Planoise : cinquante policiers pour un barbecue solidaire

Un barbecue géant « populaire et informel » destiné à célébrer autant la fin du confinement que celle du ramadan, mais aussi en soutien aux proches d’Houcine et de Lermirant, deux jeunes gens du quartier assassinés récemment, a été interrompu ce dimanche 24 mai par une cinquantaine de CRS qui ont encerclé le rassemblement. Le commissariat invoque des raisons sanitaires liées au Covid, les convives dénoncent une provocation et une humiliation.

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Des habitants avaient organisé un repas « populaire et informel » ce dimanche 24 mai dans le quartier de Planoise à  Besançon. Un simple après-midi barbecue géant et chaleureux destiné à des retrouvailles entre jeunes, anciens et familles, autour de merguez et petits plats. Fin du confinement, fête de l’aïd el-Fitrcélébrant la fin du mois de ramadan, détente dans un contexte difficile, mais aussi soutien aux proches d’Houcine et de Lermirant, les deux jeunes hommes du quartier assassinés, le premier il y a quelques mois, le second il y a quelques jours... Les raisons qui ont conduit environ 200 personnes à participer ne manquaient pas.

Elles se sont retrouvées à partir de midi sur un parking accueillant auparavant les locaux de l’association Pari (à l’angle de l’avenue de l’Île-de-France et de la rue d’Artois). La proposition avait été lancée spontanément afin que les riverains puissent reprendre un semblant de « normalité », après plusieurs mois éprouvants. C'était aussi l'occasion de soutenir les intimes des deux Planoisiens disparus en janvier et mai derniers, tant moralement que financièrement. Si aucune autorisation n’a été délivrée, deux initiateurs affirment avoir bien prévenu les autorités de leur initiative. Des grillades sont mises sur pied, des tables dressées, assiettes et boissons distribuées...

Une ambiance « bon enfant »

Sur place entre 12h et 15h, nous avons constaté que l’événement était en effet « à la bonne franquette ». Les denrées ont été partagées avec tout convive présent, quels que soient sa contribution et ses moyens. Au menu, viandes, pommes-de-terre avec cancoillotte et accompagnements divers, cédés par des commerçants ou tirés du sac. La gestion s’ordonne presque naturellement, certains s’occupant du feu, d’autres du service, un dernier encore des poubelles. Les discussions s’enchaînent, les groupes se mélangeant au gré des sujets et affinités. Il y a peu de masques portés et les distances de sécurité ne sont pas toujours observées, l’insouciance dominant.

Tout se passe ainsi jusqu’à 15h15. À cet instant près de dix véhicules et une cinquantaine d’agents débarquent alors brusquement, ceinturant le site de toute part. CRS et police locale verrouillent le périmètre, exigeant de pouvoir s’entretenir avec des « organisateurs » pour escompter une dispersion du rassemblement. Les plaques des voitures sont prises en photo, et des participants rapportent avoir eux aussi été « filmés avec un téléphone portable ».

Le commissaire divisionnaire Bénilde Moreau s’approche des hôtes et scrute chaque recoin. Ces derniers affirmeront que l'officier leur indiquera une problématique liée aux mesures sanitaires, mais aussi des explications plus surprenantes : « Il a parlé du coronavirus au début, mais rapidement il a fait le rapprochement avec les fusillades », enrage un « grand frère ».

Interrogé par Factuel, le commissaire Moreau, numéro deux du commissariat, confirme : « Cette volonté d’interruption est directement associée aux restrictions sanitaires. On ne peut pas fermer les bars et restaurants pour cette raison, et laisser se dérouler cet attroupement. Si une annonce a bien été faite, nous n’avons en aucun cas acquiescé. Et pour cause, les conditions ne le permettent pas ». Reste une sensation de gâchis, comme l’explique un protagoniste : « Pourquoi ce spectacle, et nous mettre en scène comme si nous étions dans un zoo. S'il y avait une irrégularité, il suffisait de venir nous voir tranquillement et nous aurions obtempéré. Nulle nécessité d’ajouter l’humiliation ».

« Faudra pas s’étonner si ça pète »

Plusieurs scooters seront par ailleurs immobilisés et soigneusement examinés, prolongeant la tension jusqu’à 17 heures. Entre temps, les réjouissances ont tourné court. Le mobilier est rangé et les victuailles remballées. Les mines sont hagardes. Pour beaucoup, il s’agit d’une provocation. Un jeune homme résume : « Est-ce qu’il y a autant de remous lors des soirées au jardin de la Gare-d’eau ? Il y a pourtant du monde, et pas qu’un peu. Mais ce n’est pas la même population. Nous, dans les cités, on nous marche sur la gueule sans ménagement. Là on ne faisait rien de mal. Et s'il y avait à redire, ils pouvaient très bien nous aborder autrement ».

Ce constat amer est aussi celui de ce placide ancien éducateur : « On nous parle de civisme à longueur de journée comme quoi Planoise c’est la zone, mais on nous place d’office en marge de cette société. Je peux vous citer bien d’autres parcs, des centres commerciaux, et des rues animées, dans cette ville, où les précautions ne sont là aussi pas honorées. Je concède donc que tout n’était pas parfait, mais à chaque fois qu’on bouge une oreille de travers, le traitement est massif et sans appel. Cela ne fait que jeter de l’huile sur le feu, alors que les antagonismes sont déjà flagrants. Ils vont trop loin. En persistant sur cette lancée, faudra pas s’étonner si ça pète ».

 

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