À quand la reprise chez PSA ? Le flou est total depuis la fermeture de ses sites le 17 mars. Si le groupe prévoyait initialement une éventuelle reprise rapide, il a dû reculer fissa face à l’hostilité de tous les syndicats, inquiets pour la santé des salariés. La réalité des chiffres a joué aussi. Avec deux semaines de confinement, PSA a vu ses ventes baisser de 68 % en mars selon l’ACEA, l’Association des constructeurs automobiles européens. Au mois d’avril, la chute serait de l’ordre de 90 %… L’avenir s’annonce bien incertain, pourtant Renault et Toyota sont eux timidement repartis. Mais du côté de PSA, aucune date n’est annoncée pour la reprise de l’activité. Peut-être pour le 11 mai, date qui semblait magique depuis les annonces d’Emmanuel Macron, mais rien ne l’indique pour l’instant.
En attendant d’y voir plus clair, PSA se met bien sûr en condition. « Nous sommes capables d’envisager une reprise, mais nous n’en sommes pas là », souligne un porte-parole du groupe. Et la première étape consistait à mettre en place un protocole pour maximiser la sécurité sanitaire dans les usines. Avec sa troisième version, il est aujourd’hui presque au point. À Sochaux, fief de Peugeot, ce sont 6 km de cheminement piéton qui ont été marqués au sol pour assurer une distanciation physique. Les espaces sont aménagés pour respecter une distance de 1 m et des séparations sont prévues quand c’est impossible. Le port du masque et de lunettes sera obligatoire, tandis que certains devront porter des gants. Les restaurants seront fermés, seuls des paniers repas seront distribués à ceux qui n’ont rien apporté. Il n’y aura plus de distributeur d’eau ou de machine à café, ni d’aires fumeurs, etc.
Le protocole sanitaire est validé par tous les syndicats, sauf la CGT qui l’estime insuffisant et qui ne veut pas entendre parler de reprise tant que durera le confinement. « On ne veut pas gonfler les lits de réanimation pour produire des voitures qui resteront au garage », affirme Jérôme Boussard, délégué syndical à Sochaux. Du côté de Force Ouvrière, qui salue ces mesures en vue d’une reprise, on tient tout de même à rester prudent et à souligner que le risque zéro n’existe pas. « Le protocole sanitaire est parfaitement au point, mais ce qu’il reste à faire, c’est adapter la partie industrielle à ce plan. Il est dit qu’il faut se laver les mains toutes les heures, mais on a des pauses toutes les 2 h 30. Et la direction va-t-elle prendre en compte le temps d’habillage et de déshabillage beaucoup plus long parce que nous ne pourrons pas aller tous en même temps dans les vestiaires ? », se demande par exemple Éric Peultier, délégué FO dans la même usine.
Et si les gestes barrières préconisés par le gouvernement sont plutôt simples à mettre en œuvre, il restera aux salariés à intégrer aussi ceux qui sont spécifiques à une usine, comme le respect des 1 mètre avec les autres autour de son espace de production. « On a un certain nombre de choses comme le marquage au sol, mais ce qui manquera, c’est la vérification en réel leur application sur le terrain. On a demandé à ce que des petits groupes puissent constater sur le terrain ce qui marche et ce qui ne marche pas, ce qui a été accepté », indique Laurent Oechsel, délégué CFE-CGC du site.
« On reprendra de façon humble, ce ne sera pas imposé du haut en bas. Il y a des choses que les salariés voient et pas nous, ce n’est pas un modèle mathématique. Les premiers jours vont être différents, avec un accueil particulier et un point pédagogique par petite équipe », veut-on rassurer du côté de la direction, qui a déjà préparé des films à destination des salariés pour expliquer les nouvelles consignes sanitaires. « Les gens vont découvrir un site différent de ce qu’ils connaissent, on ne va pas travailler de la même manière », poursuit-il.
