, le gouvernement tarde à publier le décret d'application de l'obligation vaccinale... Nul doute qu'il doit peser chaque mot, sachant les risques juridiques qu'il court, et les risques politiques si les résultats de sa politique erratique ne sont pas au rendez-vous.

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