Pablo Servigne : « les riches sont les plus tolérants aux comportements anti-sociaux »

Le fondateur de la collapsologie, ou étude interdisciplinaire de l'effondrement des sociétés, donnait une conférence à la foire Humeur Bio de Longchaumois, dans le Haut-Jura. Nous vivons selon lui « l'âge de l'entraide », indispensable pour survivre à la catastrophe annoncée, voire déjà commencée...

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Théoricien de l'effondrement de la civilisation occidentale, Pablo Servigne donnait une conférence samedi 21 octobre à l'annuelle foire Humeur Bio de Longchaumois. Se tenant sur deux jours, l'événement, qui combine classiquement un marché bio, des stands associatifs et de la musique, propose à chaque édition un moment de réflexion et d'échange d'idées à partir d'un débat ou du propos d'un auteur. C'est devenu un rendez-vous important de la planète alternative haut-jurassienne qui rayonne pour l'occasion au-delà de sa géographie.

A l'origine biologiste et agronome, Pablo Servigne a prolongé ses recherches sur le terrain de la psychologie et de l'anthropologie, de la sociologie et de l'archéologie, pour aborder des questions hautement politiques. Son premier livre Nourrir l'Europe en temps de crise, est issu d'une commande que l'ancien ministre de l'Environnement écologiste Yves Cochet, alors député européen, lui avait faite sur l'avenir de l'agriculture. « J'ai fait la synthèse de plusieurs disciplines et imaginé que d'ici 10 à 15 ans le système alimentaire s'effondrait... » L'hypothèse n'a rien d'absurde quand on considère la dépendance de l'agro-industrie et du système de distribution au pétrole.

« Si on n'était pas dans un bain idéologique ultra-libéral... »

Il est aussi, avec Raphaël Stevens, l'auteur de Comment tout peut s'effondrer, sous-titré petit manuel de collapsologie à l'usage des générations présentes... La collapsologie est « l'étude interdisciplinaire de l'effondrement », sourit Servigne, invité à commencer par une définition. « Si on n'était pas dans un bain idéologique ultra-libéral, on n'aurait pas senti le besoin d'écrire ce livre », ajoute-t-il. « Notre société est tendue vers la compétition. Notre but est de redevenir compétent en coopération, et de ne pas seulement compter sur le bon sens ».

Revendiquant une « filiation intellectuelle » avec Jean-Marie Pelt, Mathieu Ricard ou le psychologue chrétien Jacques Lecomte, Pablo Servigne considère que « en temps de catastrophe, les humains, stressés, sont plus altruistes... Les survivants ne paniquent pas, s'auto-organisent, contrairement au mythe hollywoodien de la panique générale... »

Il a creusé cette idée dans son dernier livre L'Entraide, l'autre loi de la jungle où il constate, avec d'autres, que « toutes les civilisations récompensent l'altruisme, mais s'il y a des tricheurs, certains se retirent, alors l'entraide s'effondre et on passe tous en mode compétition... »

Pour qu'un groupe humain fonctionne, il faut selon lui « trois ingrédients : la sécurité, l'égalité et la confiance ». Que l'un vienne à manquer, et le pacte social ne tient plus. Il articule cela avec un principe puisé dans la pensée du prince anarchiste Kropotkine : « ce ne sont pas les plus forts qui survivent, mais ceux qui s'entraident ». Il en conclut que « l'âge de l'entraide arrive », qui va a contrario de ce constat selon lequel « c'est parce qu'on est riche qu'on peut dire je t'emmerde ».

Autre version de les premiers seront les derniers ?

« Attention à l'altruisme pathologique »

A une auditrice qui lui demande « comment recréer de l'équilibre ? », il répond par la « dynamique du temps long... En toutes hypothèses, plus il y a d'amplitude et d'organisation pyramidale dans une société, plus il y a de problèmes... » Ce qui peut faire disparaître les sociétés.

Au viticulteur Claude Buchot qui témoigne de l'importance de l'entraide dans sa profession, mais aussi son entrave administrative à l'échange de services, Servigne en convient : « la sécurité, c'est la coopération ». Pour lui, la compétition effrénée crée de la solitude qui entraîne le besoin de consolation pouvant expliquer l'usage des drogues : « attention à l'altruisme pathologique », prévient-il.

Un auditeur évoque le capitalisme, dont la critique explicite est absente du discours du conférencier. Il opine, mais dévie vers l'éducation populaire : « il faut faire sentir leur vulnérabilité aux puissants... C'est le côté insurrectionnel » de sa réflexion. On lui reproche sa critique des sciences humaines qui seraient « hors sol », il s'en tire avec son regard d'agronome : « elles ne connaissent pas la terre ».

Gauthier, jeune historien qui milita à Nuit debout, fait remarquer que « l'ère de la coopération existe déjà », notamment parmi « les élites - on a vu comment les victimes de l'ouragan Katrina ont été les plus pauvres. Des gens ont les moyens de s'en sortir... » Ils ont même une philosophie, « le transhumanisme... » Pablo Servigne objecte : « s'ils sont heureux ». Gauthier réplique : « On s'en fout, ils nous menacent... » Le conférencier évoque alors l'existence des classes sociales. « Vous êtes marxiste ? », interroge Gauthier. Servigne rigole, continue sur sa logique : « dans les expériences menées par les psychologues, les riches sont les plus tolérants aux comportements anti-sociaux... La lutte des classes est pertinente, on va vers un âge de rapports de force... »

 

 

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