« Stefan Zweig, adieu l’Europe » : un fantôme en exil…

L’écrivain souffrait d’avoir laissé les siens dans la terreur du nazisme. C'est notamment ce que montre, très bien, le beau film de Maria Schrader.

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Comment raconter la vie mouvementée de Stefan Zweig à qui l’on doit des œuvres importantes comme Confusion des sentiments ou Vingt quatre heures de la vie d’une femme ou encore Lettre d’une inconnue pour ne citer que les plus lues ? Comment parler de cet homme dont les œuvres furent brûlées dans des autodafés en 1933 ? Comment parler de celui qui fuira Salzbourg pour Londres en 1934 ? Que dire de cet écrivain dont le nom figure en 1935 sur la liste des auteurs juifs indésirables et dont la vie sera un long et douloureux exil ?

Le bouillonnement culturel

L’actrice et scénariste allemande Maria Schrader a choisi de ne pas raconter toute la vie de Stefan Zweig mais de montrer en six tableaux la vie de l’écrivain depuis 1936, date de son exil au Brésil, jusqu’à sa mort en 1942 en s’inspirant de son recueil Les Très Riches heures de l’humanité.

La première image, un plan large sur des fleurs très colorées nous fait penser à une couronne mortuaire. La caméra recule et les fleurs disposées au centre d’une table, sont là pour l’accueil de Stefan Zweig reçu comme un chef d’état à Rio de Janeiro. Avec émotion, lors d’un court discours l’écrivain parle du Brésil comme « d’une terre d’avenir ». La caméra curieuse virevolte autour du dîner.

Dans le tableau suivant nous assistons au congrès du Pen Club (organisation internationale qui rassemble 90 écrivains de cinquante pays) à Buenos Aires. S’ensuit une conférence de presse filmée de près. Zweig répond évasivement aux questions sur son exil ; il lui semble impossible de s’opposer véritablement à sa patrie, l’allemand étant « la langue de son cœur ».

On le retrouve dans une magnifique séquence au milieu d’un champ de cannes à sucre. Dans ce paysage vert, il prend des notes pour son livre Le Brésil, terre d’avenir, et dicte en même temps un télégramme pour sauver la vie d’un homme. La caméra fait diversion avec une conversation entre Lotte Altmann, seconde épouse de l’écrivain, et un coupeur de canne.

Lors d’une réception offerte par la maire, une fanfare joue un air viennois façon bahianaise et Lotte n’a d’autres préoccupations que de penser qu’elle n’a pas de vêtements pour partir affronter la neige à New-York. Petite parenthèse ironique avant l’arrivée à Greenwich Village où les discussions amères tournent autour des amis européens qu’il faut aider pour l’obtention de leurs papiers.

Un fantôme en exil

Le cinquième tableau le montre à Petropolis, l’ancienne résidence d’été du dernier empereur du Brésil, Pedro II, devenue lieu d’asile pour une population d’origine allemande. On fête son anniversaire. On lui offre un fox-terrier. L’écrivain parle calmement avec l’ancien rédacteur en chef d’un quotidien berlinois.

Enfin le dernier tableau, d’une grande sobriété montre le va-et-vient dans un appartement silencieux. Stefan Zweig et son épouse viennent de se donner la mort. Leur linceul en hors-champ et en voix off, la dernière lettre de Stefan Zweig. « A soixante ans il faudrait avoir des forces particulières pour recommencer sa vie de fond en comble, et les miennes sont épuisées par les longues années d’errance ; aussi, je pense qu’il vaut mieux mettre fin à temps, et la tête haute, à une existence où le travail intellectuel a toujours été la joie la plus pure et la liberté individuelle, le bien suprême de ce monde. »

A la fin de sa vie, Stefan Zweig était devenu un fantôme. Sa vie lui échappait, et en ce sens, le jeu distancié de Josef Hader (acteur autrichien) montre à quel point l’écrivain souffrait d’avoir laissé les siens dans la terreur du nazisme.

C’est cela que capte le film de Maria Schrader, la distance entre le tourbillon de sa vie peuplée de voyages, de rencontres et la douleur profonde qui rongeait l’écrivain.

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