Pour une diplomatie entre mammifères…

La Société française pour l'étude et la protection des mammifères tient son colloque annuel les 23 et 24 octobre à Lons-le-Saunier sur le thème « coexistence, cohabitation et partage des territoires ». Co-organisé avec Jura Nature Environnement et le Pôle Grand prédacteurs, cet événement scientifique propose des conférences et des débats sur le loup, le lynx, le blaireau, l'ours, ou encore le castor dont la présence dans le Jura a conduit à des actions concertées pour que les conflits de voisinage et d'usages se règlent en toute diplomatie.

Dessin Alexis Nouailhat

Les mammifères, c'est la famille élargie de l'humanité... « Notre famille », précise l'ancien président de France Nature environnement, le jurassien Michel Dubromel. Une famille avec qui « nous vivons tous les jours, parfois à notre insu », ajoute-t-il malicieusement dans la présentation du 41e colloque francophone de mammologie (science des mammifères). Car la coexistence ne va pas toujours de soi, n'est pas forcément pacifique. Aussi propose-t-il de prendre exemple sur le renard du Petit Prince d'Antoine de Saint-Exupéry.

Autrement dit faire connaissance, être diplomate, se mettre aussi à la place de l'autre, fut-il un autre humain ou... un castor gêné par le remplacement des empierrements lors des travaux d'étanchéification des canaux de Franche-Comté par des palplanches métalliques. Et systématiser la pose de passes à faune lors de la pose des fameuses palplanches. C'est la solution trouvée sur Baverans, près de Dole, pour contourner l'entrave à la libre circulation animale. « La présence sur le site du Castor d’Eurasie a permis de mettre autour de la table, gestionnaire, DREAL et association, pour trouver des solutions et prendre en compte la présence de l’espèce (et bien d’autre) », explique Hugo Barré-Chaubet de l'association Dole-Environnement dans une des nombreuses communications du colloque sur les continuités écologiques. Quand on sait qu'il y a 300 km canaux navigables en Franche-Comté, on mesure la possibilité de commettre des erreurs en oubliant de penser aux castors et à d'autres petites et grosses bêtes.

Evénement scientifique, associatif et universitaire, le colloque se tient pour la première fois dans le Jura, simultanément avec le festival Vous avez dit prédateurs ? On traitera aussi du castor en Petite montagne où il vit depuis une trentaine d'années dans la vallée du Suran. La cohabitation avec l'humain n'est pas forcément simple avec l'impact des barrages sur les cultures, les parcelles boisées ou la voirie. Vincent Dams, chargé de mission à Jura Nature Environnement, présentera une dizaine d'années d'observations et expérimentations pour « réussir la cohabitation » et « limiter les conflits ». Cela passe notamment par la préservation de gîtes en retrait des berges ou la réimplantation de ripisylves...

Pour sa part, Deborah Coz, de l'ENS Lyon, évoquera la complexité des réintroductions à partir de celle du castor en Ecosse : « planifiée et soutenue par les scientifiques et le gouvernement, elle est compromise par son faible succès quant à la survie de l’espèce et surtout par deux réintroductions parallèles, accidentelles et/ou illégales, qui alimentent les tensions ». Elle reviendra donc sur les conditions du succès écologique et de l'acceptabilité sociale qui dépendent notamment « de la qualité du processus de décision et de mise en œuvre de la réintroduction », de « la nécessité d’associer toutes les parties prenantes au processus, et de replacer ces projets dans des contextes sociaux-culturels ».

Une trame noire pour les chauves-souris

Marie Parachout, de la CPEPESC de Franche-Comté, expliquera l'importance de la trame noire ou sombre pour préserver le territoire de chasse nocturne des chauves-souris vivant dans la réserve naturelle de la grotte de Gravelle, au sud de Lons-le-Saunier.

Trois intervenants parleront du lynx dont 80% des effectifs français sont dans massif jurassien, les autres dans les Vosges et les Alpes. Classé « en danger » sur la liste rouge des espèces menacées en France, notamment en raison de la fragmentation de ses territoires. Il est ainsi en situation critique dans les Vosges, stratégiquement situées entre le Jura et le Palatinat allemand, ce qui influe sur la connectivité écologique entre ces trois massifs. Neyla Turak, de l'ESI Business School, expliquera en quoi des passages à faune permettant de franchir les autoroutes A4 et A36 peuvent contribuer à améliorer la situation du lynx. Encore faudra-t-il le laisser en paix, ce qui n'est pas gagné.

Louise Monin, du laboratoire d'ethnologie et de sociologie comparative de Nanterre, soulignera dans sa communication qu'aucune étude ethnologique n'a encore été menée sur la coexistence entre le lynx et l'humain : est-ce « parce que le félin est un prédateur discret, peu connu du grand public, qui ne dispose pas d’un imaginaire (légendes, mythes) fort ? Comment les lynx sont-ils perçus, imaginés, décrits ? » De quoi ouvrir le champ de la connaissance... et peut-être réduire les destructions.

