Sombres dimanches…

Le rapport Sauvé dénombre 3.000 prêtres et religieux pédocriminels. Il recense 330.000 personnes alors mineures qui ont été victimes de violences sexuelles dans l’Église catholique en France depuis 1950. Il dénonce aussi la « responsabilité de l’Église », entre indifférence et couverture institutionnelle.

Alors on lui amena des petits enfants,
afin qu'il leur imposât les mains et priât pour eux.
Mais les disciples les repoussèrent. 
Et Jésus dit: Laissez les petits enfants,
et ne les empêchez pas de venir à moi;
car le royaume des cieux est pour ceux qui leur ressemblent. 
Il leur imposa les mains, et il partit de là.
Mathieu, 19

Informés de l’évaluation du nombre de mineurs victimes de violences sexuelles dans l’Eglise, les responsables catholiques accusaient le coup, mardi 5 octobre, après la publication du rapport de la Commission Indépendante sur les Abus Sexuels dans l’Eglise (Ciase). Les qualificatifs sont éloquents : « une commotion » « un ouragan », « Un séisme »...

Que dire à la « réception » de ce tableau du fonctionnement et de l’attitude de la hiérarchie ecclésiastique, qui durant soixante-dix ans, semble être restée aveugle aux agressions sexuelles commises par certains des leurs sur des enfants et des personnes vulnérables ?

« L’ampleur du phénomène que vous décrivez est effarante » et le nombre des victimes « nous accable et dépasse ce que nous pouvions supposer », a commenté Eric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France (CEF). Interrogé, mercredi 6 octobre, au lendemain de la publication de ce rapport accablant, ce même président (CEF) a déclaré que « le secret de la confession s’impose à nous et il est plus fort que les lois de la République ».

Damned !

Dieu reconnaîtra les siens...

Oui, vous avez bien lu, tels sont les mots du (Mon ?) seigneur Eric de Moulins-Beaufort, Président de la Conférence des Evêques de France (église catholique) : « le secret de la confession s’impose à nous et il est plus fort que les lois de la République ».

Et v’lan, les tables de la loi par-dessus les moulins ! Beaufort plus fort que les Islamistes radicaux ? Face au tollé général suscité par ses propos, de Moulins-Beaufort a  ensuite précisé que « le secret de la confession a toujours été respecté par la République française » et que « le droit canonique, qui impose aux prêtres le secret de la confession absolue et inviolable, n’est pas contraire au droit pénal français.

Selon le droit canonique, propre à l’Eglise catholique, il apparaît que le « secret sacramentel est inviolable ; aussi bien est-il est absolument interdit au confesseur de trahir en quoi que ce soit un pénitent, par des paroles ou d’une autre manière, et pour quelque cause que ce soit ». L’Eglise considère en effet que le pénitent s’adresse directement à Dieu et non pas au prêtre.

Sacré nom de Dieu !...

C’est bien beau le droit canonique, mais cela n’a pas valeur légale en France.

La loi, rien que la loi, toute la loi

Dépêche officielle

Direction des affaires criminelles et des grâces
Sous-direction de la justice pénale générale,
Bureau de la politique pénale générale

Paris, le 8 octobre 2021

Le garde des Sceaux, ministre de la Justice

Pour attribution : Mesdames et Messieurs les procureurs généraux près les cours d’appel... Pour information : Mesdames et Messieurs les premiers présidents des cours d’appel...

N/REF : 2021/0125/C10 Objet : Dépêche relative à la remise du rapport de la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise
PJ : - Synthèse du rapport de la CIASE –
Protocole de transmission au parquet des signalements d’infractions sexuelles à la suite des dénonciations reçues par le diocèse de Paris en date du 5 septembre 2019

Les 7 et 12 novembre 2018, la Conférence des évêques de France et celle des religieux et religieuses de France ont décidé la création d’une Commission Indépendante sur les Abus Sexuels dans l’Eglise (CIASE) destinée à faire la lumière sur les abus sexuels commis par des prêtres et des religieux ou religieuses sur des mineurs et des personnes vulnérables depuis le début des années 1950...

Le 5 octobre 2021, cette commission, présidée par M. Jean-Marc Sauvé, vice-président honoraire du Conseil d’Etat, a rendu publiques les conclusions de son rapport...

Il résulte de ce rapport que, depuis les années 1950, 216.000 personnes majeures ont été victimes de clercs ou de religieux pendant leur minorité. Ce chiffre est porté à 330.000 en incluant les victimes de laïcs en missions d’Eglise (catéchisme, aumônerie). Entre 2.900 et 3.200 auteurs d’infractions sexuelles dans l’Eglise ont été recensés, 56 % des agissements ayant eu lieu entre les années 1950 et 1970.

La CIASE émet quarante-cinq recommandations.

