« On avance dans le recul de l’homophobie »

Le vote solennel du mariage pour tous intervient ce mardi 12 février à l'Assemblée nationale. Président de Nouvel Esprit, association LGBT de Franche-Comté, Thibaut Jeunet fait le bilan du débat sur le « mariage pour tous » qui a enflammé la vie publique ces dernières semaines.

jeunetthibaut

Avez-vous été surpris des nombreuses et diverses oppositions au mariage pour tous ?
A l'échelle sociétale, oui. Comment autant de gens ont pu être contre cette loi qui ne leur enlève rien ? Et je sais comme il est dur de se mobiliser, quel que soit le sujet.

Comment l'avez-vous ressenti ?
Je suis surpris que ça ait pris à Besançon où les homosexuels ont une qualité de vie favorable, appréciable. Je suis surpris de leur capacité à tracter dans la rue...

Beaucoup ont dit qu'ils n'étaient pas homophobes. Vous l'entendez ?
Difficilement. Les jeunes homos ont ressenti de l'agression dans leur identité.

Cela laissera-t-il des traces ?
C'est difficile à savoir. J'ai essayé de faire un parallèle avec les manifestations anti Le Pen entre les deux tours de la présidentielle de 2002...

Ce n'est pas la même chose...
C'est vrai. En tout cas, je ne suis pas sûr qu'on gardera autant de traces que pour le PACS où ça avait été très violent. J'ai 28 ans et suis de cette génération PACS. Les images de l'époque m'avaient marqué.

Les associations de la cause homosexuelle
Nouvel Esprit
Admetos, accueil de jeunes en rupture
SOS homophobie
L'Autre Cercle, lutte contre l'homophobie au travail 

Peut-on être contre le mariage pour tous sans être homophobe ?
On a eu des débats là-dessus dans l'association. Un gars a découvert une ouverture qu'il n'imaginait pas chez des catholiques de sa connaissance. On a entendu des personnes non homophobes avec des arguments construits. Mais même s'ils ne se pensent pas homophobes, leurs arguments sont souvent homophobes...

Le mariage, l'adoption, la procréation médicalement assistée (PMA) ou la gestation pour autrui (GPA) peuvent ne pas être vus ensemble, du moins liés ?
Lors de notre entrevue avec l'équipe du sénateur Claude Jeannerot, qui va voter pour le mariage mais ni pour la PMA ni la GPA, il y eu, dans la discussion, parfois, des éléments homophobes...

La PMA ou la GPA peuvent être vus sous l'angle de la consommation ?
A Nouvel Esprit, on se place au niveau social. On n'a pas pris les arguments personnels, ça aurait été compliqué tant il y a de positions. Mais on n'a pas eu de polémique car nos positions étaient bien collectives.

Quelle est la position de l'association ?
Oui à tout : mariage, adoption, PMA, GPA... Si on ne traite pas la question de la GPA d'un point de vue législatif, elle existera quand même, avec pour conséquences des situations désastreuses, des gens vivant dans l'illégalité. Il faut trouver un cadre, par exemple une décision par le juge aux affaires familiales.

C'est déjà le cas aujourd'hui, d'où la déconnexion des textes ?
On voulait que le mariage et la PMA soient ensemble. Pour la GPA, d'accord, ça nécessite encore du débat, entendre à nouveau les experts, les médecins, les juristes...

Quels que soient les couples ?
Bien sûr !

Et pour la PMA ?
Notre avis est sur cette base : l'accès à la parentalité existe pour mille raisons et être parent ne donne pas le même rang, le même statut social. Vouloir être parent ne se juge pas. Si on n'y donne pas accès, dans un cadre, on donnera accès aux gens qui ont les moyens de trouver d'autres solutions ailleurs. On a l'exemple, à Besançon, d'un couple d'hommes avec un enfant par GPA, l'un est médecin, l'autre notable... Si on ne crée pas un cadre, on créera de la frustration.

Les enfants d'homosexuels sont le plus souvent issus d'unions hétérosexuelles...
Il y a des situations parentales très différentes, des consentements variables, des situations saugrenues...

Les recompositions familiales sont compliquées, quelle que soit l'orientation sexuelle des gens, non ?
Cela pose la question du statut du co-parent ?

C'est qui le co-parent ?
Le beau-père ou la belle mère...

Avez-vous pensé à la spoliation d'un véritable parent délaissé ?
Cela renvoie à la loi sur la famille...

