Réforme du Bac et retraites, les profs ne lâchent pas

Nouveaux examens, réforme du bac, manque de moyens, stress et retraites. Les profs et les instits continuent la mobilisation dans la rue, devant les lycées et les écoles pour crier l’urgence et enfin se faire entendre. Les annonces sur l’âge pivot et les 500 millions pour revaloriser leurs salaires n’entament en rien leur détermination. Ils ont fait le calcul, cela représente 47 euros bruts par mois supplémentaires en moyenne pour chaque enseignant.

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« Toutes les entrées sont bloquées, il n’y aura pas cours aujourd’hui », indique vers 8h Olivier Millot devant une entrée du lycée Pasteur dans le centre-ville de Besançon, bien gardée par des syndicalistes et quelques Gilets jaunes. Lui est prof dans un autre lycée, à Pergaud, et le blocage de ce mardi matin a été décidé vendredi lors d’une AG du corps enseignant au lycée Jules Haag. « Ce matin, nous avons posé le débat dans la rue », se félicite le prof d’anglais, syndiqué au Snes. Entre chaque chanson des musiciens du camion Sud, des élèves, des profs, des syndicalistes et des Gilets jaunes ont pu exprimer les raisons de leur colère, à la fois contre la réforme des retraites et les conditions d’enseignement.

Outre les classes surchargées et le manque chronique de moyens, c’est la réforme du Bac qui préoccupe les esprits. Dans deux semaines, les épreuves communes de contrôle continu (E3C) débuteront pour les classes de première, sans que tout ne soit encore calé. Le tract distribué évoque le stress qu’elles engendrent du fait d’un manque de temps pour réviser, des sujets qui n’ont pas encore été choisis, l’absence de formation des enseignants, et des personnels administratifs dépassés.

Les annonces du gouvernement sur l’âge pivot et celle du ministre de l’Education, Jean-Michel Blanquer, qui indique débloquer 500 millions d’euros par an pour revaloriser les salaires des enseignants n’entament pas la détermination des grévistes. « Personne ne croit que le retrait provisoire de l'âge pivot est un progrès, que les 500 millions constituent une amélioration du salaire, on sait que ce sera conditionné à plus de travail. Ce sera en plus diviseur, entre ceux qui toucheront les primes et les autres », indique Olivier Millot, qui ajoute que les profs, « bien conscient de l’histoire sociale, ne peuvent pas accepter pour un intérêt catégoriel de quitter le mouvement de lutte contre la réforme des retraites ». Au micro, il déclare que « des milliards, il y en a dans cette société, et qu’ils devraient servir à l’éducation, à la création d’emploi, dans les hôpitaux » et que « dans cette société, seuls ceux qui luttent sont respectés. »

« Si on fait le calcul, ces 500 millions d’euros supplémentaires représenteront 39 euros net en plus par enseignant et par mois, cela ne va pas changer grand-chose », se désole une prof du lycée Pasteur en grève aujourd’hui, qui regrette que tout soit flou, que le ministre ne dévoile rien et que les annonces soient prévues après le vote de la loi sur les retraites. « Dans la lettre d’une élève de première qui a été lue tout à l’heure, on se rend compte qu'ils sont conscients qu’ils ne viennent plus pour apprendre, mais pour les examens. Il faut savoir pourquoi on vient, pour les cours ou les notes », ajoute-t-elle.

« Nous ne sommes pas juste inquiets pour des histoires de salaires, cela prend des proportions médico-sociales inquiétantes »

Sa collègue souligne que la génération qui est visée par la réforme du Bac était déjà celle qui était touchée par la réforme du primaire, du collège et qu’ils rentreront aussi dans le nouveau régime de retraite. « Ils expérimentent tout, c’est très anxiogène pour eux. L’infirmière scolaire n’a jamais vu autant d'élèves sous antidépresseurs, sous anxiolytiques, il y a un gros taux d'absentéisme. Nous ne sommes pas juste inquiets pour des histoires de salaires, cela prend des proportions médico-sociales inquiétantes. Concernant les épreuves E3C de janvier, rien n'est calé, on a les dates, et encore. C’est stressant, on n’arrive pas à répondre aux questions des élèves. Le climat est inquiétant et anxiogène, pas propice à l'apprentissage. Et si on rajoute l’inquiétude sur le climat, très présent dans leurs esprits… »

