Première nuit en réanimation: le doublage (3)

Infirmière volontaire pour être renfort face à la pandémie au CHU de Besançon, Aline n'avait jamais travaillé en réanimation.Elle raconte sa première nuit : « Deux patients nous sont attribués... On navigue entre les deux chambres, un relevé toutes les heures et un bilan toutes les trois heures... Un peu après minuit, l’une des machines sonne... 6h55 : je sors de l’hôpital, je respire l’air frais, c’est bon ce vent de liberté... »

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Devant la porte du service, les soignants arrivent et s’agglutinent. Déjà en tenue blanche, les mains lavées. Il est 20h35, on regarde les affectations pour la nuit, pour savoir dans quelle unité et avec qui nous allons travailler. Juste à côté, un chariot sur lequel sont à disposition des sur-blouses, des charlottes, des masques de deux sortes (chirurgicaux et FFP2), je prends un masque chirurgical. Je m'habille, un peu par mimétisme. Une fois la porte franchie, je salue les infirmier.ères de l’après-midi. L’une d’entre elles me conseille de mettre des lunettes et de changer de masque, de mettre un FFP2 car certaines portes de chambre sont ouvertes. Il a été convenu, sur conseils de l’équipe spécialisée en hygiène, de laisser certaines portes de chambres ouvertes, celles des patients intubés, ayant un système de ventilation clos, alors que pour d’autres malades, la porte doit rester fermée afin d’éviter la dissémination des micro-particules de « Covid » dans tout le service.

L’équipe de nuit est au complet, deux infirmières supplémentaires sont en doublage. Les habitué.e.s du service se reconnaissent bon an mal an, par le regard, enserré entre les tissus. Confinés par les élastiques, nos visages laissent poindre quelques formes. On devine sous les charlottes le volume et la longueur des cheveux. Quand on parle, de la buée remonte sur nos lunettes, que les usages précédents ont rendu moins transparentes. Une infirmière se porte volontaire pour me « doubler », « d’où viens-tu ? » me lance-t-elle.

« T'inquiète pas je te réexpliquerai, on a toute la nuit... »

Deux patients nous sont attribués, la relève est faite en chambre, à côté du patient et face à la feuille de « réa » du jour sur laquelle toutes les surveillances et traitements sont notés. Le discours est concis, direct, principalement composé d’abréviations que mon cerveau comprend à retardement. Intérieurement, je tangue, je réalise que je manque de codes, d’éléments de contexte aussi. L'infirmière, intuitive et expérimentée, me dit « t'inquiète pas je te réexpliquerai, on a toute la nuit ». Elle me transmet les habitudes du service. Première étape, il faut faire sa prise de poste et tout vérifier, faire tout le tour de la chambre : tester la prise d’oxygène, le BAVU Un Ballon Autoremplisseur à Valve Unidirectionnelle (BAVU), ou insufflateur manuel, est un instrument médical conçu pour ventiler un patie, l’aspiration, régler les alarmes des moniteurs et respirateurs, les inter chevets, vérifier la présence de la carte de groupe sanguin du patient, vérifier la poche à pression et observer le patient : vérifier le repère de la sonde à la commissure des lèvres, l’état des voies veineuses d’abord, les pansements, les cinq brins du monitorage, l’état cutané du malade, les prescriptions de la nuit.

On relève la température, la fréquence cardiaque, la pression artérielle, la pression artérielle moyenne ( la « PAM »), la saturation (sp02), le mode ventilatoire, le volume courant donné par le respirateur, le volume pris par le patient, le taux d’oxygène inspiré (FIO2), le volume minute, la fréquence respiratoire, la pression expiratoire positivePression résiduelle maintenue dans les voies aériennes pendant l’expiration. (PEP), la pression de plateau, la diurèse, les vitesses des pousses seringues, de l’alimentation, le ballonnet de la sonde d’aspiration. La présence et la fonctionnalité des poches en attente.

Les cinq sens sont en éveil constamment... Les bruits envoient des signaux et des alertes qu’il faut savoir décrypter...

Une multitude d’informations s’accumulent. On navigue entre les deux chambres, un relevé toutes les heures et un bilan toutes les trois heures. Dès qu’on sort des chambres, on prépare des pousses seringues, du matériel à rentrer ensuite dans les chambres. Entre deux activités, les bilans sanguins prescrits pour le lendemain matin sont édités et les tubes préparés. Puis, on mobilise les patients, on masse les points d’appuis. Pour tourner les corps sédatés et curarisés, on travaille à plusieurs, deux ou trois soignants, afin de maintenir correctement les corps inertes et lourds. Nous nous aidons des draps pour remonter les corps avant d’installer le patient.

A chaque mobilisation, une grande vigilance règne, eu égard de l’état du patient, et des dispositifs qui le maintiennent (la sonde pour respirer, et les tuyaux divers et variés). Rien ne doit se casser, se détacher, se fissurer ou se désadapter. J’apprends à tout vérifier avant chaque geste et à faire en sorte que « tout suive ». Les cinq sens sont en éveil constamment, et à l’instar de la vue, l’ouïe a toute son importance, les bruits envoient des signaux et des alertes qu’il faut savoir décrypter.

Un peu après minuit, l’une des machines sonne. C’est l’hémofiltration. On vient de changer toutes les poches, les deux de citrines et celle de recueil des urines mais un problème survient, ça ne passe plus, ça coagule, bouchon…on arrive trop tard, il faut tout changer. On enlève les poches, qui pèsent leur poids (environ 5000 ml chacune pour les poches de citrate), il faut s’agenouiller, les détacher, les placer en haut du lavabo, les caler pour qu’elles se vident. Il faut changer tout le système, reprendre tout le matériel, suivre les instructions de la machine et se dépêcher. « J'espère que vous les renforts vous n'aurez pas ça à gérer, mais je te montre au cas où, tu vas voir c'est très simple, un gosse y arriverait », dit l’infirmière.

« On a chaud et soif »

2h30 : heure de la pause, on a chaud et on a soif. On enlève les lunettes qu’on désinfecte, puis la sur-blouse, la charlotte et le masque qu’on jette, dans un espace « sale » à l’opposé de l’espace d’habillage considéré comme « propre ». Enfin, on découvre complètement nos visages, bien qu’ils soient un peu déformés par les marques des masques et des lunettes, on a la sensation de respirer enfin, un sentiment de légèreté est ressenti. Deuxième plaisir, un verre d’eau fraiche, puis un autre...

Le reste de la nuit se poursuit par les surveillances, l’observation des courbes lues sur le moniteur répétiteur situé au milieu du service, les allers-retours entre les chambres, la paillasse de la salle de soin et le couloir. Les bruits maintiennent la vigilance malgré la fatigue qui commence à se faire sentir. Le moniteur répétiteur envoie quasiment sans cesse des signaux « tu tu tu tu tu tu tu tu ». On s’habitue presque à ce fond sonore irritant. 5 heures, quelques minutes assises, les yeux restent rivés sur les écrans de contrôle. 6 heures 30, relève du matin, je commence à me familiariser avec la langue « réa ». 6h55 : je sors de l’hôpital, je me sens presque nue sans tout mon attirail, le visage rouge, marqué, je respire l’air frais, c’est bon ce vent de liberté.

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