Micronora, soulager le travail, mais aussi l’abroger…

Le salon des micro et nano technologies de Besançon, incontournable rendez-vous des industriels du luxe et de l'aéronautique, du bio-médical et de l'horlogerie, carrefour de la recherche universitaire et privée, est aussi un lieu où science et fiction se rejoignent, où la question du sens de l'activité humaine se pose.

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Cet assemblage de plastique avec ses boulons patauds n'est pas un prototype de réchaud à gaz ! Encore moins une maquette de station spatiale... Avec ses fines pattes métalliques qui sont en réalité une pince, c'est un micromanipulateur à sept degrés de liberté. Un véritable bijou technologique intégrant son outil au lieu de le porter, destiné par exemple à la mini chirurgie invasive. Cela lui vaut d'être lauréat du micron d'or pour la catégorie « Prototypes microsystèmes réservés aux organismes de recherche » de l'édition 2018 du salon Micronora qui s'est tenu fin septembre à Besançon.

Ce qu'il a d'exceptionnel ne saute pas aux yeux du profane. Inventé par des chercheurs et ingénieurs des équipes de nanorobotique et de robotique biomédicale du département automatique et systèmes micro-mécatroniques de l'institut Femto-ST, ce robot miniature est, selon sa notice de présentation, « très dextre dans un volume très réduit, ouvre des perspectives d’applications dans des environnements très contraints ».

« Surpasser à terme la précision et les cadences des systèmes existants... »

Ce micromanipulateur permettrait aussi des applications industrielles car « sa structure parallèle le rend particulièrement adapté à la manipulation de composants millimétriques et micrométriques (composants horlogers, composants électroniques, etc.). Ce nouveau type de robot pourra surpasser à terme la précision de manipulation et les cadences de production des systèmes existants. »

Sur le stand de Femto-ST, Daniel Guneysu, doctorant en biomécanique, traduit : « les applications industrielles peuvent être très nombreuses, dans le domaine médical, la téléphonie, l'horlogerie, par exemple pour placer des aiguilles de montre... » La notice évoque également des « tâches de prise-dépose rapide » ou encore la « manipulation de charges lourdes, dans les simulateurs de vol par exemple... »

Évoquer ce micron d'or, l'un des neuf prix décernés lors du salon, signale l'appétence pour la recherche appliquée des secteurs industriels utilisant des micro et nano technologies. Et ils sont nombreux, du matériel médical à l'horlogerie, de l'aéronautique civile et militaire à la bijouterie, de la machine-outil au traitement de surface, de l'usinage à l'optique... « Les microtechniques sont multi-marchés », résume Anne Falga, cheffe de projet en charge du luxe et des savoirs faire d'exception à l'Agence économique régionale, l'outil de développement et d'accompagnement du Conseil régional. 

« Dans 30 ans, il n'y aura plus de lunettes, on aura tous des yeux bioniques... »

« Tout ce que vous portez sur vous est passé à un moment ou un autre sous un microscope. Ici, on a plein de clients sur les stands, ou de clients potentiels », lâche un commercial rencontré sur le stand de Leica-Microsystems. A ne pas confondre avec les deux autres entités issues du même moule, Leica-Camera et Leica-Geosystems spécialisés dans les appareils photo et les appareils de mesure.

Eric, son collègue technicien, est venu en visiteur du CHU où il s'occupe de la maintenance d'une bonne soixantaine de microscopes. « A Besançon, on en a des centaines », sourit-il en montrant de la tête des stands voisins où trônent en effet des microscopes. Le commercial renchérit, confiant dans la technologie : « dans 30 ans, il n'y aura plus de lunettes, on aura tous des yeux bioniques... » Le transhumanisme n'est pas loin. Il l'admet, mais réfute son caractère idéologique au profit d'une appréhension neutre : « on est au coeur des technologies NBIC... », les nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives qui, envisagées ensemble dans un champ scientifique commun, promettent un monde meilleur...

En Bourgogne-Franche-Comté, les secteurs med-tec, plutôt comtois, et pharmacie, plutôt burgonde, comptent 350 entreprises et 10.000 emplois, souligne Béatrice Joly, cheffe de projet santé-médical à l'Agence économique régionale. C'est un sacré poids économique doublé de perspectives de développement : « il y a beaucoup d'innovations car la population vieillit et qu'il y a davantage de maladies chroniques... On travaille beaucoup avec Business-France, on répond à deux ou trois projets par mois, mais pas toujours couronnés de succès. J'ai surtout des projets d'extension... »

« Les gens ont l'air plutôt enthousiastes »

Mme Joly n'en dit pas davantage : les porteurs de projets n'aiment la lumière que lorsque les négociations sont conclues. N'empêche, elle confirme une petite musique entendue sur plusieurs stands selon laquelle les entreprises du secteur ont le moral : « les gens ont l'air plutôt enthousiastes », dit-elle.

