Place financière de Bourgogne-Franche-Comté : le « chèque en blanc » de la région

Qu'y a-t-il derrière la boutade du vice-président Jean-Claude Lagrange prononcée lors de l'assemblée générale constitutive ? Un outil pour les « rendez-vous des gens ayant des idées avec ceux qui ont de l'argent » ? Un mouvement de relocalisation du capital ? La réconciliation de la finance avec l'entreprise ?

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L'association Place financière de Bourgogne-Franche-Comté a tenu son assemblée générale constitutive vendredi 6 octobre dans la salle des conférences de la CCI du Doubs, à Besançon. S'agit-il de créer une bourse régionale alors que les bourses de Lyon, Lille, Marseille, Nancy, Nantes et Bordeaux ont fermé en 1991, sous la pression de la numérisation des transactions et de son corolaire, la centralisation à Paris ? Oui et non.

Non parce qu'il n'est pas question de créer une « corbeille » régionale où des traders locaux (low cost ?) achèteraient et vendraient des titres de propriété d'entreprises, actions ou obligations, qui varieraient au gré de l'offre et de la demande. Oui parce qu'il s'agit officiellement de constituer un outil pour les PME et des ETIentreprises de taille intermédiaire : plus grandes que les PME, plus petites que les grandes entreprises, les ETI ont de 250 à 4999 salariés, et un chiffre d'affaires de moins de 1,5 milliard régionales en recherche de financements.

A entendre le secrétaire de la place financière, Rémy Laurent, président jurassien de la CCI de Bourgogne-Franche-Comté, une enquête auprès de 200 chefs d'entreprises interrogés dans la grande région, indique que 18% ont du mal à en trouver. D'ailleurs, pour contourner les banques jugées trop frileuses, notamment pour accorder des prêts de trésorerie, l'amendement Fromentin à la loi Macron de 2015, du nom du député UDI de Neuilly-sur-Seine, permet des prêts entre entreprises...

Lieu d'échanges entre décideurs locaux

Mais il ne s'agit pas exactement de cela. Cette Place financière de Bourgogne-Franche-Comté, la onzième du pays, se veut un lieu « d'échanges entre décideurs locaux » qui travailleraient « collégialement » à l'élaboration de « solutions innovantes aux besoins spécifiques des entreprises ». Dans la novlangue technocratique qui s'est emparée du monde économique, cela signifie qu'il est question de faire réfléchir ensemble des juristes, des experts-comptables, des entrepreneurs, des banquiers et des « acteurs de l'enseignement supérieur ».

Les sujets de discussion ne manquent pas : financements, stratégie, formation, fiscalité, normes européennes, garanties et cautions... Comment va-t-on s'y prendre ? Le témoignage de ceux qui ont déjà constitué des places financières lève un coin du voile. Tous ont cotisé pour constituer une petite équipe d'animation de deux à quatre permanents. Des petits déjeuners thématiques mensuels rassemblent 100 à 150 personnes à Nantes. « Faites rencontrer vos adhérents, ils aiment bien se retrouver, faites entrer des jeunes, constituez des réseaux », explique avec enthousiasme son fondateur, Philippe de Portzamparc, porte-parole national des Places financières.

« Le rendez-vous des gens ayant des idées avec ceux qui ont de l'argent »

A Lyon, la place financière et tertiaire, dont Raymond Barre fut un des fondateurs, est conçue comme « le rendez-vous des gens ayant des idées avec ceux qui ont de l'argent ». Il s'agit aussi de produire des réflexions  afin qu'on « arrête de dire des bêtises sur nous », souligne son président Jean-Pierre Lac. Lors de la conférence de presse qui suit l'assemblée générale, nous demandons de quelles bêtises il s'agit. « Elles ont été dites à très haut niveau », répond Philippe de Portzamparc en acquiesçant du geste quand on suggère qu'il évoque le discours du Bourget de François Hollande. « Le capital investi a un vrai rôle, au contraire de l'image de suceurs d'entreprises ».

Outre la difficulté à trouver des financements évoquée par l'enquête citée plus haut, les chefs d'entreprises burgundo-comtois seraient 35% à déclarer des problèmes pour recruter des compétences et 22% rencontrent des difficultés administratives. Ces constats valident selon Rémy Laurent, le président de la CCI régionale, la création de la place financière qui a d'ores et déjà une centaine de membres « actifs » ayant rejoint la trentaine de fondateurs. 

