« Nous étions trois à Besançon, je suis maintenant tout seul… »

L'inspection du travail n'a plus de service d'accueil et de renseignement sans rendez-vous alors que les demandes explosent. La mobilisation syndicale dans la fonction publique a mis l'accent sur ce point noir qui génère incompréhension des usagers et stress des personnels...

cgt-travail

Contrôleur du travail au service renseignement en droit du travail de Besançon, Philippe Houmairi était ce mardi lors de la pause de midi au rassemblement organisé par plusieurs syndicats devant l'entrée de la Direccte de Besançon auquel ont participé sous de froides averses plusieurs dizaines de personnes. Il explique l'impact sur son quotidien professionnel de la récente réforme territoriale des services décentralisés de l'Etat.

« Nous étions trois à Besançon, je suis maintenant tout seul. Ils étaient deux à Montbéliard, il n'y a plus qu'une personne. Mon travail consiste à renseigner au téléphone, physiquement pour les gens qui se déplacent, répondre aux courriers et de plus en plus aux courriels. Une fois que j'ai fait ça, je n'ai plus le temps de mettre à jour mes connaissances qui changent tous les jours... La loi El Khomri a par exemple changé plusieurs centaines de paramètres, sur les accords d'entreprises, la majoration des heures supplémentaires, la médecine du travail... »

Que vous demandent les gens ?

C'est très varié. Ça peut être : mon employeur a-t-il le droit de me licencier si je refuse une tâche qui n'est pas dans mon contrat de travail ? Ça revient plusieurs fois par jour. On s'aperçoit qu'il y a beaucoup d'abus de droit. Beaucoup de salariés font des tâches n'ayant rien à voir avec leur contrat... Certains font 70 heures par semaine...

Vraiment ?

Beaucoup font entre 50 et 70 heures... Les employeurs qui paient les heures supplémentaires sont de plus en plus rares...

Ne voyez-vous pas que les gens qui ont des problèmes ?

Pour les gens ayant un haut niveau d'études, ça se passe bien. J'ai reçu des cadres de la métallurgie à 10.000 euros par mois qui voulaient des renseignements à l'international, ça se passe bien. Comme pour des fromagers à 7000 ou 8000 euros selon la taille de la fruitière ou le litrage. Dans certaines databases administratives, des informaticiens gagnent entre 5000 et 15.000 euros. On ne les voit pas ceux-là. On voit surtout les gens quand il y a des difficultés.

Comment a évolué votre travail quantitativement ?

Je suis arrivé dans le service en janvier 2011, on recevait alors sans rendez-vous 6 à 7 personnes le matin, parfois personne. On avait 10 à 12 appels téléphoniques le matin, un peu moins l'après-midi. Depuis le 1er janvier 2016, un système de rendez-vous a été mis en place car 20 à 25 personnes viennent le matin et on reçoit 35 à 45 coups de téléphone... En cinq ans ! On peut le corréler à la dégradation de l'emploi. Et comme il y a crise, les conditions de travail se sont dégradées. Certains employeurs exagèrent. C'était l'exception en 2003, c'est devenu banal. Et quand je suis en vacances, on ferme le service ! Au moment où les salariés ont besoin d'une bouée de sauvetage, elle disparaît...

Comment l'expliquez-vous ?

Par le contexte idéologique, par le choix fait dès 2007 de réduire le coût de fonctionnement de l'état, de rationaliser la masse salariale. C'était la RGPP sous Sarkozy, c'est maintenant la RéATE, la réforme de l'administration territoriale de l'Etat. Avant 2010 et la RGPP, l'administration du travail était pilotée par des directeurs issus de cette administration. Or, la RGPP a fait fusionner dans la Direccte une trentaine d'administrations, et les directeurs peuvent venir d'une autre administration que celle du travail... L'actuel vient par exemple de la Drire. Quand un directeur ne s'intéressant pas au droit du travail parle avec un préfet pour qui le respect du droit du travail n'est pas une priorité...

Comment prenez-vous ces changements ?

C'est épuisant. On ne peut pas faire seul le travail de trois personnes. On ne peut plus aider correctement les gens. Avec un bon niveau de formation, des gens s'aident eux-mêmes. Mais ceux qui viennent nous voir sont les plus fragiles, ceux qui ont le plus de mal à accéder à un avocat... Des gens vont finir par faire justice eux-mêmes quand il n'y a plus personne pour les écouter...

Vous êtes en colère ?

... Nous sommes dans une Direccte où des fonctions ont augmenté de façon exponentielle pendant que les gens au service des usagers disparaissent... Par exemple l'animation de services économiques. Les chargés de mission de l'administration du travail faisant de l'animation territoriale sont passés de cinq à vingt ! Ça permet l'affichage... Il y a de moins en moins de fonctionnaires des catégories B et C, et une inflation de catégories A. Il y aura bientôt plus de directeurs que de fonctionnaires de base !

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !