« Non je n’en vois pas là. Il faut chercher un peu, mais il y en a ! », nous conseille quelqu’un à qui nous demandons si elle avait vu des salariés du privé dans la manifestation. C’est parfois difficile, tant le flot des professeurs, infirmiers, aides-soignants, personnels des collectivités, ONF, douaniers et autres fonctionnaires domine les cortèges. Même si leur présence est discrète, et qu’il s’agit essentiellement de délégués syndicaux, de nombreux salariés du privé font valoir leur droit à la grève pour manifester contre la réforme des retraites.
Et comme ailleurs, la CFDT manifestait pour la première fois ce mardi 17 décembre à Besançon. Ils ont rejoint la mobilisation pour « une meilleure réforme et faire pression sur les questions de la pénibilité et de l’égalité hommes/femmes », nous dit son secrétaire général régional, Denis Cerveau, en queue de cortège. Hussein Chehade, délégué du syndicat chez Snop, une entreprise de découpage pour l’industrie automobile, nous indique qu’il compte plus de grévistes dans sa boite aujourd’hui que le 5 décembre. Soit 20 % d’un effectif de 72 personnes. « Le président avait promis de ne pas toucher à l’âge de départ... », se désespère-t-il.
Il est aussi venu demander une meilleure reconnaissance des travailleurs. « Surtout pour les métiers pénibles comme nous, où on travaille en 2/8, avec des horaires décalés, on ne bénéficie de rien du tout aujourd’hui. On n’a pas de prime de pénibilité. C’est normal de nous laisser seuls comme ça ? Ça nous pénalise beaucoup. » Faute d’éléments concrets pour se forger un avis, il reste sceptique sur la question du point. « Tant que l’on ne connait pas la valeur du point, on restera dans l’incertitude, on attend les simulations du gouvernement. »
« On ne parle pas de nous, et les gens du privé ne savent pas ce qui les attend »
Plus loin, deux collègues de la CFE-CGC partagent la même analyse sur ce manque d’information. Ils travaillent à Ornans à Itw Rivex, pour le secteur automobile également. Le syndicat « réformiste » de l’encadrement avait déjà appelé à la grève le 5 décembre. « On compte 15 % de personnel en grève aujourd’hui sur 125 personnes. C’est une mobilisation assez faible, mais plus forte que le 5. Si on a du mal à mobiliser, c’est que tout parait très flou et qu’on ne parle que des régimes spéciaux, des cheminots ou des professeurs. On ne parle pas de nous, et les gens du privé ne savent pas ce qui les attend. Ceux qui ont commencé à 23 ans savent déjà qu’ils vont partir à 64 ans. Ce qu’ils ont besoin de savoir, c’est quel sera le montant de leur retraite. On ne peut même pas leur donner de chiffres, dire s’ils vont perdre de l’argent ou pas, même si on sait que nous allons y perdre. Ils veulent nous piquer notre caisse Agirc-Arrco avec l’objectif de mutualiser toutes les caisses. C’est pour ça que l’on retrouve des avocats, qui vont aussi se faire piquer leur caisse », détaillent ces deux cadres.
Un manifestant portant une chasuble CGT, « embauché en tant que privé sur la partie thermique d’EDF », nous décrit aussi les difficultés de mobiliser. « Si vous manifestez, vous perdez des heures et les gens sont très attachés à leur salaire. Ils veulent bien venir une ou deux fois, mais après ça pèse trop. Beaucoup de non-grévistes nous soutiennent, et la mobilisation est mouvante ». Pour réduire l’impact économique de la grève, la pratique du roulement entre salariés est beaucoup pratiquée. Et lui aussi revient sur le fort accent médiatique donné aux régimes spéciaux, qui rend plus complexe la prise de conscience des impacts de la réforme pour le secteur privé. « Beaucoup sont convaincus que les manifestations, c’est simplement pour soutenir les cheminots et leurs avantages. Les salariés ne se sentent pas vraiment concernés et les cheminots ne sont pas très bien vus, avec l’histoire de la prime au charbon. Ce n’est pas vrai, mais ce sont les informations qui sont propagées. Si on s’était battus dès le début, on n’en serait pas là. »
Dur de mobiliser à PSA avec 50 % d’intérimaires
À Montbéliard, la manifestation a aussi rassemblé beaucoup de monde, dont des salariés de la Peuge, de PSA, qui validait d’ailleurs ce jour-là la fusion avec Fiat-Chrysler. « Le gouvernement a voulu nous diviser en marquant une différence entre public et privé pour passer à un système par capitalisation. On veut garder le meilleur système du monde, celui par répartition », dit ce syndicaliste CGT. Il évoque aussi la recette de PSA pour éviter la contestation : l’emploi massif d’intérimaires, environ 50 % de l’effectif d’après lui. « Les gens sont divisés et n’osent plus faire grève, par peur des sanctions. Un intérimaire qui fait grève ne verra pas son contrat renouvelé », décrit-il.
« Certains pensent que c’est foutu, qu’il n’y a plus rien à faire. J’espère que l’on ne sera pas obligé de casser pour se faire entendre. Les gens en ont marre. On se lève à 4 h pour être au boulot à 5 h 30. Normalement, on finit à 13 h 12, mais ils peuvent annoncer le matin une heure supplémentaire. Ils ont même supprimé les bus pour que les ouvriers n’aient plus d’excuse pour la rater. Mais ils commencent à avoir des difficultés pour trouver des intérimaires. Il ne faut pas se foutre de notre gueule pour 1 200 euros », dit-il en ajoutant que PSA fait appel à des réfugiés politiques, « dernièrement des Afghans », pour trouver des employés qui ne feront pas grève et qui acceptent des conditions de travail qui se dégradent.
« On était soi-disant dans le gouffre en 2012, mais moi, je n’ai pas vu ça. En tout cas, les salaires et les évolutions de carrière sont gelés depuis 7 ans. Ils vont aussi supprimer la compensation de la perte de prime de nuit pour ceux qui étaient réaffectés à un poste de jour. La fin de la prime était étalée sur 36 mois au départ, puis 12, 6 et 3 actuellement. Bientôt, ce sera terminé avec les nouveaux accords de compétitivité. » Il est en colère, d’autant qu’il vient d’apprendre une mauvaise nouvelle de plus. « Ils viennent d’annoncer qu’ils allaient réduire de 5 % les effectifs dans la branche recherche-développement. Cela concerne 2 500 personnes entre les sites de Sochaux et de Belchamp. Ce pourra être des départs en retraites non remplacés. On force les gens à la porte en les bombardant de mails. J’ai 26 ans d’ancienneté et ils me proposent 34 000 euros, je fais quoi avec ? » se demande le quinquagénaire qui refuse cette somme par peur de ne plus rien retrouver derrière en attendant sa retraite. « PSA délocalise à outrance, au Maroc ces temps-ci. Ils veulent foutre tout le monde dehors et délocaliser. »