« Sans métallos, on serait à l’âge de pierre ! »

Passionné de mécanique et secrétaire départemental de la CGT du Jura depuis avril, Pascal Loureiro, 45 ans, a le syndicalisme dans la peau. Dans cet entretien, il aborde, à quelques jours de la journée intersyndicale du 5 octobre, les grands dossiers industriels de SKF (en grève mercredi 29 après un PSE « surdimensionné ») et MBF. Il répond aussi aux questions plus délicates de la transition écologique ou des difficultés de son organisation face aux conséquences sociales de la pandémie.

Pascal Loureiro : « Je me suis dit tôt que je devais me battre pour que la condition ouvrière s'améliore... »

C'est un militant occupé et préoccupé qui nous reçoit jeudi 23 septembre, dans son bureau de la Maison des syndicats de Lons-le-Saunier. Pascal Loureiro, secrétaire général depuis avril de l'union départementale CGT du Jura, seul département comtois où la CGT est le premier syndicat, est toujours délégué dans son entreprise. Technicien de méthodes chez SKF, fabriquant de roulements pour l'aéronautique, il y travaille deux jours par semaine. A bientôt 46 ans, il a succédé à l'électricien d'EDF Richard Dhivers, parti à la retraite.

Il y a un an, il a animé un important conflit en réaction au projet du groupe de supprimer 123 postes, ramenés à une vingtaine dans le plan de « sauvegarde » de l'emploi finalement conclu. Mais le travail étant revenu, la plupart des licenciés sont partis et doivent être remplacés par des intérimaires, ce qui a provoqué des débrayages mercredi 29 septembre.

Quelle est votre trajectoire ?

Je suis né à Dole dans une famille ouvrière. Mon père était maçon, ma mère faisait des ménages. Mon grand-père était portugais, je l'ai peu connu. J'ai obtenu un bac professionnel en productique-mécanique à Champagnole. J'ai ensuite travaillé un été comme intérimaire chez Thirode, à Poligny, mais ils n'ont pas renouvelé mon contrat car j'avais fait grève. Si j'avais su alors ce que je sais maintenant en droit du travail, ça ne se serait pas passé comme ça... D'un autre côté, ça me convenait car ils payaient mal, pas comme chez SKF où le salaire d'entrée est de 1900 euros brut plus une prime annuelle de 2000 euros brut... Et puis, je n'aurais pas eu de déroulement de carrière chez Thirode. Chez SKF, j'ai commencé comme rectifieur, aujourd'hui, je suis technicien méthode.

Concrètement, ça consiste en quoi ?

Rectifier, c'est finir des pièces à la meule, avec une tolérance de quelques microns. Technicien méthode, c'est être à l'interface entre le bureau d'études et l'atelier. On définit les modes opératoires, les étapes de fabrication, les traitement thermiques, le sens dans lequel on prend la pièce...

Pourquoi une tolérance au micron ?

Les pièces d'aéronautique requièrent une précision de cet ordre.

Sinon ?

Ça ne marche pas ! C'est comme en horlogerie, si l'engrenage est trop gros, une heure fera une heure et cinq minutes...

« La métallurgie, c'est un métier noble, c'est à la base de tout... »

Vous aimez le métal...

Je suis passionné de mécanique, d'usinage. Je n'ai pas fait ça par défaut. Je suis passé par une quatrième et une troisième technologiques. Après, j'avais le choix entre usinage et maintenance. Ce qui m'intéresse, c'est l'usinage, la matière, créer quelque chose. T'es sur une chaise, un métallo a fait les tubes. Et si la chaise est en bois, un métallo a fait la scie pour le couper. La métallurgie, c'est un métier noble. Dans l'esprit collectif, c'est un métier de seconde zone, mais c'est à la base de tout. Même un médecin, un métallo a fait son scanner... Sans métallos, on est à l'âge de pierre !

Quand avez-vous adhéré à la CGT ?

La condition ouvrière de mes parents a fait que je m'y suis impliqué tôt. Je n'étais pas malheureux, mais je me disais que je devais me battre pour que la condition ouvrière s'améliore... Déjà au lycée, je m'étais engagé contre le CIP, le contrat d'insertion professionnelle, en 1994-95. On nous disait qu'on serait payé, nous les jeunes, 80% du SMIC. J'ai manifesté, écrit les slogans... Je n'ai jamais été manipulé. J'ai aussi travaillé aux plâtrières de Grozon où c'était très compliqué. Je ne suis pas venu à la CGT par hasard. A SKF, j'allais voir le « camarade » Jean-Paul Crolet avec des articles de journaux. C'était un délégué syndical de la vieille école, un gueulard qui savait mener une action. Aujourd'hui, avec l'armada juridique des tauliers [les patrons], il faut être plus technique... C'est lui qui m'a demandé d'être candidat sur la liste CGT. Ceux de la CFDT seraient venus me demander, je n'y serais pas allé... Comme Henri Krasucki, [il montre la photo, au-dessus de son bureau, du secrétaire général de la CGT de 1982 à 1992], Jean-Paul Crolet parlait du quotidien des gens, ne tournait pas autour du pot...

