« On a dormi un mois sous des tentes devant l’usine… »

Centre trente militants CGT de quatre régions du Grand-Est se sont réunis jeudi à Besançon pour « partager leurs succès ». Ils ont surtout échangé des expériences, exprimé des valeurs collectives, constaté qu'ils devaient s'adapter au nouveau monde du travail.

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« Partageons nos succès ! » Alors que les syndicats de salariés semblent perdre bataille sur bataille, il était osé de parier sur la réussite d'une telle entreprise : échanger sur les succès syndicaux. Certes, les dirigeants de la CGT qui ont suscité sept rencontres interrégionales dans le pays sur ce thème, ont dû en annuler deux. Certes, ils attendaient 200 militants jeudi 22 janvier à Besançon, il en est venu 130 d'Alsace et de Lorraine, de Bourgogne et de Franche-Comté.

Alors ? Échec ? A entendre les militants d'entreprises ou de services publics, il en faut plus pour les démoraliser. L'objectif de ces rencontres est justement là : échanger sur des expériences, partager des méthodes, exprimer des doutes et des enthousiasmes, dire la solidarité. En un mot, trouver ou retrouver des forces. Se serrer les coudes, par exemple, autour de la presse syndicale car « le monde du travail n'apparaît pas dans les médias » traditionnels, dira le directeur adjoint du mensuel la NVO, la Nouvelle vie ouvrière, qui devient bi-média : « ce que j'entends en vous écoutant, c'est la matière qu'on recherche ».

« Rien n'est inéluctable »

La parole, c'est souvent par là que commence le travail syndical. C'est le leitmotiv d'Elisabeth Nedelec, déléguée syndicale à la fédération Familles rurales du Doubs : « écouter les salariées, être humain, sinon tu arrêtes ». « On est élu pour les salariés, pas pour nous », dit au micro le délégué de l'hôpital de Pont-à-Mousson après une lutte victorieuse de pérennisation des urgences. Il insiste sur la « prise de conscience que rien n'est inéluctable ».

Parfois, le succès expose à des retours de bâtons, comme les sanctions, y compris judiciaires, qui sont tombées sur Daniel, délégué de Raflatac, également en Lorraine, menacé de licenciement. Il avait évoqué la « combativité » d'un conflit de quatre semaines en 2011 débouchant notamment sur l'intégration d'une prime dans le salaire. Michel Faivre-Picon, le secrétaire du comité régional, réagit à son témoignage : « Toute la CGT va te soutenir ». La salle applaudit. Une pétition circulera ensuite dans les rangs.

« Refuser l'amnistie des militants condamnés, c'est faire l'amalgame avec les hooligans du PSG ! »

Jean-Christophe Gossart, cheminot dijonnais, en tire une leçon : « Il faut inverser la vapeur face à ce gouvernement ultralibéral, à ces socialistes qui ont refusé l'amnistie aux militants, faisant l'amalgame avec les hooligans du PSG ». Il fait une allusion aux remous qui secouent la direction de la confédération : « plus que le nom du secrétaire général, c'est l'état du rapport de forces qui compte. Pour inverser la vapeur, il faut regagner la proximité, changer la donne à partir des besoins de tous les salariés, des intérimaires à l'encadrement... Il faut sortir de l'institutionnalisation, aller vers les salariés ».

Membre du secrétariat confédéral, Philippe Lattaud dira plus tard devant la presse, reprenant les propos d'un jeune délégué alsacien : « Aziz nous a dit qu'il fallait permettre aux salariés d'être acteurs, que ce n'est pas lui qui porte tout le malheur de l'entreprise sur ses épaules... Les employeurs ont tout fait pour institutionnaliser les délégués avec des tas de réunions. On capte l'énergie du syndicalisme dans un paritarisme coupé des salariés : il vaut mieux que les délégués discutent avec les salariés plutôt qu'avec les patrons. Car si le paritarisme débouche sur des accords jugés mauvais, il n'y a pas de raison de s'y accrocher. Même quand il y a un accord, le patronat ne se gène pas pour changer d'avis... »

« Avant, on était des esclaves »

Conducteur de chaudière dans une usine d'incinération de Strasbourg, Atef se taille un joli succès en racontant « sortir de 83 jours de lutte : nous étions exposés aux matières cancérigènes et aux fumées toxiques. On a obtenu gain de cause sur 43 points, des investissements de plusieurs dizaines de milliers d'euros. Cette victoire se savoure, mais elle a été dure à obtenir. On a dormi un mois sous des tentes devant l'usine... Puis le préfet a pris un arrêté pour le respect des normes et des travaux... Il y a eu des gains salariaux pour tous. Il a fallu du courage. On a appris à vivre ensemble : quand on dort dehors, ce ne sont plus des camarades, mais c'est une famille ! Quand j'ai été élu en 2012, on était deux syndiqués. Aujourd'hui, on est 48 sur 55... On a appris à se battre, à se réunir, à faire bloc. On a défendu la cause collective plutôt que l'individu. Avant, on était des esclaves, d'astreinte après huit heures de boulot... J'ai donné tout mon temps. On est sortis la tête haute, on est rentrés la tête haute ».

