« Pour une Ecole normale de médecins »

Meneur de l'occupation de l'Ecole normale de Besançon en mai 1968, Michel Antony a longtemps milité à la CFDT avant d'animer avec un certain succès la bataille pour le maintien des services publics de proximité, dont l'hôpital de Lure où il habite. Son analyse du système de santé est sans concession.

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Quand il ne bataille pas pour les services publics, Michel Antony écrit sur l'anarchie. Notamment sur le site acratie.eu. Le mot, très peu employé en français, signifie absence de pouvoir (du grec cratia = pouvoir). « L'acratie est le vrai nom de l'anarchie que certains anarchistes traduisent aussi par idea ou harmonia », dit-il. Le mot anarchie n'a pas toujours bonne presse, renvoie à la bande à Bonnot... Il y a aussi le mot de libertaire...

Né à Valentigney d'un père gendarme et d'une mère « calotine » qui ne l'ont « pas emmerdé », il est le premier de sa classe à refuser d'être enfant de choeur. A l'École Normale de Besançon, où il arrive en seconde en 1965, il anime les clubs rencontre, Oroleis, cinéma... et se met en travers d'une tradition qui le révulse : « Ma première action a été de créer un comité anti-bizutage. Faire les lits des anciens, le ménage ou mettre la table était institutionnalisé, les anciens surveillaient les issues et la direction laissait faire, c'était une forme d'humiliation grave. On a réussi à bloquer le truc. Mais ce qui est troublant, c'est que des gens du comité anti bizutage ont bizuté à leur tour : la hiérarchie est terrible... »

Cravate et blouse obligatoires

A l'internat de l'Ecole normale, il fréquente des clubs politiques ou syndicaux « clandestins ». Ses copains d'enfance du quartier des Buis sont à Lutte ouvrière. Il a des amis au PSU et chez les « mao », fricotte avec le Secours rouge. En mai 1968, il est l'un des meneurs de l'occupation de l'École Normale, à Montjoux. « Ceux qui avaient un salaire [les étudiants post bac] n'étaient quasiment plus là, l'occupation s'est faite par les terminales et les premières. Le patron, qui avait été décoré de la francisque, a eu la trouille. Ça nous a surpris car il en imposait. On devait tous être en blouse et la cravate était obligatoire. L'intendant, le père du sculpteur Gonez, nous avait donné les clés du garde-manger ! »

Il s'inscrit en faux contre Régis Debray pour qui le mouvement de mai prépare la révolution ultralibérale qui viendra vingt ans plus tard : « Mai 68 a été une bouffée d'oxygène. La séparation filles-garçons... Les filles étaient collées parce qu'elles sortaient en pantalon... Mai 68 a été un moment libertaire qui a fait du bien à toute la société. Ça a été un bol d'air, une ouverture militante tous azimuts ».

Lip, Rhodiaceta, l'autogestion algérienne...

Le bac en poche, Michel Antony fait lettres sup au lycée Pasteur, un lycée de filles, et en même temps fac d'histoire. Il réussit le concours des IPES : « Je deviens un privilégié étant étudiant-salarié. J'ai même écrit un tract pour dire que c'était scandaleux, qu'il fallait partager entre boursiers. Je me suis fais rentrer dedans par Mélenchon et Surato, le chef du groupe, devenu beau frère de Jean-Pierre Chevènement... »

Aujourd'hui, Michel Antony défend le système des IPES qui «  égalisait les capacités d'accès aux études. Je connais des gens très pauvres qui ont ainsi pu devenir instituteurs. Dans mon combat pour une médecine populaire, je serais favorable à une École normale de médecins avec un engagement décennal. Ce serait une bonne formule pour lutter contre la désertification médicale ».

Les Cahiers de mai...

Gérard Jussiaux qu'il a connu à l'Ecole Normale, l'aide à adhérer à la CFDT qui s'est tout juste émancipée de la CFTC et défend l'autogestion. Il fait la connaissance de Charles Piaget lors de la grève des Lip en 68, a des amis à la Rodiaceta en ébullition syndicale et culturelle permanente. Il n'adhère à aucun mouvement politique, refuse « l'enrégimentement de la FA », la Fédération anarchiste qui « n'a pas été au diapason de mai 68 et a été bousculée comme tous les mouvements anciens ».