Pour sa part, le documentariste Florian Rochet-Belle proposera, à partir d'une création sonore, une causerie sur la nature et le vivant dans l'imaginaire humain, notamment la poésie des fauves...

La part du lion pour le loup

Le loup se taille la part du... lion dans le programmes du colloque qui lui consacre une dizaine de communications et présentations. « Intercesseur » selon Michel Alpini, le loup alimente depuis son retour naturel en France en 1992, les polémiques et les dissensions, « ravive tous les clivages possibles (urbain/rural ; experts/profanes...) » et conduit les acteurs des espaces ruraux et naturels à « appréhender et penser différemment non pas leurs mondes, mais Le Monde... »

Voilà donc depuis mars dernier canis lupus jusque dans le Poitou, notamment le Monorillonnais, terre d'élevage extensif de brebis... Est-ce trop tard pour anticiper ? Quoi qu'il en soit, Elodie Passiot, du laboratoire ruralité de l'université de Poitiers, doit présenter un « diagnostic territorial » destiné à engager « un processus d'anticipation du retour du loup » afin de « favoriser une cohabitation durable ».

Issue d'une analyse statistique multicritères, une étude pluridisciplinaire réalisée en Meurthe-et-Moselle que doit présenter Gaspard Rihm (Vétagro Clermont-Ferrand), entend démontrer qu'il est « possible de cartographier les communes qui devraient être mises en alerte d'une probabilité de prédation par le loup, afin que les éleveurs prennent les dispositions de protection nécessaires ». Cette étude doit être étendue à l'ensemble de la région Grand-Est. Et qui sait, au-delà.

« La situation est similaire à 1992 : les troupeaux de sont pas protégés... »

Luna Ghelab présentera ce que peut être une « approche par les sciences humaines » de la question de la coexistence loup-humain. L'analyse de nombreux contenus (presse, communiqués, réseaux sociaux...) a conduit à identifier des représentations différentes de l'animal en fonction de profils sociaux divers, derrière lesquelles « se joue une opposition entre différentes représentations de la nature (sauvage, domestiquée) et du rôle de l'homme (gérer, laisser libre cours) ». Mais cette opposition « s'appuie sur des catégories réductrices et obsolètes (nature/culture ; sauvage/domestique) qu'il s'agit de dépasser pour mieux les concilier ». Arrivera-t-on cependant à « comprendre les parties prenantes pour favoriser une réconciliation » ?

Quoi qu'il en soit, pour Marie Abel, du groupe mammalogique et herpétologique du Limousin, « la situation est similaire à 1992 : les troupeaux de sont pas protégés, leur comportement anti-prédateur est inhibé, et les éleveurs sont démunis pour choisir des stratégies anti-prédatrices pertinentes ». Elle présentera un outil d'évaluation de l'exposition à la prédation créé avec des professionnels, et les premiers résultats...

La fourniture d'un « outil d’information et de préconisation pour la gestion publique de l’espèce en Normandie dans le but de réduire la prédation à un seuil tolérable et d’encourager une cohabitation pacifique avec le canidé sauvage » est aussi l'objectif de Clémence Méheust, étudiante en master de géographie à l'université de Normandie. Une région où le loup a été vu dès 2019 et a tué une cinquantaine de brebis...

Sortir du « rapport de force stérile entre pro et anti-loup »

Jacques Baillon se demande « comment écrire l'histoire du loup ? » quand des sources peu fiables ne font pas la part de « l'éclairage scientifique » et des « interprétations à caractère symbolique voire politique ». Laurie Fredoueil, en master de droit de l'environnement à Strasbourg, entend « développer un modèle diplomatique avec le loup » et préfère « le langage de l'éthologie à celui du fusil » dans le conflit avec le pastoralisme. Elle estime que « la destruction d'une l'espèce protégée comme le loup par l'Etat en France » est « contestable » et « procède essentiellement d'une instrumentalisation de la détresse du pastoralisme dans le sud-est ». Elle propose de sortir d'un « rapport de force stérile entre pro et anti-loup », et, à la suite de Baptiste Morizot, suggère de « s'insérer dans le lange du loup afin de lui signifier des bornes dans l'usage des territoires communs ». Ce faisant, on n'en ferait plus un nuisible ou un animal sacré, mais un partenaire...

D'autres communications concernent les blaireaux dont la chasse sous terre par enfumage vient d'être abolie dans le Jura. Après un exposé de Yann Lebecel, président de l'association Blaireau & Sauvage, François Dunant, du groupe Blaireaux de ProNatura Genève, expliquera en quoi les blaireaux français ont de quoi envier leurs congénères genevois...

Il sera également question du jaguar du Mexique, du tigre au Népal, et bien sûr... de l'ours dans les Pyrénées qui a droit à trois exposés.

  • Programme, inscriptions et résumés des communications ici.

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