« Le PSE est surdimensionné... On a du boulot et ils ont trop licencié... On n'a pas gagné car vingt personnes sont restées sur le carreau… »

Etes-vous majoritaire chez SKF ?

Oui. Historiquement, la CFDT a longtemps été seule dans le deuxième collège [celui des cadres dans les instances représentatives du personnel]. Quand je suis passé technicien,je me suis présenté dans le deuxième collège et on a fait 50-50. Le gars de la CFDT a été élu au bénéfice de l'âge car il avait six mois de plus que moi... 50-50, je me suis dit qu'il y avait matière à faire. Aux dernières élections, la CGT a eu tous les élus, quatre, dans le deuxième collège... C'est dû au travail syndical mené.

SKF en est où après le conflit de l'an dernier ?

Ça fait un an qu'on a lancé le PSE mais il est surdimensionné. Des 123 licenciements prévus au départ, on n'en a eu que 20, plus une vingtaine de cessations anticipées et 25 départs en reconversion. On a voulu dire la vérité aux gens, pas ce qu'ils voulaient entendre. Dans tel service, il pouvait y avoir trois postes supprimés et huit volontés de départ. On disait que dans ce cas tout le monde partirait. La CFDT disait : « partez... » En fait, des gens sont partis hors du PSE, ont démissionné, et on cherche des gens pour les remplacer. Et cela d'autant plus qu'on a du travail en retard ! On a du boulot et ils ont trop licencié ! Du coup, on n'a pas gagné. Vingt personnes sont restées sur le carreau...

Quel est le projet industriel ?

Travailler pour l'aéronautique civile et l'aéronautique militaire...

Le militaire est-il important ?

On travaille pour Dassault, mais ce n'est pas le gros du truc. Surtout, on est en sous-effectif, on fait des heures sup, les derniers licenciés ne sont pas encore partis, on rappelle des intérimaires depuis deux ou trois mois... C'est scandaleux.

« La voiture électrique n'est pas viable. On n'a pas les ressources pour construire les batteries. Pour l'énergie, il faudra en planter des éoliennes rien que pour le parc automobile ! »

Diriez-vous que vous avez limité la casse ?

On a mobilisé, mais pas assez... Le 17 septembre 2020, on n'était que 60-70 en grève sur 400 salariés. C'est dur de construire un rapport de force...

Le site a-t-il été menacé de fermeture ?

Non. Il l'avait été en 1977...

On pourrait penser que la transition écologique nécessite une transition industrielle...

C'est compliqué. On travaille sur des matériaux composites, comme le carbone, qui allègent les avions. Airbus y travaille. C'est le carburant qui alourdit les avions... Comment passer à autre chose ? On en vient à MBF [la fonderie de Saint-Claude liquidée cet été]... La voiture électrique n'est pas viable. On n'a pas les ressources pour construire les batteries. Pour l'énergie, il faudra en planter des éoliennes rien que pour le parc automobile ! Moi qui était antinucléaire, je me dis que ça reste le moins pire même si la gestion des déchets reste compliquée

Ne faudrait il pas changer les mobilités ?

A moyen terme, ce n'est pas jouable pour la voiture individuelle, cela nécessiterait de changer les outils de production. Les modes de travail qu'on a aujourd'hui font qu'on ne peut pas s'inscrire dans les transports collectifs qui sont surtout valables pour les grandes villes. On vient de remettre du fret ferroviaire vers Rungis. Ce serait une catastrophe de fermer la ligne des Hirondelles... On n'a retenu aucune leçon du confinement pendant lequel on disait qu'il fallait produire en France. Et c'est reparti ailleurs. S'il s'agit de fabriquer ailleurs pour vendre ailleurs, comme Bel au Maroc, d'accord, c'est noble. Mais ni le pétrole, ni le solaire, ni le nucléaire ne sont la solution. On nous dit que le nucléaire est autonome, mais le plutonium ne pousse pas dans nos jardins ! Les batteries sont issues de terres rares. L'énergie propre doit être socialement propre.

« Si on est trop longtemps permanent, 100% détaché, comment parler du travail ? »

Vous évoquiez MBF. Où en est-on ?

