Michel Antony : « la médecine libérale a montré son incapacité à gérer la santé publique »

Cofondateur en 2004 de la coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité qu'il a présidée de 2006 à 2013, Michel Antony propose de s'inspirer des anciennes écoles normales d'instituteurs et de créer des écoles normales de médecins. Il vit à côté de Lure dont il a contribué au maintien de l'hôpital.

Michel Antony, CNCL

Michel Antony est un infatigable et enthousiaste militant. Cofondateur en 2004 de la coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité qu'il a présidée de 2006 à 2013, c'est aussi un intellectuel. Libertaire, chercheur, historien, enseignant, écrivain, président de l'union locale CFDT de Lure de 1978 à 1993, il agit également au sein du comité local d'aide aux réfugiés. Entretien.

Vous êtes à l'origine du comité de défense de l'hôpital...

Dès les années 1980... En 1981, quand la gauche est arrivée au pouvoir, elle voulait déjà fermer la maternité de Lure. J'ai été le principal animateur du comité dans lequel tout le monde était : on a gagné contre le ministre communiste (Jack Ralite) pour quinze ans. A l'époque, je me suis fait taper sur les doigts par la fédération santé de la CFDT... Le problème est revenu à la fin des années 1990 quand il a été question de fusionner les hôpitaux de Lure et Luxeuil. J'en ai été l'une des quatre figures de la lutte avec un pharmacien et un adjoint au maire... On a perdu la maternité mais gagné la cardiologie née de toutes pièces en 1997. On a participé au maintien de deux entités. Au début des années 2000, il y a eu le gros combat contre la fusion-absorption avec l'hôpital de Vesoul. Je suis resté le seul des quatre de la bataille des années 90. C'est là, en 2003, qu'on a décidé de se constituer en association : le comité de vigilance pour le maintien des services publics de proximité en Haute-Saône. On a fait des manifestations, des opérations escargot, des occupations... Malheureusement, on n'était plus soutenus par les syndicalistes...

L'usure ?

Pour une Ecole normale de médecins
Meneur de l'occupation de l'Ecole normale de Besançon en mai 1968, Michel Antony a longtemps milité à la CFDT avant d'animer avec un certain succès la bataille pour le maintien des services publics de proximité, dont l'hôpital de Lure où il habite. Son analyse du système de santé est sans concession.

Les gens étaient usés, apeurés, intéressés. Le milieu médical est pourri par le corporatisme et l'intérêt individuel, même si je connais de nombreux médecins, des infirmières, des aides-soignantes impliqués, militants... On a dû recourir à d'autres types d'action comme le référendum d'initiative populaire. On a fait une campagne électorale. 103 communes l'ont organisée en janvier 2004, la préfecture a menacé les maires. La participation a été d'environ 25.000 personnes, soit 49,9% du corps électoral, et 99,5% favorables à notre proposition : maintien des trois SMUR à Lure, Luxeuil et Vesoul 24 heures sur 24. Il s'est passé la même chose à Sainte-Afrique (Aveyron) : on se contacte, ils viennent, on va les voir... Avec le maire, Alain Fauconnier (sénateur PS battu le 28 septembre), on a créé en 2004 la coordination nationale des hôpitaux et maternités de proximité.

Quelle est votre argumentation ?

Le principal est l'exigence d'égalité des habitants et des territoires pour un minimum vital de services publics : gare, lycée, prison, hôpital... Il faut un hôpital équilibré, des services attractifs et essentiels : urgences, maternité, IVG, cardiologie, radio, réanimation, chirurgie...

L'ARS invoque les risques des petites structures, les erreurs du laboratoire de Gray...

Il y a davantage d'erreurs dans les grands hôpitaux que dans les petits, mais elles se perdent dans la masse. On ne dit jamais qu'on ferme un CHU quand il y a une erreur. Cet argument n'est pas admissible. Les grands hôpitaux sont plus dangereux que les petits : 80% des maladies nosocomiales sont dans les grands hôpitaux. En outre, les petits hôpitaux ne font pas de sélection. On a accusé le taux de mortalité important de l'hôpital de Sainte Afrique, mais on y accueille beaucoup de personnes âgées ! Quant à l'histoire du nombre d'actes, il ne faut pas le prendre par service, mais par professionnel : ça commence alors à être comparable.

Un CHU peut être davantage spécialisé, plus pointu...

Plus pointu, c'est un autre problème. L'important, c'est la subsidiarité. 80 à 90% de la chirurgie est de la petite chirurgie : appendicite, main... L'essentiel des besoins de base peut être assuré localement, mais si l'hôpital de base constate que ce n'est pas de son ressort, on passe à l'étage supérieur. On a toujours dit qu'il faut des hôpitaux spécialisés...

Il arrive que des petits hôpitaux gardent des cas qui auraient dû être transférés et qui tournent mal...