L’une rappelle les termes de la dépêche du 26 février 2021 qui invite à faire procéder systématiquement à l’ouverture d’une enquête préliminaire, y compris pour les faits susceptibles d’être prescrits...

A cet égard et comme rappelé dans la circulaire du 11 août 2004 relative au secret professionnel1 des ministres du culte et aux perquisitions et saisies dans les lieux de culte, les ministres du culte sont tenus de garder le secret des confidences reçues à raison de leur qualité. Toutefois, l’article 226-14 du code pénal autorise un ecclésiastique, comme toute autre personne, à révéler des infractions de sévices graves ou d’atteintes sexuelles infligées à un mineur de quinze ans ou à une personne vulnérable hors d’état de se protéger. Les articles 434-1 et 434-3 du même code sanctionnent la non dénonciation de crime ou de fait de privation, de mauvais traitements ou d’agressions ou d’atteintes sexuelles infligés à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d’une maladie, d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique ou d’un état de grossesse.

Ces textes prévoient cependant que sont exceptées de cette obligation les personnes astreintes au secret professionnel dans les conditions prévues par l’article 226-13 du code pénal. Ainsi, si le confesseur est autorisé par la loi à dénoncer les faits les plus graves, il n’a pas l’obligation pénalement sanctionnée de les porter à la connaissance de la puissance publique.

Toutefois, l'article 223-6 alinéa 1er du même code impose à « quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l'intégrité corporelle de la personne (…) de le faire ». Par conséquent, face à une infraction en cours ou imminente, le prêtre doit intervenir pour mettre fin à l’infraction ou empêcher son renouvellement.
Cela s’applique naturellement aux confessions des prêtres et des religieux reçues par l’évêque ou le supérieur.

...

Je vous saurais gré de bien vouloir me tenir informé, sous le timbre du bureau de la politique pénale générale de toute difficulté qui pourrait subvenir dans la mise en œuvre de la présente dépêche.

Eric DUPOND-MORETTI

Emmerder Dieu ?2

Curieusement, on remarque que les tenants du « secret professionnel » appartiennent généralement à des professions à « Ordre » (relevant des domaines de la médecine, du droit, de la religion...). De fait, il n’est pas nécessaire d’avoir lu Machiavel pour constater que les situations de pouvoir s’acoquinent bien souvent avec la notion de secret. Jusqu’à la maffia qui est cimentée par l’omerta...

Ce goût du secret – qui s’exerce en outre à travers des usages particuliers de la langue (jargons) – s’inscrit en opposition avec l’esprit scientifique. Lorsque le charmant Gaston Bachelard3 écrit qu’ « il n’y a de science que du caché », il entend par là que le travail scientifique vise précisément à porter au jour ce qui est caché, c’est à dire ce qui échappe habituellement aux idées qui ont cours (la doxa). «On ne peut rien fonder sur l’opinion : il faut d’abord la détruire », écrit-il. Et d’ajouter : la science procède par erreurs rectifiées, de vérité provisoire en vérité provisoire...

Méfions-nous de ceux qui prétendent détenir la vérité ; j’en ai croisé certains qui étaient prêts à vous tuer pour votre propre bien.

C’est précisément sur la disputatio – l’échange d’arguments méthodiquement élaborés – qu’a reposé depuis son origine le travail scientifique et universitaire. Cela est inscrit dans l’étymologie même du mot université qui signifie d’abord : considérer ensemble. C’est ainsi, par exemple, que la pratique et la recherche anthropologique consistent en quelque sorte à résoudre la quadrature du cercle en s’efforçant de prendre en pensée tous les points de vues possibles.4

Une certaine façon de d’être Dieu en quelque sorte...

En ce sens, il conviendrait, il me semble, de dépasser l’articulation savoir/pouvoir (le fameux pouvoir des « sachant » ou de ceux qui sont « supposés savoir »5). A ce binôme mortifère, il conviendrait, je pense, de substituer l’articulation connaissance/puissance (puissance au sens de potentialités).C’est en effet le propre de l’homme d’inventer et de s’inventer de façon indéfinie.

Sus au secret. Halte aux confessions de tous poils. Osons détruire les idoles et emmerder les dieux.6

Amen.


1 C’est moi (JMB) qui souligne.
2 R. Malka, Le droit d’emmerder Dieu, Grasset, 2021.
3 G. Bachelard, La formation de l’esprit scientifique, Vrin; La philosophie du non, PUF.
4 Cf. P. Bourdieu, Comprendre, in La misère du Monde, Seuil, 1993.
5 J. Lacan.
6 Quitte à emprunter les voies ouvertes par le bouddhisme (et reprises par Machiavel) préconisant d’honorer (éventuellement) les dieux, sans compter sur eux...

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