Avant lui, Benjamin, de PSA-Sochaux, parle du « collectif jeunes » récemment mis en place : « il faut être capable de donner envie aux jeunes d'adhérer à la CGT, on n'y arrive pas encore. On a tous ici la même ambition, mais pas le même langage : beaucoup en ont plein le cul d'écouter Le Chiffon rouge... C'est pas les retraités qui feront les succès de demain... »

Les « revendications de proximité » des retraités

Aziz aussi parle de la jeunesse, « une des clés de la réussite de demain » car « d'ici dix ans un syndiqué sur deux sera parti à la retraite... Le fossé intergénérationnel s'est creusé... Il faut apprendre à conjuguer jeunes et anciens. Les jeunes ont la gniaque, sont fougueux, ont besoin de l'expérience des anciens. On a besoin de tous : jeunes, anciens, précaires... » 

Maryvonne Dumorat, retraitée de Haute-Saône, prolonge la réflexion : « J'ai besoin de ces rencontres pour avoir une bouffée d'oxygène dans ce climat tendu, j'ai besoin de confiance pour rester à la CGT... Les retraités aspirent à bien vivre leur retraite, ils ont des revendications de proximité : transports, soins, théâtre, loisirs qui sont aussi celles des actifs. Il faut un travail intergénérationnel et interprofessionnel... Il y a 50.000 retraités en Haute-Saône et 200 syndiqués... On fait partie des vieux dynamiques. Quand certains partent à la retraite, ils arrêtent en disant j'ai assez donné. Ils oublient qu'on a beaucoup reçu... »

Le cheminot mosellan Jean Riconot parle de l'arrivée de la concurrence dans le fret ferroviaire : « C'était l'affront, on ne voulait rien entendre. Mais on ne peut pas en vouloir aux travailleurs du privé, on a créé des liens, puis une coordination... Sur le fond, on s'est rendu compte qu'il fallait défendre la même chose, ne pas dégrader nos conditions de travail, améliorer les leurs... »

« Changer l'image de rouges et de casseurs »

Également de Moselle, département aussi peuplé que la Franche-Comté, Bernadette Tilbert évoque la mise en place d'un collectif d'unions locales qui a mis en place des parrainages sur le nouveau site industriel automobile autour de Smart : « le bilan, c'est 60 syndicats et 2000 syndiqués... La plupart du temps, quand une section syndicale se créé, la répression et les licenciements suivent. Quand ça arrive, on mobilise l'interprofessionel, on s'est organisé pour que lorsqu'on touche un délégué, il y ait une grosse action, ça donne de la confiance ».

Elle explique qu'un accord avec la Conseil régional a permis de monter une permanence juridique qui touche 1200 salariés par an et permet de ne pas utiliser les heures de délégation des délégués : « ça n'impacte pas l'action revendicative ».

Patrick Baquet, douanier à Montbéliard, explique comment « trois mois d'actions, de tracts à la population, de dossiers aux élus, de blocage de la rue du service avec tentes, barbecue et soupe... », ont débouché sur un arrêt du processus. « Ça fait du bien de partager les succès », dit André, de la CARSAT Bourgogne-Franche-Comté, déjà projeté dans la fusion des régions. Agent des industries électriques et gazières à Dijon, Guy Laurent, jeune militant, témoigne du projet d'une commission jeunes pour toute la Bourgogne : « on fait une formation syndicale d'accueil qui permet de changer l'image de rouges et de casseurs qu'ont certains en arrivant ».

« Analyser ce qu'on fait, le partager, l'utiliser... »

Le déjeuner est l'occasion d'échanges plus détaillés. « On travaille dans des sites éclatés, on a besoin de créer du lien, il faut éviter l'isolement des salariés. Beaucoup n'ont pas conscience de leurs droits, pas conscience qu'elles peuvent contester des irrégularités sur une fiche de paie », explique une jeune déléguée d'un service de crêche en milieu rural. 

Philippe Lattaud a la synthèse facile : « il ne s'agit pas seulement de se donner du baume au coeur. On est plus riches quand on part de ce qu'on fait. Maintenant, il faut l'analyser, le partager, l'utiliser ». Le thème du 51 congrès de la CGT, née à Limoges il y aura 120 ans en septembre prochain, est presque trouvé... Michel Faivre-Picon, le secrétaire du comité régional de Franche-Comté, n'est pas en reste : « Quand on innove, on gagne. On montre que la CGT sait s'adapter au monde du travail ».

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