Grâce à Guy Bourgeois, un dijonnais, ancien résistant, qui a fait du journalisme militant avec les Cahiers de mai, il  fait en 1972 sa maîtrise sur l'autogestion algérienne : « elle a fonctionné de 65 à 70... Ben Bella a été conseillé par Daniel Guérin, l'initiateur de l'autogestion en Algérie, soutenue par la Yougoslavie : le journal El Moudjahid était édité à Belgrade... Aujourd'hui c'est terminé. Quand Boumédiene a viré Ben Bella, en 65, les aspects socialisants ont continué un peu... Quand je relis ma maîtrise, je relie ça à la Commune de Paris, aux mouvements d'en bas. Le problème, c'est que l'autogestion était gérée par l'Etat qui laisse la bride aux gens... »

Le refus de parvenir

Son premier poste de prof d'histoire à Héricourt ne l'empêche pas de vivre à Besançon où il participe à un « putch de gauche pour prendre l'union locale CFDT ». Mais l'année suivante, il part avec sa compagne à Lutterbach, près de Mulhouse. Il continue son militantisme à l'interpro CFDT « car on y a une vision globale... J'ai été marqué par l'occupation des Schlumpf, j'y ai rencontré Jean Kaspar : c'est abominable la façon dont il a été viré ». Lié avec la librairie Maspero de la ville, il en intègre le comité de gestion : « Quand la librairie a coulé, Maspero nous adonné le fonds ! » En 1978, c'est le retour en Haute-Saône qu'ils n'ont plus quittée malgré des propositions de promotion à Besançon : « J'ai refusé le carriérisme. Ici à Lure, c'est un milieu comme un autre. Il faut vivre où l'on est. C'est le thème d'Albert Thierry : le refus de parvenir... »

Pendant 15 ans, il préside l'union locale CFDT de Lure : « On a toujours vécu comme on le souhaitait, toujours été une union locale autonome. On était une des rares UL de Franche-Comté à avoir une vie régulière. On a critiqué Nicole Notat et l'union régionale, souvent été en désaccord avec l'union départementale. Par exemple, on a défendu l'hôpital de Lure contre la fédération nationale santé de la CFDT et l'union régionale qui trouvaient très bien de fermer les petits hôpitaux... » Il finit pas quitter la CFDT qu'il aimait pour sa « convivialité » à cause de « l'abandon de l'autogestion, puis de Notat qui a fait du mal à la CFDT... » Il regrette le départ de ceux qui s'en vont fonder SUD : « je leur disais qu'il fallait se battre en interne ».

« On ne voulait pas les violer, mais débattre de santé publique »

Plus tard, la rupture n'est toujours pas passée : « J'ai été ulcéré que la CFDT soit la seule grande centrale syndicale à ne pas prendre contact avec moi quand j'ai présidé la coordination nationale des comités locaux pour le maintien des services publics. C'était imbécile de leur part, on ne voulait pas les violer, mais débattre de santé publique ! »

Aujourd'hui, il regarde le syndicalisme comme un champ de ruines : « C'est une minorité qui représente moins de 10% des des salariés, émiettée dans différentes sectes... Les syndicats sont sur des postures. La CFDT, l'UNSA, la CFTC et la CGC ont choisi la voie modérée et l'admettent. Mais au lieu de taper du poing sur la table, ont trahi sur les retraites. La CGT est aussi réformiste mais sans l'admettre, elle a du mal à se défaire de sa tradition communiste autoritaire. Je n'ai rien contre les militants admirables qui mouillent la chemise. C'est de la CGT dont je suis le plus proche, notamment avec la coordination. Quant aux SUD, dont je suis le plus proche idéologiquement, ils sont ficelés aux traditions autogestionnaires de la CFDT, ils tentent de pratiquer ce qu'ils disent. Ce sont des gens qui apportent leurs textes et acceptent d'enlever leur sigle pour éviter les accusations de récupération... »

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