Premières réactions syndicales à GE : « un mouvement qui risque d’être dur »

Encore sous le choc de l’annonce par General Electric de supprimer 1 044 postes en France, presque tous à Belfort, les syndicalistes engagent maintenant le combat et préviennent qu’il sera difficile de canaliser toutes les colères des salariés, qui étaient d'ailleurs pour beaucoup en congés quand ils ont appris la nouvelle. Les syndicats dénoncent encore une fois les mensonges du ministre de l’Économie, qui a justifié le plan social à l’Assemblée nationale, et une probable volonté de fermer à terme complètement le site de production de turbines à gaz de Belfort.

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Presque tous les salariés de General Electric à Belfort étaient en congé ce mardi. La direction imposait un jour de RTT le vendredi suivant, après le jeudi de l'Ascension et les salariés à qui ils restaient des RTT devaient les prendre avant fin mai sans quoi ile étaient perdus. C’est donc pendant cette semaine creuse pour le site que GE a annoncé la suppression de 1 044 postes, dont 985 le seraient sur le seul Territoire de Belfort. Le surlendemain des élections européennes. Alexis Sesmat, syndicaliste Sud à GE Belfort est « abasourdi » par cette annonce. « Je suis assez surpris. Je prenais la menace de suppressions de poste comme une rumeur qui pour moi n’était pas fondée, dans le sens où on avait eu la certitude qu’il n’y aurait pas de fermeture de sites. Or, supprimer quasiment 50 % des effectifs dans la branche gaz, ça veut dire que c’est une pièce en au moins deux actes, dont le dernier est une fermeture complète ».

Son jugement sur les responsables politiques est sévère. « Ils n’ont absolument pas fait leur boulot et étaient au courant. Inévitablement, ils connaissaient le contenu du plan. Macron c’est sûr, mais Bruno Le Maire devait aussi le savoir, il a préparé les esprits. Encore la semaine dernière il disait que le gaz n’avait pas d’avenir (NDLR : ce qu’il a réitéré ce mardi devant l’Assemblée nationale). Si ce n’est pas préparer les esprits, je ne sais pas à quel jeu joue ce monsieur », accuse-t-il.

Actuellement en congé, il n’était pas sur place le jour de l’annonce, mais peut imaginer le bouillonnement qui doit opérer en ce moment dans la tête des salariés. « La semaine dernière, quand on a organisé le rassemblement, les gens étaient motivés (voir notre reportage ici). La réponse de la direction a été de menacer. Il y a eu une chasse aux sorcières pour chercher qui y avait participé, pour les déclarer comme grévistes. Pour la plupart, ça leur est complètement égal d’avoir une retenue de salaire pour ça. Mais c’est la méthode suivie qui ne passe pas. Ils n’ont pas posé directement la question de savoir qui était présent ou pas, c’est les managers qui ont dénoncé les personnes qui n’étaient pas présentes le matin et qui, de fait, ont été déclarées comme grévistes. La réaction a été de dire : la prochaine fois, on va montrer ce que c’est une grève. Il y a vraiment un mouvement qui risque d’être dur ».

« On ne répond plus de rien »

Si la branche gaz devrait pâtir de 792 suppressions de postes, la fonction support, c’est à dire la comptabilité, les ressources humaines, etc. devrait aussi faire les frais de ce plan social de très grosse envergure. Suite au rachat d’Alstom Power par GE en 2015, le groupe américain a créé récemment 200 emplois à Belfort dans un centre de services partagés, qui pourrait donc prochainement fermer. « En fonction de l’articulation du plan, il peut y avoir plusieurs scénarios possibles, il faut essayer de trouver celui qui est le plus convenable, même si je ne sais pas si on peut trouver quelque chose de convenable dans un plan qui supprime 50 % des effectifs de la branche gaz ».

S’il espère toujours négocier, Alexis Sesnat sait que les instances syndicales auront du mal à contrôler la base. « Il a fallu retenir pas mal de collègues mardi dernier, qui étaient prêts à faire quelque chose de dur, à bloquer les machines et le convoi de la turbine. Nous, notre volonté était d’accompagner, faire quelque chose de très positif. Mais là, on ne répond plus de rien. On va ouvrir les vannes, essayer de cadrer, de coordonner quand même le mouvement, mais il y a des choses que l’on ne contrôlera pas, ça, c’est sûr », prédit le syndicaliste Sud Industrie.

