Philippe Martinez dans le Jura : « Ce n’est pas moi qui décide, sinon le pays serait déjà arrêté… »

Le secrétaire général de la CGT, qui tenait un bureau national décentralisé à Dijon, a fait le détour par SKF à Perrigny, près de Lons-le-Saunier, pour « remobiliser » les salariés. Il a expliqué que son principal donneur d'ordre, Airbus, a « huit ans de carnet de commandes ». Il est aussi passé par Dole chez Jacob Delafon qui a « besoin d'investissements » et a évoqué MBF, sous traitant automobile à Saint-Claude : là, il faut « raisonner en filière, que les grosses boîtes aident les petites » et que le gouvernement « conditionne les aides publiques ».

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Philippe Martinez s'engouffre dans la voiture du secrétaire de l'union départementale CGT du Jura et quitte la zone industrielle de Perrigny. C'est l'heure du déjeuner et les militants de différents secteurs, de l'agro-alimentaire à MBF Saint-Claude en passant par les fonctionnaires territoriaux, s'en vont à leur tour. Chasubles rouges sur le dos, ils sont venus ce mardi 22 septembre à une vingtaine sur le parvis de l'usine SKF où ils ont planté quelques drapeaux. Et cette visibilité fonctionne : au moment où nous arrivions, deux heures plus tôt, des camionneurs les saluaient à grands coups de klaxon. 

Pascal Loureiro, le délégué CGT de l'usine, apprécie cette visite inédite du secrétaire général : « C'est un point d'appui, ça remobilise les troupes, permet des échanges d'un niveau supérieur... » Philippe Martinez a ainsi rencontré les syndiqués de l'entreprise ainsi que les élus du personnel lors d'un échange avec le directeur du site, Brice Comment. Il a notamment apporté un élément qui répétera lors de la conférence de presse à la sortie : Airbus, qui fait travailler SKF directement à 30%, et à 80% si l'on comprend la sous-traitance indirecte, a « huit ans de travail sur son carnet de commandes. »

Bizarrement, l'argument n'avait pas été avancé localement : « on le savait, mais c'est lui qui nous a dit qu'il fallait l'utiliser », souligne Pascal Loureiro. Ça se savait en effet dans la CGT parce que l'information a été donnée lors des instances représentatives d'Airbus... Autrement dit, faire circuler l'information est un atout. En outre, la lecture du rapport d'activité du groupe SKF pour le premier semestre de cette année, daté du 21 juillet, s'il fait état d'une baisse d'activité de 25% au second trimestre, mentionne explicitement le maintien des marges : « Malgré cette baisse considérable de la demande, nous avons continué à améliorer notre flexibilité en matière de coûts et avons réussi à dégager une marge opérationnelle ajustée de 9,4 % pour le deuxième trimestre (12,7 % l'an dernier), avec un résultat d'exploitation ajusté de 1,6 milliard de couronnes suédoises (160 millions d'euros) ».

Le document évoque aussi la suppression de plus de 2000 salariés dont 1350 permanents dans le monde au premier semestre, et annonce : « Ces efforts se poursuivront et, par conséquent, nous nous attendons à ce que les coûts de restructuration restent élevés au cours du second semestre de 2020. Il s'agit là de mesures difficiles mais indispensables que nous devons prendre afin de protéger l'entreprise... » Pascal Loureiro a aussi eu l'information : « En comité de groupe, la direction a avancé 20% d'effectifs en moins ».

Cette stratégie est clairement refusée par la CGT qui, localement, fait état de 81 millions de bénéfices cumulés sur les six dernières années. De quoi, pour elle, permettre d'amortir la baisse d'activité le temps de la crise sans licencier afin de préserver les savoir-faire pour la reprise quand elle surviendra, a dit en substance Philippe Martinez. Il défend également le recours au dispositif de chômage partiel afin d'éviter les pertes d'emplois. « J'ai également dit à la direction que ça ne coûte rien de prendre des apprentis en ce moment, on m'a répondu que c'était une bonne idée », ajoute-t-il à l'intention des journalistes qui l'attendaient au milieu des militants syndicaux.

« Réfléchir d'abord pour éviter les licenciements sinon le savoir-faire partira ailleurs »

Le secrétaire général a aussi une formule qui fait mouche auprès de ses derniers : « pour le patronat, on licencie avant de réfléchir. Nous on propose l'inverse : réfléchir d'abord pour éviter les licenciements sinon le savoir-faire partira ailleurs ». Et de mettre en avant la réduction du temps de travail à 32 heures hebdomadaires ou encore la diversification d'activité. Un dernier point qu'il met en avant lorsque nous faisons remarquer que les transports internationaux, dont le transport aérien, sont plus qu'au ralenti et qu'on peut travailler à l'hypothèse d'un coup d'arrêt à la mondialisation des échanges, ce qui signifie une réorientation industrielle...

Pour Philippe Martinez, « on n'en est pas là : huit ans de carnet de commande chez Airbus, il faut remettre les choses à l'endroit : les commandes d'avions sont garanties... » Par ailleurs, il assure qu'il y a des pistes pour des avions moins polluants, des courts et moyens courriers, notamment « les ATR à hélices qui consomment 50% de moins qu'un airbus et qu'il est possible de fabriquer près d'ici ».

En charge des questions sociales et de l'emploi à la direction nationale de la CGT, Catherine Perret, qui accompagne Philippe Martinez, complète : « la filière aéronautique peut passer le cap si l'ensemble des entreprises raisonne de manière coordonnée. On ne nie pas la crise sanitaire, mais il faut un cap. Et nous sommes dans un bras de fer avec le gouvernement pour qu'il conditionne ses aides par le maintien de l'emploi, le chômage de longue durée sur quelques mois, former plutôt que chômer... » Comme l'accord signé il y a une douzaine d'années par tous les syndicats, les patrons, l'Etat et le conseil régional de Franche-Comté ? « Oui, il permettait la constance du contrat de travail, les gens ne perdaient pas leur expérience et leur salaire même en changeant de boîte... Ils nous disent tous que ce sont des métiers de haute technicité, mais qu'on les garde, qu'on fasse de la formation... »

 

 

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