Prédateurs : « contrer la morosité française »

On connaît de mieux en mieux le rôle crucial joué par les prédateurs sur l'équilibre des écosystèmes. Pour vulgariser et faire partager ces connaissances souvent méconnues, voire combattues, par certains milieux qui refusent la cohabitation, le festival « Vous avez dit prédateurs ? » se tient du 22 au 24 octobre à Lons-le-Saunier. Son inspirateur, le naturaliste Patrice Raydelet, revient sur trente ans d'engagement.

septembre 2020 - Abruzzes, Italie - Photo de Mahikan RAYDELET BAILLE SALINS

Photographe, naturaliste, auteur de plusieurs livres sur la faune sauvage, Patrice Raydelet est à l'origine du festival Vous avez dit prédateurs ? qu'organise le Pole Grands prédateurs dont il est fondateur et chargé de mission. Dans cet entretien, il évoque l'édition 2021 et trente ans de lutte pour la préservation du lynx, du renard et maintenant du loup.

Un festival et un colloque en même temps, ça ne fait pas double emploi ?

Le Pôle Grands prédateurs tient un festival tous les deux ans. Nous l'avons coordonné cette année avec le colloque annuel de la SFEPM. Au début, on a eu peur que ça ne perturbe les esprits. Le colloque vient pour la première fois dans le Jura et j'aurais bien voulu dissocier les deux événements, mais nous avons dû décaler le festival, et finalement, ça nous arrange au vu de la situation sanitaire. Le festival, ce sont des expositions artistiques et des photos, des ateliers pour enfants, des conférences, des films. La nouveauté, c'est une table ronde que nous espérons être un temps fort le samedi après-midi après une journée dédiée au renard.

L'homme n'est-il pas aussi un prédateur ? Il est d'ailleurs parfois présenté ainsi.

Non, c'est un massacreur. La différence avec le prédateur, c'est que l'effectif du prédateur est soumis à l'effectif de ses proies. Quand elles se sont pas assez nombreuses, les jeunes prédateurs meurent ou ne se reproduisent pas. On ne peut pas dire que l'homme ralentisse sa reproduction en fonction des proies ! Et vu nos qualités physiques, si nous étions des prédateurs, nous serions plus près du hérisson ou du blaireau...

L'homme a quand même chassé en groupe pour piéger de grosses proies comme les mammouths ou les bisons...

C'est une compensation. Au début, nous étions plutôt des proies. Ce que nous avons compensé par l'organisation, les outils, les armes... Physiologiquement, on n'a pas les caractéristiques des carnivores dont l'intestin est court pour ne pas que les matières en décomposition restent trop longtemps. La consommation de matières animales n'est pas dans notre physiologie.

« Dès lors que le loup est revenu dans le parc de Yellowstone, qu'il est revenu dans l'écosystème, tout s'est remis en route… »

Qu'est-ce qui vous a poussé à vous intéresser aux prédateurs ?

La première chose, c'est l'injustice. Cela fait trente ans que je travaille sur le lynx sur lequel on a dit n'importe quoi, qui est victime de délit de faciès. Ce sont les prédateurs qui maintiennent les écosystèmes de la planète alors que l'homme massacre, piège, empoisonne, scie la branche sur laquelle il est assis. Partout où les prédateurs ont disparu, tout s'est écroulé. Dès lors que le loup est revenu dans le parc de Yellowstone, qu'il est revenu dans l'écosystème, tout s'est remis en route...

Qu'est-ce qui s'est remis en route ?

Il ne s'agit pas d'additions ou de soustractions. A Yellowstone, il y avait des hardes de cervidés, toujours sur les mêmes zones, qui abroutissaient la végétation. Le surpâturage entrainait la disparition d'arbres, et avec elle tout un cortège d'espèces disparaissaient à leur tour. Prenez le lynx dans le Jura : sa prédation et ses déplacements font se déplacer les herbivores qui vont se disperser, du coup les plantes à fleurs et des arbres vont revenir, et avec eux les insectes et les oiseaux... A Yellowstone, le retour du loup a remis tout l'écosystème en marche en dix ans : retour du castor, de la loutre, d'insectes... Le paradoxe, c'est qu'on pille nos écosystèmes. En Suisse, dans les Grisons, le retour du loup est salué par les forestiers. En France, on passe outre car il y a des groupes de pression. Nous, on se bat pour l'intérêt général face à ces groupes de pression.

« Quand vous allez chez les éleveurs et que vous trouvez des solutions, ça se passe bien... »

Qui ? Les chasseurs ? Les éleveurs ?

Les chasseurs et les gros syndicats agricoles. Il y a des gens très bien dans le monde agricole, mais ils sont représentés par des gros syndicats qui ne construisent jamais. C'est pour ça qu'on n'avance pas.