Une semaine de stock de masques
PSA indique dans son protocole sanitaire que chaque salarié recevra deux masques chirurgicaux par jour, et deux supplémentaires s’ils covoiturent ou se rendent au travail avec les bus affrétés. Sans masques, pas de reprise possible donc. Est-ce que cela serait une des raisons du retard de PSA par rapport à ses concurrents ? « Pour l’instant on a l’équivalent en stock d’une semaine de travail à petit rythme. Sachant que l’on saura réapprovisionner au fur et à mesure et en fonction des besoins, c’est en tout cas le pari que l’on fait », nous apprend une source proche de la direction sochalienne. Les syndicats, qui cherchent à connaitre le stock, ne reçoivent eux pas de réponses.
En tout cas, le site n’a pas échappé à la pagaille générale à propos de la gestion des masques. Dès le 17 mars, la préfecture du Doubs a produit un arrêté préfectoral de réquisition des masques se trouvant sur le site de Sochaux au profit de l’hôpital Nord–Franche-Comté de Trévenans. Pourtant, c’est sur un don total de 130 000 masques que le groupe PSA communique le 20 mars. Et pour cause, la réquisition n’a jamais eu lieu… « Nous avons retenu la réquisition d’un commun accord, puis d’un autre commun accord, nous avions convenu que le don était la meilleure solution. On ne peut pas laisser penser qu’il y a eu une pression de l’État pour que PSA fournisse des masques aux soignants », nous indique la préfecture. PSA est sur la même ligne et nous apprend que la réquisition a d’abord été vue comme un moyen de sortir les masques du stock avec un papier officiel. Mais sûrement aussi parce que les masques donnés par le site de Sochaux (25 000 à Trévenans, 20 000 au SDIS et 10 000 au CHRU de Besançon) n’étaient pas sur son site, mais à Vesoul. Et cela rendait inopérant un arrêté rédigé dans une telle précipitation qu’il lui manque des mots.
Vesoul ne s’est pas arrêté, instaurant un climat de peur
Le site de Vesoul ne gère pas que les masques. C’est aussi le centre mondial de pièces détachées du groupe et la plus grande plate-forme de logistique automobile d’Europe. C’est également une usine pilote pour la reprise de PSA en France dans ce nouveau contexte sanitaire. Car ce site, considéré comme hautement stratégique, ne s’est pas arrêté. Enfin pas complètement, et progressivement. On y compte fin avril un peu moins de 450 personnes qui y travaillent pour PSA, soit 20 % de l’effectif normal. Il faut aussi y ajouter environ 150 qui travaillent pour d’autres employeurs sur le site. « Au départ, on pensait qu’on allait s’arrêter, comme les autres. Mais on s’est rendu compte que non, parce qu’il y avait la dérogation pour la production de pièces détachées », explique un salarié.
Et au départ, c’est dans la peur et la panique que l’usine tournait tant bien que mal. Au début du confinement, il n’y avait ni masques ni lunettes pour les salariés, pas de nettoyages des installations. Seuls les gestes barrières ont été assez vite mis en place. Pas suffisant apparemment. La CGT dénonçait par la voix de Cédric Fischer, son délégué sur place, une forte hausse des contaminations de Covid-19. Il indiquait que le nombre de cas suspects parmi les salariés avait triplé en deux semaines pour s’établir à 128 le 1 er avril. Soit plus de 10 % des personnes qui étaient sur le site à ce moment. Ne souhaitant pas se rendre au travail dans un tel climat anxiogène, certains indiquaient avoir de la fièvre sur le suivi d’autosurveillance médicale que la direction avait fourni et qui sera généralisé à l’ensemble des sites.
Les mesures auraient dû être plus strictes à Vesoul. « Normalement, si on appliquait la règle, il devait y avoir une prise de température à l’arrivée sur site. Mais ça n’a jamais été le cas à Vesoul. Pour la simple et bonne raison que si on contrôle 1300 personnes à l’entrée, plus les chauffeurs des camions, la ville de Vesoul serait bloquée et on ne pourrait plus circuler. Sur les autres sites, ils vont demander aux gens de prendre leur température, mais s’il y a une personne porteuse du virus sans symptômes, vous ne la détecterez pas », prévient Jean-Yves Poulet, délégué FO à Vesoul.
