Marie-Claire Simonin : « le risque d’une école ethnique »

Ancienne enseignante auprès des enfants du voyage à Besançon, elle a accompagné le processus de construction du schéma départemental pour l'accueil et l'habitat des gens du voyage. Son expertise et son humanité en font un témoin précieux.

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Initialement formée à la sociologie, Marie-Claire Simonin est professeur des écoles en maternelle à Planoise. Pendant huit ans, elle a enseigné aux enfants du voyage de Besançon. Elle a acquis une expertise reconnue dans sa connaissance des voyageurs.

L'altercation de Thise est-elle surprenante ?

Les gens du voyage sont souvent des mauvais coucheurs, c'est difficile de traiter avec eux. Je comprends que des gens n'en peuvent plus. Les gens du voyages ont un long passé de discrimination et ont du mal à sortir du rôle de victimes. On leur demande beaucoup de choses impossibles. Quelques élus se mobilisent mais beaucoup n'en ont rien à faire. Si des maires donnent un terrain pour une aire de grand passage, ils ne seront pas réélus... Les élus locaux n'ont que leur pouvoir de persuasion, alors ils se tournent vers la préfecture : à vous d'imposer les choses. Car la CAGB n'a pas tenu ses engagements vis à vis du schéma départemental. Ça signifie qu'il ne pourra plus y avoir d'expulsion.

N'y a-t-il pas des tension permanentes entre nomades et sédentaires ?

Oui, d'une façon générale. Il y a deux logiques inconciliables. On l'a par exemple vu en Iran avec des troupeaux transhumants, c'est partout pareil. Les sédentaires protègent leurs biens, mais les nomades ne l'entendent pas, pour eux, la terre est à tout le monde. On pourrait mettre de l'huile dans les rouages en embauchant des médiateurs formés. Et si on les écoutaient pour de vrai, ils ne s'épuiseraient pas forcément... Partout en Europe, il n'y a pas d'autre solution.

Ces médiateurs sont aussi des traducteurs ?

Oui, c'est ça. Ils suivent une formation au Conseil de l'Europe.

Les pasteurs sont-ils des traducteurs ?

Non. Quelques uns le font, mais je ne les connais pas. Ici, ils mettent de l'huile sur le feu. Les voyageurs utilisent les missions évangéliques comme moyen de pression. Les grandes conventions les rendent forts. La plupart des pasteurs aiment le pouvoir davantage qu'ils n'ont une autorité morale.

Faut-il de l'éducation ?

Oui, mais je dirais plutôt un respect réciproque.

Le maire de Thise évoque des enfants du voyage chassant des enfants du village d'une aire de jeu avec un couteau...

Ça ne m'étonne pas. Beaucoup de manouches, yéniches et autres sont éduqués pour être des machos à gros bras. Plus un mec fait de conneries, plus il est odieux, plus il est mec. Ils ont des droits sur leurs femmes... Mon rôle, c'était que les petits garçons respectent les règles de l'école. Le directeur de l'école Pesty l'a constaté en récréation... Il faut faire le maximum pour que tous les petits voyageurs soient scolarisés, afin qu'une fois adultes, ils se comportent mieux, mais il faut aussi des lois moins discriminantes.

Comment ?

Le carnet de circulation a été abrogé, mais les décrets d'application ne sont toujours pas parus. Des cartes d'identité ont été refusées par des préfectures au prétexte que certains avaient déjà, avec le carnet de circulation, des documents d'identité... Il y a aussi des complications à assurer une caravane comme un lieu d'habitation. Ils n'ont jamais les mêmes droits que les sédentaires. Il faudrait commencer par régler ces problèmes : c'est difficile de discuter quand on se sent merdeux...

La représentation politique est-elle une piste ?

Ils ont le droit de vote, mais vont rarement chercher leur carte d'électeur, ne se sentent pas concernés. C'est pour ça que l'école est importante.

Dans le schéma départemental, il est écrit qu'il y a un processus de sédentarisation...

Ce n'est pas parce qu'ils sont sédentaires aujourd'hui qu'ils le seront demain. Des gens ayant vécu en maison s'y ennuient... S'ils en avaient les moyens, beaucoup seraient sédentaires en hiver et nomades l'été. Ils ne se sédentarisent pas par choix. La principale cause de sédentarisation, c'est la misère. Pour « faire le voyage », il faut des sous, et c'est le voyage qui permet de bosser grâce aux réseaux...

Dans quels secteurs ?

Les marchés, la chine, les déménagement, la peinture, tous les travaux possibles det imaginables dans les maisons, le ramonage, les paniers, le rempaillage...

Comment investissent-ils l'école ?

Le plus fréquent, c'est CP-CM2. Ils font rarement la maternelle et le collège. Cela explique des difficultés d'inscription en chambre des métiers car ils n'ont pas de diplôme. Ils sont dans une situation de repli, et l'extrême-droitisation du propos politique n'arrange rien... La montée du pentecotisme risque aussi d'éloigner les enfants de l'école. Si l'on n'y prend pas garde, les évangélistes auront leurs propres écoles. Le protestantisme incite à apprendre à lire et écrire pour lire la Bible. A Gien, ils ont deux mois d'apprentissage intensif de la lecture. Il faut les inclure dans l'école de l'Éducation nationale, sinon on va se retrouver avec une école ethnique. C'est un enjeu dont les pouvoirs publics ne sont pas conscients.

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