Philippe Martinez : « Que le patronat respecte la trêve sociale ! »

Le secrétaire général de la CGT a passé une journée dans le Doubs. A Besançon, il s'est largement exprimé sur la nouvelle situation politique et sociale issue des attentats, avant d'échanger avec une centaine de militants.

martinez

La minute de silence est dense. La centaine de militants bisontins de la CGT se sont levés après que Philippe Martinez a rappelé que trois adhérents de l'organisation ont péri sous les balles des terroristes, vendredi 13 novembre. Parmi eux, la secrétaire de l'union locale de Sevran, réfugiée chilienne après le coup d'état du général Pinochet le 11 septembre 1973... « Ces attentats pèsent sur l'esprit des salariés », dit le secrétaire général de la CGT, dans le Doubs jeudi 19 novembre dans le cadre d'une tournée nationale de visite de 2000 syndicats de base. De fait, l'essentiel de son discours porte sur ce contexte qui change la donne politique, économique, syndicale...

Sous sa moustache sévère, l'homme est d'un abord simple et direct, comme son propos. « Nous avons annulé nos manifestations de cette semaine, car le temps est celui du recueillement. Nous avons aussi eu des échos de grévistes à qui les forces de l'ordre ont demandé d'arrêter des conflits. Si la trêve sociale est respectée par le patronat, il n'y a pas de raison de se mobiliser, mais ce n'est pas ce que nous avons compris... Si le gouvernement décide d'interdire les manifestations, c'est sa responsabilité, mais on saura alors lui dire qu'il a choisi son camp. Si on n'a pas plus le droit de manifester, que les patrons arrêtent les plans de restructuration, or, ce n'est pas prévu de stopper celui d'Air France », explique-t-il en conférence de presse.

« Au nom d'une prétendue unité nationale, il ne faudrait plus revendiquer ? »

Devant les militants, quelques instants plus tard, il précise « l'enjeu de la période : au nom d'une prétendue unité nationale, il ne faudrait plus revendiquer ou manifester ? Il n'est pas question de remettre en cause ce qu'on a décidé de faire, sauf si le gouvernement renonce aux restrictions des lois Macron, Rebsamen ou autre ».

Philippe Martinez approuve l'annonce de créations d'emplois dans la police et la gendarmerie : « c'est bien, ce n'est sans doute pas assez... Il y a un besoin de sécurité pour les citoyens, mais on attaque les services publics à longueur de journée. Deux millions d'heures supplémentaires n'ont pas été payés dans les hôpitaux, pourtant des personnels hospitaliers sont revenus spontanément soigner les blessés. Ils auraient mérité d'autres réponses que des seuls remerciements ».

L'ancien métallo de chez Renault fait le lien entre la crise sociale et la désespérance qui pousse une jeunesse sans avenir dans le chaos terroriste : « Le danger des attentats est aussi celui de la haine et du racisme. Pour combattre cela, il faut plus de justice sociale. Une des solutions est davantage de jeunes qui travaillent pour retrouver le collectif, la cohésion du boulot ».

« Si la guerre de Bush père avait été efficace, on n'en serait pas là »

Le leader de la CGT fait le lien avec la politique étrangère : « On peut faire semblant de lutter contre le terrorisme mais si on exporte autant d'armes », ça manque de crédibilité. Le sujet recèle aussi une contradiction propre au syndicalisme qui défend l'emploi chez les fabricants d'armement : « les camarades qui travaillent chez Dassault tiennent à leur travail, mais à la condition qu'il serve la défense nationale ». En l'occurrence, il sert aujourd'hui surtout le commerce extérieur.

« La guerre ne règle rien, au contraire »
Extrait de la déclaration de la CGT : « La guerre ne règle rien, au contraire. Les lieux de tensions et conflits se multiplient avec leurs cortèges de morts, de destruction, de désolation et de haine. Les multiples interventions militaires (en Irak, en Lybie, en Syrie, etc.), loin d’instaurer la démocratie ont généré un appauvrissement des populations avec des centaines de milliers de victimes et une impasse économique et sociale. C’est le terreau sur lequel le terrorisme se développe, poussant des populations entières sur le chemin de l’exil.
Avant la fin de la 2ème guerre mondiale, lors de la déclaration de l’OIT en 1944, l’ensemble des pays de la planète avait affirmé que seule la justice sociale serait facteur de paix.
Bon nombre de gouvernements l’ont oublié et font le contraire. »
En intégralité ici.
Ayant perdu une déléguée de la FNAC le 13 novembre, la CFDT accepte quant à elle « le cadre d’exception temporaire » de l'état d'urgence. Voir ici.

De la politique étrangère au contexte international, il n'y a qu'un pas : « Si la guerre de Bush père avait été efficace, on n'en serait pas là ». Cette guerre a a conduit à l'effondrement de l'Etat irakien sur les ruines duquel est né Daech, avec des officiers de l'armée de Saddam Hussein, la culture du parti Baas, nationaliste et autoritaire... La guerre qui a saisi le Proche Orient éreinte les populations qui fuient, « quittent la misère », dit Philippe Martinez en justifiant la déclaration qui fait de la CGT la principale organisation du pays à s'opposer à l'état d'urgence car « refusant l’expression revendicative et le mouvement social soient muselés ».

Ce faisant, elle a cependant signé, avec six autres organisations syndicales un communiqué commun minimal déclarant que « rien ne saurait remettre en cause la détermination [du mouvement syndical] à lutter contre toute les atteintes à la démocratie, à la paix et aux libertés ».

