Le théâtre est aussi un moyen de figurer et porter un regard critique sur ce qui empêche l'émancipation des femmes, notamment dans le domaine professionnel. Les règles du théâtre-forum le permettent. Maryline Pape le pratique au sein de sa compagnie « Les Trois soeurs ». Metteur en scène, elle est aussi présidente du CIDFF du Doubs (lire encadré). Les deux fonctions « se rejoignent » dit-elle, à l'exemple de la récente représentation à Lure pour la semaine d'actions précédant le 8 mars.
Les Centres d'Information sur le Droit des Femmes et des Familles sont 114 en France. Leur mission générale est d'informations juridique, de formation des jeunes filles, d'aide au retour à l'emploi, de médiation familiale et conjugale et de prévention santé pour les femmes en précarité. L'Etat en est à l'initiative à la suite des états généraux des femmes en 1970. Le préambule de la charte nationale des CIDFF en 1997 dit : « L'accès des femmes à l'information sur leurs droits constitue une composante essentielle de leur pleine citoyenneté. L'information sur les droits des femmes s'inscrit dans la mise en œuvre de l'égalité entre les femmes et les hommes, en privilégiant la prise en compte de la globalité des situations vécues et en y répondant par une approche personnalisée ».
La compagnie a été créée en 1996 à l'initiative de trois comédiennes qui ont suivi une formation à l'Embarcadère. Le nom de la compagnie est celui éponyme de la pièce de Tchekov, première que les trois femmes aient montée. Maryline Pape se souvient : « curieusement après d'autres pièces, je me suis rendue compte que tous ces spectacles parlaient des femmes. Bien sûr je faisais le choix des pièces mais je pense que cela s'est fait surtout inconsciemment. Nous avons alors donné une identité à la compagnie. Cette identité est celle d'un théâtre qui parle et se préoccupe des femmes, mais qui s'adresse aux hommes également. »
Le premier spectacle de théâtre-forum a été créé à la demande de la délégation aux droits des femmes. En 2008, la commande porte sur l'orientation, l'élargissement des choix professionnels des filles. Des filières traditionnellement masculines leur sont encore souvent fermées. Des témoignages sont d'abord collectés sur les situations vécues. Ce spectacle « Oriente express » a été joué dans tous les départements. Puis un autre spectacle a été monté, commandé par Polytechnicom (fédération des écoles de commerce et d'ingénieurs de Bourgogne-Franche-Comté). « Estimez-vous heureuse » sensibilise les jeunes femmes cadres aux modalités de la négociation salariale. Des témoignages ont également été collectés, chez Peugeot, à FR3, dans des petites et moyennes entreprises et des associations. Maryline Pape constate : « ils vont tous dans le même sens, de différences de salaires et de conditions de travail pour les femmes. Le jeu du théâtre forum porte alors sur la façon de se positionner en tant que femmes lors d'une négociation salariale ».
Ce théâtre provoque délibérément des réactions. Le public peut intervenir pour essayer de changer le cours de l'histoire. Ceux qui se manifestent viennent sur scène tester leurs propositions. « Les jeunes hommes sont dans une situation de témoins de ces situations. Et ils interviennent souvent, pour faire évoluer des situations en jouant des rôles de femmes. Ils osent davantage. C'est un apport intéressant pour les filles ». Le théâtre-forum permet une distance, les personnages peuvent jouer ce que les individus ne font pas. Les échanges sont souvent très riches et les retours rendent compte d'un supplément de confiance acquis par les participantes et participants.
Pour Maryline Pape, la lutte à mener est une lutte d'égalité, d'égale considération, d'égale valorisation, « avec nos différences », et non une lutte de places où une domination en remplacerait une autre. Elle même « a souffert d'être née fille dans les années cinquante » et de ne pas avoir pu faire le métier qu'elle voulait faire, conductrice de train : « il faut l'avaler de s'entendre dire que l'on ne peut pas accéder à certains métiers parce qu'on est une fille. Les choses évoluent mais il reste des progrès à faire. Sur 84 familles de métiers, les femmes sont présentes dans une vingtaine. Dans le mien, metteur en scène, les femmes sont environ 20%. »