Juliette, Alizée et Aude, en deuxième année de classe prépa littéraire au lycée Pasteur corroborent ces affirmations. « On se sent impliquées et concernées, beaucoup d’élèves de notre classe se destinent à être profs, nous avons des petits frères concernés par la réforme du bac et il s’agit de notre avenir. Nous ne sommes pas là pour une seule chose, c’est un ras-le-bol général. On va essayer de poursuivre cette mobilisation, on essaie de concilier ça avec nos études chargées. Mais si nous faisons des études sans savoir dans quel état seront nos métiers, pour après des retraites ridicules et un monde dans un piteux état, avec une crise écologique qui nous empêchera de vivre... Notre sujet principal, c'est la crise écologique, il y a tous les jours un truc qui nous fait peur. Ça, c’est tout de suite, la retraite non. »

À l’issue du blocage, l’AG a décidé d’autres actions. Jeudi matin, ce sera le lycée Pergaud qui sera bloqué avant la manifestation à 10h30 au départ de la gare Viotte et une action de sensibilisation des parents d’élèves devant l’école primaire Viotte à 16h15. Certains évoquent la précarité qui touche les élèves qui doivent travailler pour subvenir à leurs besoins. Un prof évoque 17 élèves sur 32 qui travaillent en plus des cours dans une classe de terminale STEG d’un lycée professionnel et s'inquiète de la fatigue que cela engendre. « J’ai vu un délégué qui a demandé une autorisation d’absence qu’il devait remettre au directeur du McDO. Le travail passe devant la scolarité », se désole-t-il.

Dans l’après-midi, la manifestation interprofessionnelle de 14h a rassemblé environ 1000 personnes dans les rues de Besançon. Un reflux qui a été anticipé par les syndicalistes, le parcours s’est d’ailleurs contenté du centre-ville. On s'attendait à ce qu’il y ait moins de grévistes, perdre encore une journée de salaire, cela commence à peser, les collègues nous ont prévenus que ce serait compliqué », annonce Karine Laurent, déléguée départementale du Snuipp-FSU. « Une à deux fois par semaine, c’est compliqué, il suffirait d’une pause d’une semaine pour avoir plus de monde », pronostique-t-elle.

« Ce n'est pas forcément dans le cortège que l’on mesure l'intensité d’une mobilisation »

Suite au suicide de Christine Renon, le ministre a voulu montrer qu’il prend nos problèmes en considération. Il a décidé une consultation sur Internet et a obligé les inspecteurs à rencontrer en quinze jours tous les directeurs d’école. C’était impossible, entre les réunions et leur vie. Quand on veut faire ça correctement, il n’aurait pas fallu faire comme ça. Il annonce un taux de réponse de 60%, mais c’est un peu rapide, tout le monde pouvait répondre et nous n’avons pas confiance dans la façon dont les réponses seront traitées. » Pour preuve du malaise et de la désorganisation, elle indique qu’en novembre 2019, sur les 15 journées d’école, il y a eu 436 classes dans le Doubs qui n’avaient pas pu avoir cours une journée, alors que le chiffre tourne habituellement autour de 170. « Cela fait 27 ou 28 classes par jour dans le département. Il y a un gros malaise et on ne comprend pas comment ils se permettent de nous maltraiter et d’aller encore plus loin. Soit ils sont inconscients, soit il s’agit d’une destruction programmée de l'enseignement. »

Après plus de 40 jours de combat, François, un prof syndiqué à CGT Educ’action, se dit assez satisfait de la mobilisation. On est sur la bonne voie, on manifeste régulièrement même si les gens ont un peu de mal à se mobiliser tous les jours. Il y avait une centaine de personnes ce matin pour le blocage du lycée Pasteur, des camarades qui se lèvent à 4h du mat pour faire des actions, demain c'est 6 h pour une action péage gratuit. Ce n'est pas forcément dans le cortège que l’on mesure l'intensité d’une mobilisation. Aujourd’hui dans la manifestation, j’ai vu des gens que je n’ai pas l'habitude de voir. Les manifs peuvent baisser en nombre, mais on n’en est plus là, le conflit dure depuis tellement longtemps. Certains sont fatalistes avec toutes ces défaites, mais avec un mouvement qui dure, on montre que l’on peut faire quelque chose.

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