Il y a un projet de SCOP [société coopérative ouvrière de production] avec aujourd'hui une centaine de salariés sur plus de 200. Il leur faut 120 « actionnaires » : des techniciens de méthode et de bureau d'études, d'atelier, des fondeurs, un « taulier »... Il faut tous les métiers permettant de faire tourner la boutique. Les constructeurs automobiles doivent s'engager, et d'après Nahim [Nahim Yalcin, délégué CGT de MBF], c'est en bonne voie...

On saura quand ?

D'ici la fin de l'année. C'est un gros dossier pour lequel les salariés sont accompagnés. A la différence des Fralib, les clients ne sont pas des particuliers, mais des industriels. Si on est à la CGT, on achète son thé Fralib... Les SCOP gérées par les ouvriers, ça ne plait pas aux capitalistes. Il s'agit de travailler et de vivre de son travail, pas de faire bosser les autres. Ceux qui se battent pour l'emploi, ce sont les syndicalistes !

Et Jacob Delafon à Dole ?

J'ai peu de contacts. C'est plus difficile quand la bataille se fait autour d'un avocat et moins de façon syndicale...

Secrétaire général d'une union départementale, n'est-ce pas compliqué quand on est encore délégué syndical dans son entreprise ?

Oui, d'autant que je ne suis qu'à 60% à l'UD. Je me forme sur le tas, avec des contacts. Mais je ne regrette pas d'être deux jours par semaine à SKF. Si on est trop longtemps permanent, 100% détaché, comment parler du travail ?

On risque de devenir un bureaucrate ?

On peut le devenir même si tous les militants sont dans l'usine. Philippe Martinez est sans cesse au contact des gens. Ça me va bien de garder un pied dans la boîte. On m'a sollicité pour l'UD, je n'avais pas de plan de carrière. J'ai mené des batailles syndicales à SKF, fait quinze ans de prud'hommes, ça forge un parcours militant. C'est un gars de SKF, Michel Pernot, qui m'a donné envie d'aller aux prud'hommes lors d'un repas des anciens du comité d'entreprise... Aux prud'hommes, tu sauves quelques personnes dans la galère...

« Ils font tout hors des règles... »

La CGT est en difficulté dans la gestion des conséquences sociales de la pandémie. Certains, comme la section de l'hôpital de Lons-le-Saunier, ont très vite bataillé contre les suspensions de contrats de travail et de salaires. D'autres semblent laisser faire, comme le syndicat départemental CGT santé-social n'accompagne pas les salariés de l'ITEP de Revigny...

On voulait faire une grève le 7 septembre, mais selon les remontées, il y aurait eu peu de monde. Les manifs sociétales du samedi, c'est sympa, mais pour prendre quelque chose, il faut une grève et taper dans la poche des tauliers.

La grève est difficile dans les hôpitaux publics avec les assignations...

C'est quand même là qu'on pouvait mettre un coin dans leur système. J'aurais compris si les gens avaient eu des masques et des blouses il y a un an et demi. On a quand même eu le décès de notre camarade le docteur Loupiac. Il y a dix ans, on parlait déjà de la santé. Nous étions à l'avant garde quand en 2011 nous demandions le maintien de la réanimation à l'hôpital de Dole...

Voyez vous dans les suspensions de salaire une sanction, comme l'a relevé le Conseil d'Etat que le gouvernement n'a pas suivi ?

Ils font tout hors des règles. Il y a même eu des applications rétroactives, avant le 15 septembre, de la loi du 5 août.

« C'est compliqué de s'implanter. C'est un travail de fourmi. »

La CGT, FO, la FSU, Solidaires et des organisations de jeunesse, ont programmé le 5 octobre une journée de mobilisation « pour les salaires, l'emploi et les conditions de travail et d'étude ». N'est-ce pas un peu tardif ?

On est en intersyndicale, on espère que ce sera important...

Le syndicalisme a l'air globalement en grande difficulté...

C'est compliqué de s'implanter. C'est un travail de fourmi. On a trouvé un candidat dans une ville dont je ne peux pas parler sans risque... Des boîtes ferment là où nous étions implantés, comme chez Henri-Jullien où le syndicat CGT venait de la CFDT. Il était animé par l'ancien secrétaire de l'union locale CFDT qui l'avait quittée en 2003 lors d'une réforme des retraites...

Est-ce important que l'UD CGT soit pilotée par un salarié du privé après l'avoir été par un salarié du public ?

Il ne connaissait pas le privé, moi pas le public. Il s'appuyait sur ceux du privé, moi sur ceux du public, par exemple la santé ou la fonction publique où travaille le secrétaire de l'union locale de Dole, Bruno Artel. Cela ne change pas fondamentalement les choses : notre job, c'est de déployer la CGT.

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