La présence de prédateur pourrait inciter à modifier les pratiques d'élevage ?

Oui... Quand vous allez chez les éleveurs et que vous trouvez des solutions, ça se passe bien. Mais le mot d'ordre des grands syndicats, c'est zéro moyen de protection ! Ils n'acceptent pas la présence des grands prédateurs.

Quelles peuvent être les solutions pour préserver les ovins ?

Le changement de la conduite de troupeau quand c'est possible. C'est complexe, il faut l'évaluer sur chaque exploitation. Les chiens de protection marchent bien avec le lynx, selon une étude faite en 2009-2010. C'est efficace avec principalement des patous, des kangals, des bergers de l'Anatolie ou des Abbruzes car le lynx ne prend pas le risque de se frotter à un chien.

J'entends le loup, le renard et... la coccinelle

Comment vivre avec le loup dans le Jura ?

Comparativement aux moyens existant sur le lynx, il faut une autre forme de conduite et davantage de chiens car le loup chasse en meute. Si vous avez envie de protéger un troupeau, il faut investir, travailler autrement. Mais si ne demande rien, si on n'investit pas, ça ne marche pas.

Le renard est votre invité vedette. Est-il en voie de réhabilitation ?

Notre table ronde est importante car le renard est un peu Docteur Jekyll et Mister Hyde ! Une grande partie de la population est fan du renard qui est un ennemi pour une minorité. Biologiquement, le renard lutte contre la prolifération des campagnols. C'est positif pour la santé publique car, selon des études effectuées en Grande Bretagne et aux Pays Bas, ça fait diminuer le nombre de tiques et baisser l'incidence de la maladie de Lyme. Ajoutons y la protection des prairies, mais on continue à la classer nuisible...

Il est toujours classé nuisible ?

En 2018, un programme un programme associant dans le Doubs des associations, des chercheurs et des chasseurs a relancé l'étude Carely – pour campagnol, renard, lyme – qui compare des zones où on le tire et des zones où on le laisse selon l'incidence des populations de campagnols. C'est décrié par certains naturalistes car c'est en association avec des chasseurs, mais sans eux ça n'avance pas...

Et le classement nuisible ?

Le terme a été changé. On parle maintenant d'espèces susceptibles d'occasionner des dommages. Les chasseurs mettent la pression car le renard est un prédateur naturel qui fait des cartons sur la chair à canon – faisans ou lapins – relâchée...

« Aujourd'hui, le syndicat ovin dit que le lynx a toute sa place dans le massif jurassien, c'est une avancée. »

La chasse est un lobby bien organisé...

Oui. Ils cherchent surtout des pseudo excuses comme la rage ou l'échinococcose, mais en Suisse la vaccination des renards a fait disparaître la rage... Ils disent que des renards venus de l'Europe de l'Est ont réinfectés nos renards... Dans le festival, on veut montrer une autre facette que celle véhiculée par les grands titres des journaux. Une connaissance du sujet en ne suivant que TF1 ou BFM renforce les mensonges. Nous donnons la parole à des experts, des chercheurs. Nous présentons des actions venues de Suisse ou d'un parc national en Roumanie montrant que la cohabitation est possible. On essaie de contrer l'ambiance morose qu'il y a en France.

Avez vous constaté des améliorations en trente ans ?

Sur certains points, oui. J'ai fait quelques livres sur le lynx. Il y a 25 ans, on le présentait comme une saloperie, des gens disaient « on n'en veut pas ». Aujourd'hui, le syndicat ovin dit que le lynx a toute sa place dans le massif jurassien, c'est une avancée.

Le plan national lynx vient d'être retoqué par le CNPN (Conseil national de protection de la nature, dépendant du ministère de l'Environnement)...

C'est la quatrième fois... Il est toujours en consultation publique jusqu'au 27 octobre. Il y aura sur le festival un stand e la DREAL qui pilote le plan lynx. Il ne faut pas se leurrer, il y a des anti prédateurs. Mais on part sur quelque chose d'imparfait. On va essayer d'avancer sur les zones accidentogènes [pour le lynx], débloquer de l'argent pour des études d'aménagement du réseau routier, l'installation d'avertisseurs, de passages à faune... Tout cela sera débloqué avec le plan national.

Il y a beaucoup d'autres prédateurs, les rapaces...

… Le festival a en sous titre « de la coccinelle à la baleine »... On aura des conférences sur les libellules par exemple...

Certains prédateurs sont moins vilipendés que d'autres ?

Oui. Quand on demande aux enfants de citer des prédateurs, ils répondent lynx, loup... Je leur dis qu'il y a aussi des acariens, des araignées, des coccinelles qui sont de grands prédateurs des pucerons... Tous ne sont pas vilipendés. Des jardineries vendent des œufs de coccinelles, les mésanges mangent des chenilles d'arbres fruitiers...

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