Dans les autres sites, la direction indique que le retour à l’usine se fera sur la base du volontariat. Mais ce n’est pas exactement ce qu’il se passe à Vesoul. Les intérimaires, qui n’ont pas vraiment le choix, représentent près de la moitié des effectifs qui y travaillent actuellement. Et parmi les embauchés présents sur le site, certains ne sont pas volontaires, mais bien réquisitionnés en raison de l’importance de leur poste. Et les retours contraints devraient très vite augmenter à Vesoul, parce que les prévisions du mois de mai tablent sur une reprise à 40-60 % de l’activité. Et pour cela, la direction va mettre en place un système de roulement pour habituer les gens aux gestes barrières. Et aussi pour reposer ceux qui travaillent depuis le début et qui n’y trouvent pas beaucoup d’avantages. Le chômage partiel est garanti à 100 % par PSA jusqu’au 30 avril par un fonds de solidarité financé en partie par un jour de congés payés pour les ouvriers et techniciens et de deux pour les cadres. Le dispositif de chômage partiel vient d’être prolongé jusqu’au 30 juin, mais sans encore de garanties sur le maintien de 100 % du salaire.
Une incertitude qui pèse sur le moral des salariés
Aujourd’hui le protocole sanitaire n’attend qu’à se rôder. La coordination assurée par PSA auprès de ses fournisseurs et sous-traitants pour s’assurer qu’il n’y aura pas de ruptures logistiques semble bien avancé. Mais il manque encore une condition essentielle : le débouché. Car si d’après un article de Challenge daté du 21 avril, le calendrier prévisionnel de PSA tablait encore il y a peu sur une reprise le 27 avril, cela n’a pas été le cas. Le gouvernement est soumis à la pression, tant syndicale que patronale, pour autoriser la réouverture des concessions au plus vite afin de préserver la filière automobile. Car il est évident qu’une accumulation inutile de stock conduirait à un nouvel arrêt de la production. Et ça, PSA ne le souhaite pas. Pour expliquer son retard sur ses concurrents, on avance prudemment que si Toyota a rouvert, c’est parce qu’ils ont besoin de tester les protocoles de fabrication de la nouvelle Yaris. Et même si les concessions rouvrent rapidement, rien ne permet d’anticiper le comportement des consommateurs dans cette période trouble.
Mais toute cette incertitude commence à peser sur le moral des salariés, dont beaucoup commencent à sérieusement s’inquiéter des conséquences économiques potentiellement catastrophiques d’un arrêt trop long de l’activité de leur entreprise. « Il y a beaucoup de bruit de couloir, par certains hiérarchiques, sur les réseaux sociaux… Il y a peut-être 2 ou 3 scénarios sur la table, mais il faut que la direction nous donne de vraies infos à donner aux salariés, parce que ça provoque du stress, de l’angoisse et de l’incertitude », s’inquiète Éric Peultier. Ce qui est certain, c’est que la direction s’est engagée à prévenir les salariés au moins cinq jours avant la reprise et que celle-ci se fera en douceur. À Sochaux, on parle d’une équipe, ou plus probablement d’une demie-équipe, sur les six que comptait le site avant le confinement. Les syndicats craignent la suppression de l’équipe VSD, celle du week-end et la dernière à avoir été mise en place. Concernant les intérimaires, c’est le pire qui est envisagé…
Mais la direction est elle aussi dans le flou et navigue complètement à vue. « Quand vous arrêtez l’usine brutalement comme on l’a fait, il y a un flux de commandes enregistrées. Après combien de temps ça représente ? Est-ce que les gens vont maintenir leur commande ? Cela va être le travail des concessionnaires et ce n’est pas de la responsabilité des producteurs. Mais après, on est dans le cadre d’une crise inédite, pas dans le cadre de 2008. Qu’est-ce qui va pousser à la reprise ? Est-ce que les gens vont avoir envie de consommer ? Est-ce que la voiture fera partie de leurs éléments ? Ça va très certainement être une année très particulière… » Peut-être un début de réponse lors des CSE du 28 avril ?