Parmi ces derniers, au côté de nombreuses institutions, banques et organisations professionnelles, deux entreprises, Lisi-Automotive et Eurogerm, dont les patrons seront les co-présidents : Emmanuel Viellard et Jean-Philippe Girard. La liste des membres actifs comprend pas mal de banques, quelques collectivités territoriales, des pôles de compétitivité, l'Ensmm de Besançon, et, finalement, relativement peu d'entreprises. 

« Mettre dans la tête du chef d'entreprise la nécessité d'une stratégie financière »

« La finance reste le cœur des entreprises », souligne Philippe Audureau, le président de la plane nantaise. « Le financement est la clé », renchérit Jean-Philippe Girard pour qui « il faut que la plateforme soit le rendez-vous des entrepreneur, qu'on mette dans leur tête la nécessité d'une stratégie financière ». Pour lui, une des difficultés majeures du financement des entreprises réside dans les garanties d'emprunts : « beaucoup de dossiers sont ralentis par manque de caution ». Emmanuel Viellard estime pour sa part avoir « une idée du besoin. Notre territoire est très riche, mais avec beaucoup de PME, quelques ETI, moins de grandes entreprises qui ont la capacité à aller le chercher partout où elles le veulent ».

La finance se comporterait-elle contre l'économie ? Lors du point-presse, Eric Martin, président du comité des banques de Franche-Comté et directeur adjoint du Crédit agricole de Franche-Comté, ne veut pas le croire : « l'objectif des financeurs locaux vivent sur ce territoire : leur avenir est lié à son développement... Et ça passe par la connaissance des acteurs. » Emmanuel Viellard est du même avis : « Il ne s'agit pas d'une ouverture aux fauves, c'est l'inverse. Si un entrepreneur n'a pas de solution locale, il ira chercher ailleurs... »

Un instant auparavant, Jean-Claude Lagrange, vice-président du conseil régional en charge du développement économique, de l’emploi et de la sécurité professionnelle, avait demandé la parole à la fin de l'assemblée générale : « la présidente de région est très intéressée par la création de la place financière. Il fallait nous rassurer que ce n'était pas seulement des financiers parlant aux financiers... A ce que j'ai entendu, c'est un chèque en blanc que je peux signer... » La boutade a bien fait rire cette assemblée de patrons et d'investisseurs. Que le contribuable se rassure, le budget de l'association est de 139.000 euros, largement abondé par les cotisations des membres qui s'échelonnent de 350 euros (moins de 50 salariés) à 1500 euros (plus de 500 salariés) et 3000 euros (banques)...Jeannine Roche et Philippe de Portzaparc.

Jeannine Roghe, la directrice régionale de la Banque de France se dit « heureuse : réunir le monde de l'entreprise et celui de la finance est la seule façon de réussir en France... » On verra si l'amabilité du propos se transforme en magie des mots...

Relocalisation du capital ?

Reste que la création des places financières régionales, qui parfois se disent aussi tertiaires, peut être analysée de diverses manières. Les critiques de la bourgeoisie y verront peut-être la constitution d'un lieu de plus où s'exerce « l'entre soi ». Il y a un peu de cela quand on réalise ce qu'il y a derrière le mot tertiaire, parfois complété de l'adjectif supérieur. En fait, le tertiaire supérieur constitue les activités à forte valeur ajoutée, de l'expertise juridique à celle des comptes, de la connaissance scientifique à ses développements industriels, voire de la maîtrise de la communication. Ce dernier point est mentionné par Emmanuel Viellard comme « fondamental » : « les idées sont claires, on doit communiquer clairement ».

On peut aussi voir ces créations comme une forme de relocalisation du capital de plus en plus surveillé quand il s'évade. Philippe de Portzamparc explique qu'à la suppression de la bourse de Nantes, Olivier Guichard, le baron gaulliste maintes fois ministre qui présida plus de vingt ans le conseil régional des Pays de Loire, l'avait interpellé : « il faut garder quelque chose... » Il en était sorti la place financière de Nantes... Non sans difficultés, ajoute Portzamparc : « Souvent, la métropole écrase son territoire... Ailleurs, ça a plutôt pris la forme de club d'experts, Bordeaux a lancé un club de personnalités... » Il insiste sur la dimension territoriale : « 70% du PIB est en région, 30% en Ide de France... Nous sommes tous concurrents, mais on doit travailler ensemble, Medef, CPME, universités, ne pas oublier les grands épargnants... A nous tous, nous pesons lourd ».

La relocalisation, c'est exactement ce dont parle le banquier Eric Martin quand il parle des « besoins spécifiques de filières particulières, pour lesquelles il faut trouver des modes de garantie spécifiques à inventer ». Quelles filières ? « Le bois, l'hôtellerie-restauration... »   

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