Montbéliarde : les éleveurs entre lait et viande

Faut-il orienter la recherche génétique vers l'aptitude bouchère comme le suggère Guy Belot à l'organisme de sélection ? Les éleveurs de montbéliarde, vache emblématique des qualités fromagères, s'interrogent.

Statuettes de montbéliardes

La part de la montbéliarde a doublé en quarante ans dans le cheptel bovin français soumis au contrôle laitier et constitué aux deux tiers de prim'holstein. La vache emblématique du lait à comté a été génétiquement vendue hors de Franche-Comté au point de passer de moins de 8% au tournant des années 1970 à 16,6% en 2012. En outre, alors que le troupeau national diminue depuis des années, l'effectif des montbéliardes poursuit sa croissance. Sur les 2.548.730 millions de vaches inscrites au contrôle laitier dans le pays, on compte 415.552 montbéliardes. Les certificats d'exportation, qui avaient chuté en 1997 pour cause de maladie de la vache folle, ont mis douze ans à retrouver le niveau atteint en 1996 et l'ont nettement dépassé en 2011 et 2012. L'Algérie et le Maroc sont de loin les deux meilleurs clients des éleveurs français, largement devant la Grande Bretagne et la Pologne.
Ces nouvelles économiques ont été accueillies sans déplaisir mais avec circonspection dans les travées de l'assemblée générale de l'organisme de sélection qui réunit des éleveurs de tout le pays, mercredi matin à Besançon. Le directeur, Philippe Maître, a expliqué en quoi la génomique y avait contribué en devenant en peu de temps un instrument de sélection génétique... qui demande encore à convaincre. «La génomique est une source de progrès», dit-il en détaillant les indexations des taureaux relatives à plusieurs orientations morphologiques (bassin, mamelles, trayons, aplombs...), sanitaires (cellules, taux protéique...) ou fonctionnelles (aptitude bouchère...).

Croiser les caractères génétiques avec le milieu

Le profane comprend que la semence de tel taureau inséminant telle vache donne une génisse dotée des caractéristiques requises avec une certaine marge d'erreur. Mais requises par qui ? Par les besoins des exportateurs de gamètes qui vont servir à des croisements de races en vue de davantage de productivité laitière ? Par la topographie des pâturages ? Par la dimension intensive ou au contraire extensive de l'élevage ? On n'en pas encore là, mais dans une «approche statistique», dit un agronome regrettant que l'environnement ou l'alimentation de l'animal ne soient pas suffisamment intégrés aux programmes.
Du coup, avec la marge d'erreur, la fiabilité des indexations est sujette à caution. Plusieurs éleveurs ont mentionné des déboires lors des débats : «on peut passer à côté de certains termes, où est la logique ?», a demandé l'un. «C'est normal qu'il y ait des variations», dit un ingénieur d'Umotest en assurant que «80% des taureaux seront génomiques dans trois ans». Autrement dit, on n'a pas besoin d'observer la descendance pour connaître ses caractères génétiques. Et le petit monde de l'élevage s'interroge. Et notamment, en son sein, les passionnés de sélection qui se constituent un troupeau performant, tant sur le plan de la qualité laitière que de la vente de jeunes bêtes. «Disposera-t-on comme avant de taureaux confirmés ?», interroge Michel Cuche. «Il y aura toujours des taureaux très connus», répond Philippe Maître.  

La vieille contradiction lait-viande...

René Morel, le président de l'Organisme de sélection, éleveur à Clerval, tente une synthèse : «adaptons-nous à tous les types de fromages et de lait, mais nos vaches ne sont pas des machines... L'évolution génomique est satisfaisante, mais il reste encore quelques imprécisions». L'invité du jour, Guy Belot, en retraite active de l'entreprise d'abattage portant son nom, entend pousser la recherche génomique dans une direction : les aptitudes bouchères des montbéliardes après leur carrière laitière. Le sujet est pétri de contradictions depuis des décennies, rappelle-t-il en évoquant son père qui en pinçait pour un taureau dont la descendance ne donnait pas le lait attendu.
Chiffres à l'appui, Guy Belot tente de démontrer, avec un certain succès, que la montbéliarde a un avenir comme bifteck : «faites des vaches qui aient du dos pour faire du faux filet ! Vous pourrez être fiers une seconde fois». Il dit surtout que «l'aptitude bouchère s'est amoindrie depuis 5 ans», ce que Phlippe Maître avait relevé dans les indexations. Mickaël Millet, jeune administrateur jurassien de l'organisme de sélection, est du même avis et met les pieds dans le plat : «quand je tiens ce discours de maintenir la mixité de la race au conseil d'administration, je me fais renvoyer dans mes 18 mètres». René Morel se défend : «si on n'était pas allé sur le lait il y a 20 ou 30 ans, on ne serait pas où on en est. Il ne faut pas prendre sur la qualité du lait et l'aptitude fromagère acquises».

«Tarissez vos animaux puis engraissez les !»

Reste le retour du problème de la rémunération du lait, notamment le lait standard (sans transformation en fromages AOC-AOP) : «ça ne paie plus son homme», dit Jean-Paul Tonnot en soulignant la «difficulté à garder des élevages». Guy Belot s'appuie sur l'argument : «Il y a une politique à relancer, faire de la viande un produit à part entière. Il manque 5000 femelles et autant de mâles en charrolais, ce sont des animaux lourds, chers et avec moins de débouchés...» Pas faux, d'autant que la consommation de viande chute en France et en Europe.
Comment faire d'une bête savamment et qualitativement nourrie pour donner du lait à comté, un animal de boucherie ? Alain Vuaillat pose la question sous les applaudissements. Claude Vermot-Desroches, président du Comité interprofessionnel du comté, a la solution : «tarissez vos animaux puis engraissez les, vous serez dans le cahier des charges». Pour cela, il faudra répondre à l'exigence posée par Jean-Paul Bouveresse : «on a négligé la finition car ça ne valait pas grand chose, mais Guy Belot ne m'émeut pas en disant que les vaches de réforme sont chères : 3,50 euros, c'est moins qu'il y a vingt ans !»
On atteint là une des limites de la spécialisation des régions agricoles dans des monoproductions. C'est pourtant la politique européenne... 

Les résultats globaux du contrôle laitier en 2012 sur le site de l'Institut de l'élevage 

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