Dans ce cas, ne valait-il mieux pas, comme le gouvernement l'a fait, scinder les deux textes ? 
Je ne pense pas. La loi donne la possibilité aux couples de même sexe de se marier, donc d'être parents, tout en sachant que le couple est stérile, sans poser la question de l'accès à la parentalité. Par chance, il y aura un nouveau projet de loi.

Il y a l'adoption...
Dans la loi, mais dans la réalité ?

Que répondez-vous à vos contradicteurs pour qui des parents de sexes différents sont plus équilibrants ?
Lors de notre colloque sur l'éducation des enfants de couples homosexuels, on a eu des tas d'avis sur la construction de la personnalité des enfants. Certains pédiatres et pédo-psychiatres disent que l'enfant construit lui-même ses repères dans son entourage : grands parents, oncles, tantes, frères, soeurs... L'altérité ne se construit pas seulement dans l'image des parents. Il y a aussi les mères célibataires, les pères célibataires... 

Selon vous, les opposants seraient arqueboutés à une seule forme de famille ?
Ils sont pauvres en arguments. Hors un homme et une femme, ils parlent de l'effondrement de la société !

Ils parlent aussi de zoophilie, d'inceste...
Ça, c'est carrément de l'homophobie, ça renvoie l'homosexualité à la pathologie.

Ferez-vous la fête ce mardi 12 pour le vote solennel de la loi ?
On s'en satisfait, mais il restera des étapes, le passage au Sénat. J'ai vu 90 heures de débat, je ne suis pas sûr que le Sénat votera le texte conforme à celui de l'Assemblée nationale. D'autant qu'il y a de vraies questions à la marge...

Par exemple ?
L'attribution du nom en cas de désaccord des parents à la deuxième génération : l'enfant pourrait avoir le choix de quatre noms alors qu'il n'en faudrait que deux... Il y a des phrases de cinq ou six lignes...Il y a le cas d'un mariage avec un étranger : quid de la nationalité de l'enfant déjà né du conjoint ?

La situation des homosexuels s'améliore-t-elle avec cette loi ?
Une reconnaissance de la loi fait bouger les choses. Le débat a donné de la visibilité à certaines situations, des gens se sont posé des questions. Imaginez le nombre de jours de congé à poser pour mariage ! Sans forcer les gens à faire leur outing, il faudra sans doute en accompagner quand il faudra apporter un acte de mariage à son patron ! Petite à petit on avance dans le recul de l'homophobie. Le PACS avait déjà donné une grande baffe à tout ça. Dans la communauté, il y a ceux qui ont vécu l'avant et l'après PACS. Pas un homo de la génération de mes parents n'a pas vécu de situation d'homophobie violente. Aujourd'hui, des tas d'homos n'ont jamais vécu d'insulte ou d'agression...

Devez-vous ces avancées à la gauche ?
Il y a eu la dépénalisation sous Mitterrand, mais pour le PACS, la communauté se souvient de l'absence des députés de gauche lors du vote... A Besançon, c'était dur au début avec Jean-Louis Fousseret, puis la ville a été le premier financeur de notre colloque sur l'éducation.

Il y a aussi l'action de l'adjointe à la lutte contre les discriminations, Annie Ménétrier (PCF) ?
On a la chance d'avoir une élue volontariste, qu'i s'est mouillée. Dès le départ, on a mis en perspective des projets avec elle.

Et ailleurs en Franche-Comté ?
C'est très dur. Le 17 mars, on va à Morteau car la MJC organise un débat après le film Les Invisibles. Les anti ont dit : « pas seulement la parole à eux » ! Mais pourquoi ?, la loi sera passée ! Barbara Romagnan, Eric Alauzet, Claude Jeannerot ont reçu des centaines de courriers de l'extérieur de Besançon. Je suis intervenu sur France Bleu, pareil, les réactions venaient de l'extérieur...

Avez-vous un tableau comparatif des situations ?

Non, on n'a pas assez d'observations ailleurs. Amor Hakkar avait fait un film sur deux homosexuels afghans qui est passé à Saint-Claude où un couple homo avait un restaurant depuis des années sans problème, après le film ils ont été agressés, vandalisés... A Villersexel, un couple homo de commerçants s'est installé : au début, ils ont été regardés de travers, mais n'ont jamais été agressés et disent maintenant être intégrés... Quelle est la part de peur, de fantasme ? Christiane Taubira le disait : « je comprends que ça bouleverse, mais je ne suis pas sûre que ça nourrisse la haine... »

 

 
 

 

 

 
 

 

 

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