Pierre Carles : le décryptage du pouvoir

Le réalisateur du film « DSK, Hollande etc. » était récemment à Besançon pour débattre de l’art et la manière de fabriquer un candidat. Son regard est une critique du mélange politique et spectacle.

Invité par le Cac, un collectif constitué d’individus et d’organisations dont la volonté est de s’unir pour construire une force proposant des alternatives contre le capitalisme, Pierre Carles était à Besançon le 6 avril pour présenter « DSK, Hollande etc.» 
La méthode de Pierre Carles est celle du cinéma d’investigation. Réalisé par les cinéastes et journalistes Julien Brygo, Pierre Carles et Aurore Van Opstal, le film passe au crible les médias avant les élections de 2012. Autoproduit « DSK, Hollande etc. » est une suite presque naturelle de «Juppé forcément », un film sur l’orchestration par les médias de la campagne du candidat à Bordeaux. « Depuis 1995, rien n’a changé. Ce sont les médias qui désignent les candidats explique Pierre Carles avec verve en introduisant le film. Autre question : Hollande est-il un candidat de gauche ? »
En 2010, les médias font le forcing sur DSK : DSK dans les pays de l’Est. L’homme arrive dans son hôtel : il a des problèmes comme tous les voyageurs de commerces : son costume est fripé. Il va à la salle de bain fait couler l’eau chaude pendant des heures pour que son costume soit repassé. « Il faut bien se débrouiller » dit-il. Il est filmé par Canal Plus. Quelques plans plus tard, il cuisine avec Anne Sinclair. Lecture de l’image : cet homme plutôt sympathique, ordinaire qui cuisine comme tout le monde avec son épouse peut d’ores et déjà sensibiliser à sa candidature des milliers d’électeurs. L’emballage fonctionne. « Un candidat nommé désir titre un journal » alors que la campagne n’est pas encore commencée ! Mais l’affaire du Sofitel bascule les prévisions et les voix des médias se reportent sur François Hollande, le candidat qui a exactement le même parcours que DSK (Science Po et HEC). 

Tricheries et manipulations…

On voit ensuite comment les présentateurs de la télévision, véritables « chiens de garde du pouvoir » (pour reprendre le titre d’un autre film de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat), discréditent Eva Joly. Lors d’un entretien, le journaliste fait en sorte de ne pas l’interroger sur son programme politique. « Vous devez être le prototype du candidat inutile dans cette campagne. Totalement inutile. » dit aussi Jean-Michel Aphatie face à Jacques Cheminade sur Canal Plus.
Même si le temps de parole accordé aux candidats est le même, il existe plein d’astuces pour leur couper la parole et par là même, ne leur laisser aucune place dans le débat électoral : à un moment donné Dupont d’Aignan parle de pauvreté et interpelle le présentateur sur son salaire : on voit  très nettement comment la télé en coupant une autre parole que celle du capital met en place les candidats qu’elle désigne : « Les médias sont des moyens d’influence ajoutait Pierre Carles lors du débat : on fabrique de faux candidats de gauche et ensuite on dénigre ce qui pourrait les mettre en danger ».
Les porte-voix de ces médias le nient  en bloc et s’offusquent quand on les interpelle. Le film le démontre pourtant à grands renforts d’archives télévisuelles et de pages qui font la une de la presse nationale. A entendre Nicolas Demorand de Libération, Laurent Joffrin du Nouvel Obs, leur média ne roule pas pour le candidat socialiste. Hélas pour eux, à un moment donné, Szafran de Marianne ne remarque pas que la caméra tourne et ajoute : « L’Obs a soutenu Hollande, nous, on a plutôt soutenu Hollande, Libé a plutôt soutenu Hollande, Le Monde a plutôt soutenu Hollande. » On a un aperçu de la grande manipulation électorale.

Le poids des sondages

Le film met aussi en lumière l’incidence des sondages. Preuve à l’appui un article de Libé qui subjective les intentions de vote des français par des questions posées de manière insidieuse : « En surestimant Marine Le Pen  au niveau des pourcentages d’intention de vote, Libé appelle au vote utile » explique Pierre Carles. 
« Les médias sont des fossoyeurs d’utopie » dit encore Pierre Carles lors du débat et lorsqu’on  lui demande quel serait pour lui un autre média, il répond : « J’aimerais faire un journal télévisé alternatif qui traiterait de la délinquance financière. Il faudrait ne pas répondre aux exigences de la télé classique.  Bourdieu disait «Les faits divers font diversion. Il faudrait commencer le journal par un accident de travail… Il faudrait que les journaux soient financés uniquement par leurs lecteurs »
Franc tireur, le documentariste n’a pas peur des mots : « Il faut fermer TF1, France Inter… Faire taire ceux qui dominent.  Il faudrait interdire la publicité. Ne pas être dépendant de ceux qui paient. Je pense aussi que le grand défaut du journalisme aujourd’hui c’est le manque de temps. Le journalisme c’est du travail artisanal. Il faut se documenter, douter… L’exigence de rentabilité nuit à ce métier. »
Quand un spectateur évoque le suicide de Michel Naudy après son éviction de la télévision. Carles reprend : « Naudy est victime du macchartysme qui règne dans les médias. Il a été « placardisé » car il voyait les choses en terme de lutte de classes. »
A l’ultime question sur les journaux en ligne Pierre Carles répond : « Malheureusement les sites dominants sont Facebook et Google. On est passé de « ferme ta gueule à cause toujours ». Cause toujours ne veut pas dire qu’on soit écouté. Cela nuit à ces médias qui souffrent  déjà d’un sous financement. Il y a pourtant la possibilité de dire quelque chose qui ne peut pas être dit ailleurs. »

 

 

 

 

 

 

 

 

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