« Certains rêvent d'un syndicalisme d'experts »

Après ce long développement consacré à l'actualité, Philippe Martinez a rappelé la principale revendication de la CGT de la semaine de 32 heures, et évoqué la réflexion qui anime les délégués à tous les niveaux : « comment passer davantage de temps avec les salariés qu'avec les patrons. Certains rêvent d'un syndicalisme d'experts où on discute entre soi de ce qui est bon pour les salariés ». Après quoi, il s'est plié à l'exercice de l'échange avec la salle.

Animateur de quartier, Benjamin, la trentaine, sonne l'alarme : « si on ne syndique pas de jeunes, le syndicat va mourir, ce doit être une priorité. Il faut aller vers eux hors des cadres habituels ». Il suggère notamment d'impliquer davantage la CGT dans la coalition climat pour porter « l'idée d'une transformation sociale et humaniste nous dépassant ». Ancienne responsable du syndicat départemental Postes et Télécom, Elisabeth Portier représente la CGT au CA de la MACIF : « On est plus dans les instances qu'auprès des salariés, mais si on n'est pas dans les débats de société, ils se feront sans nous. L'avenir de nos gamins m'inquiète, les autoentrepreneurs n'entendent jamais parler de la CGT... »

Dire aux jeunes : « on te traite mal et on va t'aider »

Philippe Martinez acquiesce : « Qu'est-ce qu'on s'est pris dans la figure quand on n'est pas allé à la conférence sociale ! Mais si je réponds à toutes les invitations des ministres, je ne suis pas avec vous aujourd'hui. Il faut faire des choix et réfléchir collectivement aux priorités. Avant, on négociait les salaires en une ou deux réunions, voire trois ou quatre s'il y avait un peu de banderole. Maintenant, ça dure trois mois, avec des tas de réunions et une intense propagande patronale. Il faut réfléchir à ce qu'est une réunion utile. Ils rêvent d'un syndicalisme institutionnel, qu'on passe leur temps avec eux. Je connais des délégués syndicaux centraux habitant hors de la région parisienne qui passent trois jours et demi par semaine à la disposition du patron... Même si on conteste, on devient une institution et les salariés nous disent : on ne vous voit pas beaucoup, ou tiens, on vous voir car il y a des élections... »

Quant aux jeunes, il déplore qu'ils entendent souvent de la part des vieux délégués : « Tu regardes comment on fait et ton tour viendra ! Et puis, dans les boîtes, quand on tend un tract à un jeune qui répond je ne suis pas de la boîte, on lui répond t'as raison... Il ne faut pas dire à un jeune qui a son premier job à 1000 euros après 3 ou 4 ans de chômage, qu'il a un emploi de merde et un salaire nul. Mieux vaut lui répondre : on te traite mal et on va t'aider ».

On ne peut pas accepter dans nos rangs de propos racistes

Le secrétaire général sait bien que sur ce point, les structures d'accueil de la CGT sont perfectibles. Cela fait des années qu'on l'entend dire par de nombreux militants, et pas seulement de la CGT. « Il faut réfléchir à aller vers les sans-emplois », dit-il, « à Narbonne, ils ont acheté un camping-car pour aller vers les jeunes. S'ils restent dans leur quartier et nous à l'union locale, où va-t-on se croiser ? Quant à la CPO21, on n'est pas d'accord avec les patrons sur l'enjeu. C'est pareil pour la guerre qui génère 10% de gaz à effet de serre supplémentaires... J'aime bien les voitures, ça m'énerve qu'on culpabilise les gens qui vont travailler en voiture alors que l'âge moyen d'achat d'une voiture neuve est de 56 ans... » Benjamin reprend la parole : « le gouvernement vise à culpabiliser les individus plutôt que de lancer un débat collectif où on se pose les questions de faire mieux ».

Olivier Coulon, délégué au lycée Condé, parle des deux semaines de grève à la rentrée en raison du harcèlement de la hiérarchie. La même problématique est soulevée par Fatima Hakkar, déléguée au centre de long séjour de Bellevaux : « on n'a pas assez de soutien de nos instances, le travail de terrain ne suffit pas si on n'est pas accompagné. Quand on n'a pas le temps, les salariés vont à SUD ou à la CFDT... » La voix taraudée par l'émotion, elle dénonce le racisme d'un militant CGT dans une formation syndicale. Philippe Martinez répond : « C'est un témoignage comme on en entend beaucoup. On ne peut pas accepter dans nos rangs de propos racistes. Quand on assure la défense des autres, il faut aussi se défendre soi-même, ne pas donner m'image d'un martyr, on a besoin d'être plus solidaires... »

« L'absence de transversalité de nos revendications nuit à nos actions »

Isabelle Colle, secrétaire départementale de la CGT finances publiques, déplore que « l'absence de transversalité de nos revendications nuise à nos actions. La confédération doit faire des efforts ». Cela renvoie à l'organisation de la CGT qui réunit des syndicats territoriaux et des fédérations indépendants. Résultat, reconnaît Philippe Martinez, « ce gars qui a mis deux ans pour adhérer, cette fille de Clermot-Ferrand qui a mis 5 ans... C'est sûr que parler de la tarification à l'activité [dans la santé] ne va pas passionner à Air France, mais on doit trouver les moyens de faire savoir qu'elle existe. La confédération doit le faire, c'est ce qu'elle fait quand elle travaille sur le coût du capital... »

C'est sans doute à ce prix que la CGT sera « présente, offensive, dérangeante », explique Cyril Keller, le secrétaire de l'union départementale. Après quoi, il a filé sur Montbéliard et Aundicourt avec le secrétaire régional Michel Faivre-Picon et Philippe Martinez pour rencontrer d'autres salariés et rendre hommage à Ambroise Croizat, fondateur de la Sécu.

 

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