Planoise à l’heure du deuil : marche blanche pour Lermirant

Environ 400 personnes ont parcouru silencieusement le quartier pour accompagner et soutenir la famille du jeune homme de 17 ans tué par balle dimanche à l'issue d'une altercation verbale. « Il faut toujours se battre pour la justice et l’égalité », a conclu, émue et très applaudie, son enseignante de français lorsqu'il était en sixième...

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Ils sont quelque 400 ce lundi soir à Planoise devant le centre commercial Ile-de-France. Famille, amis, voisins, riverains, jeunes, membres d’associations, notables se sont retrouvés pour rendre un dernier hommage à Lermirant. Le jeune homme de 17 ans est décédé dimanche soir vers 19h30 devant le 18 avenue de l’Île-de-France, touché par un tir en pleine poitrine. C'est la seconde mort violente en quelques semaines...

Initiée par la famille, cette marche blanche témoigne du malaise de tout un quartier, le chagrin, la révolte. La plupart des participants soulignent « un climat qui s’aggrave » en lien avec les stupéfiants. Certaines voix insistent sur « un incident aux conséquences graves mais aux fondements banals. »

Deux mobilisations avaient déjà eu lieu le 15 janvier et le 1er mars 2020, afin de dénoncer l’engrenage de violences. Dans les deux cas, on remarquait la relative absence de la population locale. La seconde a même viré à la polémique, certains chroniqueurs dénonçant une « récupération électorale » avec deux tiers de candidats aux municipales sur les cent personnes présentes. Une autre date devait être fixée après la disparition tragique d’Houcine, mais la crise sanitaire l'a empêchée. Une semaine après le déconfinement, l’actualité a cependant conduit les habitants à être bien présents.

Un attachement au quartier et de vraies inquiétudes

Dés 18h30, ils sont une petite dizaine au point de ralliement. Gilles, la cinquantaine, Planoisien « des débuts », a vécu plusieurs années aux Époisses et à Île-de-France, observant « une lente évolution » : « Je suis présent en tant qu’ancien, mais aussi comme bisontin car je crois que le sujet concerne la métropole. La sortie de la ghettoïsation est un enjeu majeur pour l’avenir, qui ne se fera qu’avec les habitants. Il y a bien sûr les questions sociales, économiques et urbaines, mais n’oublions pas que nous avons aussi notre part de responsabilités. Il n’y a qu’à voir les listes municipales, toutes formations confondues… combien de candidats sont issus des cités ? »

Laurence, mère de trois enfants, vit à Cassin : « Il reste le dernier, mais les deux autres ont fuit Planoise. Je réside sur place depuis ma naissance, ici c’est chez moi et j’aime y être. Si la drogue pourrit notre environnement, il est difficile d’en vouloir à des foyers qui ne subsistent que par ce biais. Il demeure ici une carence d’emploi, depuis des décennies. Et pour éviter que les gosses ''ne tombent'', encore faudrait-il des activités et perspectives. Il y a aussi un problème de mixité, qui va de pair avec l’individualisme. Je me souviens jadis d’une quarantaine de nationalités mélangées dans mon immeuble, alors que maintenant tout le monde s’enferme par communauté. »

« Les médias ne viennent que pour les faits divers »

Au départ de la marche, à 19h, l’atmosphère est tendue. Notre confrère de l’Est républicain est vivement rabroué, mais après discussion, il peut couvrir normalement l'événement. Pour certains témoins, le coup de semonce s'explique. « Les médias ne viennent que pour les faits divers… ils sont où le reste du temps ? », lance un jeune homme, approuvé par tout un pan du cortège. Ce qui est aussi reproché à la presse, c’est de coller à la vision judiciaire du drame. Un proche fulmine : « on en a assez que nos vies soient réduites à la phrase ''connu des services de police'', comme si la moindre bisbille devait expliquer un acte et résumer une existence. »

Une mère de famille est persuadée que la mort de Lermirant « n’a rien à voir avec le deal. Nos gamins se parlent, et on entend. Il s’agit là d’un différend personnel qui a dégénéré. » Une source policière confirme, évoquant un lien des protagonistes avec le trafic, mais excluant la piste d’un règlement de compte sur ce fond. « Il y aurait eu un échange de paroles virulent un peu plus tôt, puis l’auteur présumé à retrouvé sa victime près du centre Île-de-France et ça a été l’escalade. » Cette version est entérinée par le Procureur de la République Étienne Manteaux, à travers des déclarations suivant l’arrestation d'un suspect, ce lundi.

Une banderole pour Lermirant

La famille, dévastée par le chagrin, porte une banderole au nom du défunt. En l'absence de la police, la circulation des véhicules et des tramways est régulée spontanément par des jeunes à scooters. « C’est très bien ainsi. Nous n’avions pas besoin de tension supplémentaire. Et nous pouvons parfaitement nous organiser », explique Karim. Partie d’Île-de-France, la foule est passée par la rue de Cologne, la place et le centre Cassin, les Époisses, avant de revenir sur les lieux mêmes de la tragédie.

Durant l'heure du trajet, le silence est palpable. A l’arrivée, une seule intervention. Celle de Frédérique, une enseignante de Lermirant qui l’a suivi en sixième au collège Albert-Camus. Elle évoque son cursus scolaire, notant un amour de la littérature et une pugnacité de l’apprentissage du français. Elle souligne la maturité de son écriture, rappelle son origine albanaise, fait léloge de la « force de la poésie » en faisant un parallèle avec Guillaume Apollinaire qui « venait lui aussi d'un autre pays ». Émue, elle termine par un appel à « toujours se battre pour la justice et l’égalité ». La foule l'applaudit, on la remercie. Des pleurs et cris des intimes fendent l’atmosphère.

La dispersion s’amorce à partir de 20h dans un grand calme.

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