Anne Falga, sa collègue en charge du luxe et des savoirs faire d'exception, est sur la même longueur d'ondes. Elle ne parle que des projets ayant abouti, comme celui de G-Manufacture Equipement Aéronautique à Vesoul, porté par Jean-Pierre Tolo, le fondateur de la maroquinerie de luxe SIS, dans le Haut-Doubs. Son projet est de fabriquer dès janvier 2019 des combinaisons protégeant les pilotes de chasse de la gravitation à des niveaux jamais vus. « C'est un textile innovant maintenant le corps par des boudins gonflants, un peu comme un exosquelette, sans pour autant couper la circulation sanguine », explique Mme Falga. Et il aurait de 100 à 250 emplois à la clé (voir aussi ici sur France-Bleu)...

Ce secteur là aussi pèse dans les 10.000 emplois dans la grande région, dont « 7 à 8.000 en Franche-Comté ».

Reste que la désindustrialisation y a fait, plus qu'ailleurs, des ravages sociaux ces trente ou quarante dernières années. On peut y voir l'effet des délocalisations sous l'effet du dumping social et environnemental, de la financiarisation de l'économie.

Cela a notamment touché le secteur du traitement de surfaces : « On a pris le problème de la pollution à bras le corps dans les années 1990, mais il y a de moins en moins d'entreprises de traitement de surfaces dans le Haut-Doubs parce que la règlementation est plus rigoureuse en France », explique Guillaume Kimbembé, 30 ans de laboratoire de chimie derrière lui. Il considère que des « intérêts divergents » ont conduit à « transposer la pollution ailleurs ».

Relocalisation dans le luxe ?

« Certains ne se prennent pas la tête, utilisent des matériaux sans technologie propre », dit un chercheur de l'institut Femto-ST travaillant dans le bio-médical : « certains font des de la recherche, d'autres vont ailleurs... C'est politique... Ce n'est pas mon domaine, mais on en a conscience... » Voilà un dilemme qui semble épargner le secteur du luxe : « les plus grands du luxe sont sensibilisés à ces questions, ils veillent à ce que leurs sous-traitants soient éco-responsables », assure Anne Falga.

Seraient-ils moins concernés par la contradiction entre coûts de fabrication et environnement ? « Ils ont parfois des composants venus de pays à bas coût, mais on assiste plutôt à une relocalisation. Le Swiss-made est écrasant en horlogerie, mais le made-in-France est une valeur sûre en maroquinerie. En plus, le secteur recrute des personnes sans qualification mais avec une dextérité, des régleurs de machine à commande numérique... »

Le secteur du luxe se porte-t-il si bien parce que les riches sont de plus en plus riches ? « Oui, mais aussi parce que les classes moyennes se développent dans les autres pays », répond Anne Falga. « Je n'ai aucun état d'âme : si la population de la région peut avoir du travail avec des produits ancestraux et innovants, si on peut vendre les plus beaux objets du monde, je suis ravie ! » 

L'impression du mouvement, mais...

La tendance à la démondialisation des échanges, la hausse des droits de douanes, peuvent-elles impacter le secteur ? Elle ne le croit pas car « la consommation du luxe croît parallèlement aux mobilités ». Et si un jour le kérosène est taxé autant que l'essence ? « On va trouver une solution, par exemple avec l'hydrogène... Les grands groupes de luxe se développent avec les classes moyennes qui s'enrichissent : quelques ultra-riches n'y suffiraient pas ».