« Des pans entiers qui ferment »

Le directeur de GE Power France, Antoine Peyratout, a donné quelques éléments par mail aux salariés de la branche gaz. Il invoque une baisse de 22 % du chiffre d’affaires, une perte opérationnelle de près d’un milliard de dollars et des ventes divisées par deux entre 2017 et 2018 pour le site de Belfort. Philippe Petitcolin, du syndicat CFE/CGC, majoritaire à GE Belfort, veut balayer les raisons invoquées pour justifier ces suppressions de postes. « Une fois de plus, les arguments sont totalement fallacieux. Le chiffre d’affaires est plus faible parce que ce n’est plus nous qui portons les projets. Quand on porte un projet à 100 millions, on a maintenant un chiffre d’affaires de peut-être 50 millions, et les 50 autres millions sont logés en Suisse. Notre CA diminue artificiellement, mais la charge de travail n’est pas si basse que ça. On parle souvent du nombre de turbines, mais quand on en faisait 80 (NDLR : le site n’en a jamais fait 100 comme Bruno Le Maire l’a dit) on en faisait des plus petites. Maintenant on en fait des trois, quatre fois plus grosses sur lesquelles on passe beaucoup plus de temps. L’argument ne tient pas du tout », veut-il trancher en signalant au passage que si la production a bien diminué depuis 2017, c’est parce que l’activité a été transférée aux États-Unis, et pas parce que le marché s’est effondré.

La direction du site indique une sous-charge de 15 %, « alors pourquoi on supprime les effectifs de 45 % ? Il y a un problème ». Comme son collègue, il a aussi de sérieux doutes sur l’avenir même du site. Hugh Bailey (NDLR : le directeur de GE France, ancien conseiller de Macron quand il était ministre de l’Économie) nous avait dit qu’il n’y aurait pas de délocalisations, mais là on est en train d’utiliser les documents qu’ils nous ont fournis, et à priori, il y a des pans entiers qui ferment. Donc s’ils les ferment, c’est bien pour les mettre ailleurs. Une fois de plus, GE a menti ». La grande crainte est une délocalisation progressive, qui a d’ailleurs déjà commencé. « Peut-être qu’ils ne gardent que les grosses turbines 9HA, qu’ils ne peuvent faire nulle part ailleurs. C’est le seul truc qu’ils ne peuvent pas fermer, on est les seuls au monde à pouvoir les fabriquer ». Mais il ne suffirait que de quelques investissements à réaliser aux États-Unis pour que GE soit en capacité de les fabriquer là-bas, à Greenville.

Les syndicats vont défendre le site avec leurs arguments et les plans de diversification qu’ils ont mis au point. Mais rien n’est encore défini sur la lutte qui sera menée par les salariés sur le site. Il n’y a guère de culture de la grève à la CFE/CGC, mais elle serait de toute façon sans doute encore un peu précoce si elle était décidée immédiatement. « Le timing est parfait : au lendemain des élections, on a appris lundi soir, juste avant un pont forcé, que l’on aurait une réunion le lendemain matin à 10 h. Faire une grève maintenant serait purement symbolique, on ne bloquerait rien du tout, il n’y a pas de camions qui partent cette semaine et il y a très peu de monde dans les ateliers. La semaine prochaine, c’est sûr qu’il y aura des choses ». Pour terminer, Philippe Petitcolin ajoute à la fois dégoûté et fier : « Ils nous disent que le marché est en berne, mais il y a 9 turbines de 600 ou 800 mégawatts prévues dans l’année. C’est comme si on livrait 6 centrales nucléaires, il n’y en a pas beaucoup qui livrent 6 centrales nucléaires en une année. Le marché à bon dos. Quand Le Maire dit qu’il n’y a pas de marché, c’est juste complètement débile ». Quant à un syndicaliste CGT, fatalement lui aussi en congé forcé, déclare par message que « le scandale d’État sous fond de corruption continue au détriment des travailleurs. La révolution va bientôt démarrer ! »

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