Le CESER saisi d'une étude sur « l'équité territoriale dans l'accès aux soins »
La présidente du Conseil régional, Marie-Guite Dufay, a demandé en janvier 2014 au Conseil économique social et envionnemental une étude qui doit être rendue à la fin de l'année. Le rapport en est à sa phase de rédaction par le rapporteur Daniel Boucon. Six membres du CESER ont auditionné l'Union régionale des professionnels de santé-médecins libéraux, la Fédération des maisons de santé, l'Agence régionale de santé, la Conférence régionale de santé et d'autonomie, la Direction de l'aménagement du territoire et de l'efficacité énergétique du Conseil régional, de représentants du secteur hospitalier (FHF, usagers), le Collège régional des généralistes enseignants, le Dr Régis Aubry président de l'observaoire national de la fin de vie, l'Association du réseau de santé de proximité et d'appui...
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Ce sont des erreurs médicales... Qui doit juger ? L'urgentiste et les médecins locaux. Si on ne fait pas ça, on va envoyer tout le monde dans les grands hôpitaux, du coup on garde dans des lits de CHU des gens qui relèvent de l'hôpital de proximité. Le rapport du coût est de un à trois entre un lit de proximité et un lit de CHU ! Sortir l'argument d'économie, c'est se moquer du monde.  La DGOS vient d'ailleurs de publier un rapport sur le maintien des hôpitaux de proximité...

L'ARS défend les maisons de santé...

C'est lié à la démographie médicale qui est bloquée par le verrous du numérus clausus créé dans les années 1970 pour des raisons corporatistes. L'idée est de ne pas multiplier la concurrence entre professionnels. Une autre idée est que s'il y a une réduction de l'offre de soins, ça fera baisser la demande, mais c'est une idée stupide car la demande augmente dans une population croissante et vieillissante. On a le même numérus clausus en 2014 qu'en 1972. Il y a dix millions d'habitants de plus et autant de médecins...

C'est donc une question qui ressort d'une décision politique dont les effets ne se feraient sentir que dans 7 ou 8 ans alors ?

Oui ! On aurait pris la décision il y a dix ans, on aurait davantage de médecins. Le second verrou, c'est celui de la sacro-sainte liberté d'installation.

Ça a été modifié par l'instauration de primes à l'installation dans les déserts médicaux, non ?

C'est une réformette qui n'a jamais fonctionné, la médecine libérale a montré son incapacité à gérer la santé publique. Marisol Tourraine n'a jamais remis en cause la mentalité libérale. Le cas typique, c'est la maison de Belleherbe où les professionnels ne sont pas venus. La maison de santé, c'est un bien immobilier qui fait travailler des gens ensemble qui sont exonérés du collectif. Le problème, c'est que c'est une entreprise privée avec des professionnels déjà sur le territoire. Ça n'a aucun effet.

On donne jusqu'à 4000 euros par mois à des jeunes médecins pour s'installer dans des zones peu denses...

Les maisons de santé ne tiennent pas compte de demandes des étudiants en médecine qui veulent être salariés. Or, ce sont des libéraux qui sont dans les maisons de santé. En ne reconnaissant pas le salariat, on s'agrippe à une vieille conception. Les investissements publics dans les maisons privées où les profits restent privés, ne vont pas à la santé publique. Les usagers ne sont pas concernés, sauf celle de Besançon qui a un comité d'usagers.

Que préconisez-vous ?

On défend les centres de santé, il n'y en a qu'un en Franche-Comté : le centre Léon-Blum de Belfort avec huit praticiens. Un centre de santé est plus proche d'un service public de santé, les dépassements d'honoraires sont interdits, il n'y a pas de filtre à l'entrée.

Qui porte ce programme qui est politique ?

Personne ! Ni les socialistes ni la droite... Ni le Front de gauche ni le PC n'osent toucher à la liberté d'installation : ils ont sans doute trop de médecins parmi eux ! Je suis pour une contrepartie d'un service social de 3 à 5 ans où de jeunes médecins seraient nommés là où il y a des besoins. C'est la position du SMG, le syndicat de la médecine générale dont Étienne Butzbach (maire PS de Belfort jusqu'en mars dernier) est un des fondateurs, mais qui est absent de Franche-Comté...

Quels sont les risques à ne rien faire ?

Il manque 50% de médecins dans le secteur sous-vosgien où la moitié de ceux qui exercent partent en retraite dans cinq ou six ans. C'est pire pour les spécialistes. Quelle catastrophe s'annonce ! La Cour des comptes nous donne raison, l'association des villes moyennes aussi. L'Ordre des médecins reconnaît que les mesures incitatives sont inefficaces... Nous avons été auditionnés par la présidente du Conseil régional à la mi-août, elle a saisi le Conseil économique social et environnemental... On ne pourra pas vaincre le corporatisme médical sans taper dedans !

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