Fondateur de Gravure et Précision en 1973 à Saint-Vit, Daniel Ehanno semble relativiser la frénésie et l'enthousiasme qui s'emparent du salon. Le bon climat économique ? « Les gens ont du travail... Pas en grande quantité, mais avec une pression forte : il faut faire vite, donc parfois sous-traiter. Ça donne l'impression de mouvement, tout le monde est à la bourre, mais quand on regarde les carnets de commandes, il n'y a pas de travail pour longtemps... »

Pourtant, il ne se plaint pas : « la gravure, il y en a partout... » Tiens tiens, comme les microscopes... GEP fabrique des outils pour graver des objets ou des emballages, de l'écrin de bijou à l'étiquette de vin fin en passant par l'horlogerie, la lunetterie ou la haute couture... « Un concurrent dit de nous que lorsqu'il n'arrive pas à faire une commande, il nous la file... Notre politique, c'est de passer du temps sur l'outil, donc il fonctionne bien, on ne sait pas bosser autrement, on a toujours formé les gens pour ça... Des fois, on est trop cher... Tout le monde peut être bon s'il y passe du temps... »

Consacrer du temps à une tâche, ce n'est pas vraiment la philosophie de l'époque... La réflexion fait sourire Daniel Ehanno : « C'est un autre débat... Je viens du graphisme, j'ai fait les Beaux Arts et l'école Estienne. J'avais fait une formation de mécanique avant. J'essaie d'allier les deux techniques... On est 25 dans l'entreprise, l'ambiance n'est pas trop mauvaise, les salaires doivent convenir, certains sont là depuis 30 ans... »

« La mode, le luxe, ce ne sont pas des boîtes de 500,
mais de 20 personnes, des niches de savoir-faire... »

A l'entendre, on réalise que la gravure est un peu à part. Est-ce un bon poste d'observation économique ? « On est souvent en bout de chaîne. Parfois, on réalise au dernier moment qu'il faut décorer une pièce... Comme pour le volant de la Peugeot 806, on a fait le nouveau sigle en une semaine... » 

Quel regard porte-t-il sur l'économie d'aujourd'hui ? « Je suis assez inquiet, et optimiste : c'est ça qui fait avancer... Ce dont je suis le plus fier, dans ma carrière, c'est d'avoir formé des gens et d'avoir continué l'activité... » Pourquoi est-il inquiet ? « En France, des gens pondent des lois pour faire marcher l'économie sans avoir compris que le marché du travail est dans les petites entreprises. Ils ne regardent que les entreprises d'au moins 500 salariés... Mais la mode, le luxe, ce ne sont pas des boîtes de 500, mais de 20 personnes, des niches de savoir-faire... Les Suisses ou les Allemands ne traitent pas le problème de la même façon, l'apprentissage y est important, c'est une technique de formation qui est autant prise en compte que l'université... Le problème, c'est qu'il y a des tas d'entreprises où il n'y a plus de compétences... »

Cette réflexion, sereine et un brin désabusée, on l'a déjà entendue dans la bouche de petits entrepreneurs. Soucieux de pérennité économique, beaucoup sont attentifs à la question sociale, aux problématiques de formation, mais ils ne sont manifestement pas sur la même longueur d'ondes que les dirigeants patronaux l'œil rivé sur la « création de valeur pour l'actionnaire ».

« Productivité, fiabilité,
qualité, réduction des coûts... »

En poursuivant ma déambulation dans les travées de Micropolis, je tombe sur le prix d'honneur du jury des Microns et Nano d'or décerné au fabriquant haut-savoyard d'automatismes industriels Stäubi Robotics. Évoluant dans l'espace dédié au concept Industrie 4.0, comme sur la piste d'un cirque au milieu de laquelle s'activent des machines fonctionnant toutes seules, un robot vient alimenter chacune d'elle en pièces, outils ou consignes devant les regards des visiteurs qui ne peuvent pas s'approcher trop près sous peine de tout mettre en panne. Il s'agit d'un « système mobile, adaptable et autonome pour l'industrie du futur, applicable à la production intelligente et flexible et contribuant à soulager les opérateurs lors des tâches répétitives ».

Cela va bien avec le « festival d'innovations » qu'évoque l'éditorial de l'épais catalogue du salon 2018 que signe le président de Micronora, Thierry Bisiaux. Il indique que ce concept Industrie 4.0, « omniprésent chez les constructeurs de machines-outils, de robots et d'équipements de mesure... est une démarche, longue et difficile certes, mais indispensable pour atteindre les objectifs des entreprises : toujours plus de productivité, de fiabilité, de qualité pour leurs produits et processus, avec la réduction des coûts en point de mire. Et sans oublier le développement durable, une obligation absolue pour moins polluer la planète. »

Bref, toutes ces machines, cette matière grise, ces savoirs-faire exposés à des milliers de visiteurs venus du monde entier, sont-ils en train de triompher du travail et de sa pénibilité ? Et qui sait : de son sens ? Des questions que la littérature et la philosophie posent souvent autrement que les économistes et les ingénieurs...

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